Plaignant
M. Marcel Godin
(écrivain)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] M. Jean Royer (critique littéraire) et Mme Lise Bissonnette
(rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Au cours des
mois de septembre et octobre 1982, Le Devoir publie, sous la signature du
journaliste Jean Royer, une série d’articles partiaux et inexacts portant sur
le refus du ministère des Affaires culturelles d’accorder une subvention à la
revue «Les Herbes rouges». Le journaliste porte atteinte à la réputation du
jury en affirmant, à tort, que ce dernier avait justifié sa recommandation
uniquement par la «baisse de qualité» de la revue. La rédactrice en chef du
Devoir, Mme Lise Bissonnette, s’inspire de ces articles pour écrire son
éditorial du 13 octobre 1982, contribuant ainsi à défendre la cause des «Herbes
rouges».
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de votre plainte contre monsieur Jean Royer, critique
littéraire au Devoir, à qui vous reprochiez d’avoir fait preuve de partialité
et d’avoir publié des informations inexactes dans une série d’articles parus
aux mois de septembre et octobre 1982. Ces articles faisaient état de la
polémique entourant le refus du ministère des Affaires culturelles du Québec
d’accorder une subvention à la revue littéraire «Les Herbes rouges» à la suite
des recommandations d’un jury dont vous étiez membre.
Vous reprochiez
à monsieur Royer d’avoir manqué à l’éthique journalistique et d’avoir porté
atteinte à la réputation des jurés en affirmant à tort, sans avoir vérifié ses
informations auprès des principaux intéressés, que le jury avait justifié cette
recommandation sous le seul prétexte d’une «baisse de qualité» de la revue «Les
Herbes rouges». Or, il était évident et incontestable, selon vous, qu’une
subvention ne pouvait être accordée ou refusée selon le seul critère de la
qualité et qu’il fallait aussi considérer d’autres critères tels le bilan
financier, la diffusion, la pertinence, le genre, l’originalité, le tirage,
etc. D’ailleurs, ajoutiez-vous, si monsieur Royer s’était donné la peine de
bien faire son métier, il aurait appris, entre autres, qu’il y avait concensus
des jurés pour recommander que «Les Herbes rouges» s’adressent à l’aide à
l’édition du ministère des Affaires culturelles.
Vous reprochiez
d’autre part au journaliste de s’être fait le publiciste des «Herbes rouges» et
d’avoir passé sous silence toutes les autres revues refusées ou acceptées à la
subvention. Vous vous demandiez aussi de quel droit monsieur Royer pouvait
porter des jugements sur votre compétence en matière littéraire et sur quoi il
se basait pour insinuer que le jury voulait s’immiscer dans la politique
éditoriale d’une revue?
Vous reprochiez
enfin à la rédactrice en chef du Devoir, madame Lise Bissonnette, d’avoir
«commis» un éditorial sur le sujet, le 13 octobre 1982, en basant ses
commentaires uniquement sur les articles de monsieur Royer, contribuant ainsi à
la cause des «Herbes rouges» dont Le Devoir s’était fait le propagandiste
durant plusieurs semaines.
Commentaires du mis en cause
Monsieur Jean
Royer soutenait, pour sa part, qu’il n’avait fait que son travail de
journaliste en rapportant les réactions du milieu littéraire et du ministre des
Affaires culturelles devant une décision contestée du jury dont vous faisiez
partie. Il ne lui avait pas semblé justifié, par ailleurs, de faire appel aux
témoignages des jurés ni des fonctionnaires impliqués dans cette décision. En
effet, ce n’était pas son rôle «de faire venir à la barre les acteurs de la
situation liés par la confidentialité», non plus que de remettre en cause le
jugement ou le verdict qui avait provoqué l’ire du milieu littéraire.
La rédactrice en
chef du journal Le Devoir, madame Lise Bissonnette, estimait quant à elle qu’il
était difficile d’imputer à monsieur Royer l’inexactitude des faits rapportés
dans ce dossier puisque les membres du jury ne s’entendait même pas entre eux
sur les raisons qui avaient valu un refus de subvention aux «Herbes rouges».
Par ailleurs, les lecteurs de ce journal avaient eu l’occasion de prendre
connaissance de votre point de vue dans votre longue réplique publiée sur huit
colonnes dans l’édition du 6 novembre 1982 et de celui de monsieur Joseph
Bonenfant, un autre membre du jury qui s’était exprimé à titre de président, le
9 octobre 1982.
Analyse
Les genres journalistiques que constituent la critique et l’éditorial, tiennent autant du commentaire que du reportage d’information. Ces modes d’information laissent à leurs auteurs une grande discrétion dans l’expression de leurs prises de position et de leurs points de vue. L’on ne saurait non plus exiger des critiques ou des éditorialistes qu’ils épousent intégralement le sens que veulent donner à leurs actions des individus ou des groupes sans compromettre la liberté d’expression, le droit de parole et la liberté de la presse. Comme tous les professionnels de l’information, toutefois, ils doivent être fidèles à l’exactitude des faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle dans l’évaluation des situations qu’ils commentent.
Dans le présent cas, le Conseil est d’avis que monsieur Jean Royer et madame Lise Bissonnette se sont acquittés de leur rôle conformément aux exigences de l’éthique journalistique. Il va de soi que certains commentaires que l’on retrouve dans leurs articles sont largement matière d’opinion qu’il vous appartient, en tant qu’intéressé, de confronter si vous les jugez injustes ou non fondés; ce que vous avez d’ailleurs fait dans votre lettre ouverte que Le Devoir publiait le 6 novembre 1982.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion