Plaignant
La Fédération
des travailleurs du Québec [FTQ]
Représentant du plaignant
M. Fernand Daoust
(secrétaire général, Fédération des travailleurs du Québec [FTQ])
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. François Berger (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
La manchette
«$15 milliards de temps volé en une année par les travailleurs canadiens» et
l’article que signe M. François Berger dans l’édition du 27 novembre 1982 de La
Presse exploitent de façon sensationnelle et tendancieuse le climat
d’insécurité économique, en laissant entendre que les travailleurs canadiens
sont des voleurs et des paresseux. Le journaliste transpose de manière
grossière les résultats d’une étude pan-canadienne dans le contexte québécois
et ne fait pas état de la méthodologie utilisée dans l’étude en question.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse
a terminé l’étude de la plainte que vous portiez au nom de la Fédération des
travailleurs du Québec (FTQ) contre l’article de monsieur François Berger
annoncé en manchette de La Presse du 27 novembre 1982 sous le titre: «$15
milliard de temps volé en une année par les tavailleurs canadiens». Cet article
rapportait les conclusions d’une étude menée auprès de la direction de 215
entreprises privées canadiennes par la firme newyorkaise Robert Half
International dans le but de déterminer l’ampleur du temps de travail «volé» ou
gaspillé volontairement par les employés.
Selon vous,
autant la manchette que l’article exploitaient de façon sensationnelle et
tendancieuse le climat actuel d’insécurité économique en laissant entendre, à
tort, que les travailleurs canadiens étaient des voleurs, des paresseux et
qu’ils gaspillaient du temps de travail. Au lieu de se fier strictement aux
déclarations des employeurs et d’entretenir «les préjugés les plus grossiers»,
l’article aurait dû mentionner que les retards au travail n’étaient pas payés
et que dans bien des cas, les travailleurs étaient lourdement pénalisés.
Vous reprochiez
aussi à La Presse d’avoir manqué à l’éthique journalistique en ne faisant pas
état de la méthodologie employée dans l’étude en question pour estimer la
productivité dont les critères d’évaluation sont les plus difficiles à définir.
Le journaliste enfin avait aussi fait, selon vous, une transposition
«grossière» des données de cette étude en affirmant que 3,7 $ milliard avaient
été «volés» en une année par les tavailleurs québécois.
Commentaires du mis en cause
Monsieur
François Berger estimait, pour sa part, que son article satisfaisait pleinement
aux exigences de l’éthique journalistique puisqu’il avait rapporté fidèlement
les résultats d’une enquête sérieuse en en mentionnant la source. Non seulement
en avait-il consulté les auteurs, mais aussi interviewé des responsables du
ministère du Travail du Québec, du ministère de l’Emploi et de l’Immigration à
Ottawa, de l’Insitut national de productivité et de Statistique Canada. En
outre, il n’avait pas lui-même accusé les travailleurs de «vol», ce terme ayant
été utilisé par les auteurs de l’étude. Il avait même pris le soin de
mentionner que les employeurs admettaient volontiers que le «gaspillage» de
temps découlait souvent des mauvaises conditions de travail et de la monotonie
des tâches.
Il soutenait
aussi que la transposition des chiffres pour le Québec avait été faite après
avoir consulté Statistique Canada et Emploi Canada. En dehors des sondages
réalisés par des firmes spéclialisées pour le compte de La Presse,
précisait-il, la méthodologie utilisée dans des études similaires n’était
pratiquement jamais publiée. Enfin, sa tâche consistait avant tout de rendre
accessible au public les résultats de l’enquête en question et non de truffer
son texte de données superflues qui n’intéressent qu’une portion infime de
lecteurs.
En rejetant le
bien-fondé de votre plainte, monsieur Jean Sisto, en tant qu’éditeur adjoint de
La Presse, faisait remarquer au Conseil que le but de l’enquête était
précisément d’établir le coût du «temps volé» et qu’il fallait bien appeler les
choses par leur nom. D’ailleurs, ajoutait-il, si le phonomène n’existait pas,
pouquoi le ministère du Travail était-il en train de faire une étude sur le
sujet? Bien que les opinions puissent être divergentes sur la valeur des mots
«gaspillage» ou «paresse», l’article était, selon lui, suffisamment clair en ce
qu’il visait «les tire-au-flanc qui, délibérément, ne fournissent pas les
heures de travail requises par leur employeur». Enfin, cette étude, selon lui,
n’avait pas de quoi scandialiser la FTQ, les spécialistes du marché du travail
ayant chiffré depuis longtemps les «coûts cachés» de l’absentéisme.
Monsieur Sisto
rejetait aussi votre prétention à savoir que La Presse aurait dû mentionner que
les travailleurs en retard perdaient uen partie de leur salaire. Cela n’avait
rien à voir, selon lui, avec le débat, le journaliste ayant bien pris soin de
préciser, dans le préambule de son texte, que le phénomène coûtait 15,1$
milliards à l’économie canadienne et non pas aux entreprises. Quant aux données
pour le Canada et le Québec, elles résultaient d’une comparaison établie à
partir de l’étude en question après vérification auprès du directeur torontois
de la fime Robert Half International, de l’Institut national de la
productivité, de Statisque Canada et de la direction de la recherche au
ministère québécois du Travail. Enfin, compie tenu de la solide crédibilité des
auteurs de l’étude en question, il n’était pas nécessaire d’aller, dans ce cas,
au-delà de l’aperçu sommaire que donnait l’article de la méthodologie qu’ils
avaient utilisée.
Analyse
Le Conseil ne retient aucun blâme contre monsieur François Berger ni contre La Presse étant d’avis qu’ils se sont acquittés de leur tâche conformément aux règles de l’éthique journalistique et aux exigences du droit à l’information.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits