Plaignant
L’Association
des directeurs d’école de Champlain
Représentant du plaignant
M. Pierre-Paul Lavoie
(avocat, Blain, Piché, Emery 1/4 Ass.)
Mis en cause
Le Canada
français [Saint-Jean-sur-Richelieu]
Représentant du mis en cause
M. Yves Gagnon
(président, Le Canada français [Saint-Jean-sur-Richelieu])
Résumé de la plainte
Le 14 avril
1982, Le Canada français publie un dossier qui présente, sans traitement ni
analyse, les salaires des cadres de la Commission scolaire régionale
Honoré-Mercier. Ce texte, paru sans signature sous le titre «Chez les
cadres-fonctionnaires : 40 000 $ de salaire ce n’est pas rare!», porte atteinte
à la vie privée des personnes concernées et ne comporte aucun élément d’intérêt
public. Il est truffé d’expressions propres à jeter le discrédit et le mépris
sur les personnes mentionnées.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse
a terminé l’étude de la plainte de l’Association des directeurs d’école de
Champlain qui s’en prenait au traitement accordé par Le Canada français au
dossier présenté dans l’édition du 14 avril 1982 sous le titre: «Chez les
cadres-fonctionnaires – 40 000 $ de salaire ce n’est pas rare!».
Selon
l’Association, la publication, sans traitement ni analyse, des salaires des
cadres de la régionale Honoré-Mercier portait atteinte à la vie privée des
personnes concernées en plus de ne comporter aucun intérêt public susceptible
d’éclairer honnêtement les lecteurs sur les restrictions salariales dans le
secteur public ou sur les écarts salariaux entre ce secteur et le secteur
privé.
Selon
l’Association, le texte de présentation du dossier était truffé d’expressions
propres à jeter le discrédit et le mépris sur les personnes mentionnées et
dénotait un manque d’objectivité de la part de son auteur demeuré anonyme; ce
dont elle s’étonnait.
Commentaires du mis en cause
Il était
d’intérêt public, selon vous, de publier, dans le contexte économique actuel,
un dossier sur les salaires des cadres des organismes publics. Le faisant, il
aurait été arbitraire et injuste de ne mentionner que les salaires affectés à
chacun des postes de direction sans nommer les personnes qui les reçoivent car
alors le public aurait pu identifier les titulaires uniques, comme par exemple
le directeur général, et non les autres qui, pour des fonctions similaires, ne
reçoivent pas nécessairement le même salaire. Seule donc la publication des
données brutes pouvait constituer la garantie d’une information complète et
adéquate.
D’autre part, le
texte de présentation, dans son ensemble, ne jetait aucunement le discrédit sur
les directeurs d’école. Il tentait plutôt de présenter honnêtement les diverse
facettes de la question, allant même à publier les salaires nets, pour faire
bien prendre conscience au public que les écarts, aussi importants qu’ils
puissent paraître, sont beaucoup moins considérables après impôts.
En ce qui a
trait à l’absence inhabituelle de signature du texte en question, elle avait
été voulue pour éviter d’exacerber le conflit de travail qui sévisait à votre
journal à ce moment-là, d’autant plus que plusieurs journalistes avaient
contribué à la cueillette de l’information contenue dans ce dossier. Il était
évident, par ailleurs, que l’auteur n’était nul autre que le vice-président et
directeur général du journal, monsieur Robert Paradis, qui signait l’éditorial
et qui a répondu aux lettres des lecteurs. Pour les mêmes raisons, la signature
de monsieur Paradis qui apparaissait sur deux autres textes de la même édition
aurait dû être enlevée. Ce n’est que par inadvertance qu’elle ne l’a pas été.
Analyse
Le Conseil estime, d’une part, que la publication du dossier en question était pertinente dans le contexte du débat sur les restrictions budgétaires dans le secteur public. Il était d’intérêt public de révéler les salaires des cadres en question ainsi que le nom de ceux à qui ils étaient versés.
Cependant, bien qu’il en fît mention en éditorial, Le Canada français aurait dû, dans le texte même de présentation du dossier, faire état des critères (ancienneté, expérience, titres et responsabilités, scolarité, etc.) justifiant les écarts de salaires perçus par les personnes exerçant des fonctions similaires. Le Conseil n’estime pas, par ailleurs, que les expressions utilisées dans ce texte de présentation tendaient à jeter le discrédit sur les cadres du secteur public et notamment sur les directeurs d’école. Il ne saurait donc en blâmer les journalistes du Canada français qui ont bien droit à leur style.
Quant à la non-identification de l’auteur du dossier, le Conseil est d’avis qu’il s’agit là d’une décision relevant de la prérogative de l’éditeur et qui est conforme à une pratique courante du journalisme.
Analyse de la décision
- C04A Article non signé
- C12B Information incomplète
- C16D Publication d’informations privées
- C17D Discréditer/ridiculiser
Commentaires des dissidents à propos de la décision
Dissidence de
madame Mariane Favreau, journaliste:
S’il était pertinent
de publier les salaires versés pour des postes du secteur public dans la région
de Saint-Jean, il n’était pas d’intérêt public que Le Canada français révèle le
nom et le salaire des personnes occupant chacun des postes visés. Bien qu’étant
à l’emploi d’un organisme public, ces personnes ne sont pas pour autant des
personnes publiques. En publiant leur salaire, Le Canada français a porté
atteinte à leur vie privée et en a fait en quelque sorte des boucs émissaires
de la crise des finances publiques.
D’autre part, le
droit du public à l’information aurait été mieux servi et l’information plus
conforme aux faits si Le Canada français avait signalé que les professionnels
non enseignants ne sont pas des cadres, mais des employés rémunérés selon une
convention collective provinciale; que les directeurs d’école sont aussi
rétribuée en vertu d’une entente provinciale qui tient compte de certaines
variables (expérience, scolarité, nombre d’élèves et d’employés de leur école,
etc.).
Telle que Le
Canada français l’a publiée, la liste de paie d’une partie du personnel
(présumé cadre) de la Commission scolaire de la régionale Honoré-Mercier était
une information incomplète, discriminatoire, de nature à jeter le discrédit sur
les personnes citées dans le contexte du dossier.
Dissidence de
monsieur Yoine Goldstein, représentant du public:
Avec respect
pour ceux qui sont d’opinion contraire, je suis d’avis que la publication par
Le Canada français des noms des cadres, ainsi que leur salaire, ne peut être considérée,
dans le contexte, comme étant d’un intérêt public suffisant pour justifier
l’embarras que certaines personnes auraient pu ressentir face à la divulgation
publique des détails de leur traitement.
Ce cas est un
exemple typique d’une situation qui se répète constamment dans les médias
d’information: Comment trouver l’équilibre entre le droit du public à une
information libre et complète et le droit de chaque individu à sa vie privée.
Aucun de ces droits n’est absolu. Certaines personnes, à cause de leur choix de
carrière, se trouvent nécessairement plus exposées que d’autres à l’oreille
scrutateur du public, telles celles qui choisissent une carrière dans la
politique. Par contre, le droit du public à l’information est restreint par la
protection qu’une société libre doit donner à la vie privée. L’équilibre est
parfois difficile à atteindre, mais cela ne doit pas faire échec à l’obligation
qu’ont les médias d’essayer, de bonne foi, de le rechercher.
Le critère, dans
la mesure où l’on peut appliquer un critère objectif, doit être le suivant:
L’individu, dont
les détails de la vie privée sont divulgués, subira-t-il un préjugé plus grand
que celui subi par le public qui a droit de connaître tous les détails lui
permettant d’être pleinement informé sur un sujet particulier?
Dans le cas qui
nous concerne, la divulgation des salaires des individus n’a pas suffisamment
apporté d’information au grand public pour lui permettre de mieux comprendre le
sujet traité ou pour justifier l’embarras possible des individus dont les
détails du traitement ont été ainsi divulgués. Les professionnels de
l’information auraient pu comparer la gamme de traitement des directeurs à la
gamme du traitement des particuliers dans l’entreprise privée. En agissant
ainsi, ils auraient suffisamment renseigné le public, sans pour autant
sacrifier les droits des individus à leur vie privée. L’un des droits
fondamentaux reconnu dans la Charte des droits de la personne est le droit au
respect de la vie privée. Son corollaire est le droit à la protection des
renseignements personnels. Ce droit est atteint lorsque la divulgation des
détails de la vie privée n’ajoute que marginalement aux connaissances des
lecteurs de journaux.
Dissidents
Mme Marianne
Favreau et M. Yoine Goldstein