Plaignant
Le Syndicat des
travailleurs de l’information de La Presse [Montréal]
Représentant du plaignant
M. Martial Dassylva
(président, Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse [Montréal])
Mis en cause
La Presse
[Montréal], M. Yvon Dubois (directeur de l’information), M. Roland Giroux
(président du comité exécutif), M. Pierre Gobeil (responsable du service des
sports), M. Michel Roy (éditeur adjoint) et M. Jean Sisto (ex-éditeur adjoint)
Représentant du mis en cause
M. Roger D.
Landry (président et éditeur, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le responsable
du service des sports à La Presse, M. Pierre Gobeil, participe à l’organisation
du combat Leonard-Duran du 20 juin 1980 au Stade olympique, ce qui a pu
influencer la couverture de cet événement. M. Gobeil n’informe pas les lecteurs
de son rôle dans l’organisation du combat en question. Pour sa part, la
direction de La Presse ne prend pas position publiquement. Elle suspend M.
Gobeil tradivement et le rétablit dans ses fonctions prématurément. M. Roland
Giroux, qui cumule les fonctions de président exécutif de La Presse et de
vice-président du conseil d’administration de la Régie des installations
olympiques, pourrait avoir joué un rôle dans cette affaire.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte du Syndicat des travailleurs de
l’information de La Presse contre le conseil d’administration et la direction de
l’information de ce journal et le responsable du service des sports, monsieur
Pierre Gobeil, concernant le comportement de ce dernier dans l’organisation du
combat de boxe Leonard-Duran au Stade olympique le 20 juin 1980.
Le STIP
demandait au Conseil de se prononcer sur le rôle joué par monsieur Gobeil dans
l’organisation du combat en question et sur l’influence que cela a pu avoir sur
les textes qu’en sa qualité de responsable des sports, il a pu commander aux
journalistes et sur les indications de mises en pages qu’il a pu donner aux
préposés au pupitre. Selon le plaignant monsieur Pierre Gobeil aurait dû
informer, dès le début, les lecteurs de La Presse du rôle qu’il jouait dans
l’organisation du combat, ce qui leur aurait permis de juger de la place,
considérée par plusieurs comme démesurée, accordée à sa «pré-couverture» et à
sa «couverture». Ne l’ayant pas fait, il ne pouvait que mettre en cause la
crédibilité des informations diffusées par La Presse.
Le STIP
demandait aussi au Conseil d’apprécier l’attitude de l’éditeur adjoint de
l’époque, monsieur Jean Sisto, du directeur de l’information, monsieur Yvon
Dubois, et des «autres membres de la direction de l’information» alors en place
qui, selon ce qu’écrivait monsieur Gobeil dans La Presse du 4 décembre 1982,
avaient été informés dès le départ de son implication dans cette affaire. Le
STIP s’étonnait que ni monsieur Sisto ni monsieur Dubois n’aient jugé bon à ce
moment-là d’exiger de monsieur Gobeil qu’il choisisse entre ses intérêts dans
la boxe et son travail comme responsable des pages des sports, qu’ils n’aient
pas pris publiquement position à ce sujet et n’aient décidé de le suspendre
qu’en décembre 1982, bien que Radio-Canada ait rendu compte de cet incident en
juillet 1981. Le STIP déplorait aussi la décision prématurée prise par la
direction de La Presse le 12 mars 1983 de rétablir monsieur Gobeil dans ses
fonctions avant même que le Conseil de presse n’ait rendu sa décision.
Enfin, le STIP
demandait au Conseil d’examiner le rôle joué dans cette affaire par monsieur
Roland Giroux, président du comité exécutif de La Presse et en même temps
vice-président du conseil d’administration de la Régie des installations
olympiques.
Commentaires du mis en cause
Selon le
président et éditeur de La Presse, monsieur Roger D. Landry, étant donné
l’absence de code formel de déontologie journalistique permettant de juger
facilement d’une situation de conflit d’intérêts, il était prématuré, sinon
injuste, que le Conseil de presse se prononce sur un cas particulier avant d’avoir
élaboré à la satisfaction de tous un tel code. La notion de conflit d’intérêts
chez les journalistes ne pouvait, selon lui, se réduire à une transmission
d’argent.
En effet,
«Comment ignorer, lorsque seul l’intérêt du public le commande, la situation du
journaliste qui, entre deux présidences d’une fédération importante de la CSN,
occupe dans son journal… le poste de chroniqueur syndical? Comment ignorer
qu’un journaliste, élu député, puisse réintégrer son journal et devenir du jour
au lendemain chroniqueur à l’Assemblée nationale? Faut-il interdire le retour
au métier de tout journaliste qui a passé quelques années au service d’un parti
politique ou comme haut fonctionnaire politique? Faut-il ignorer les annonceurs
de la télévision, passant aux yeux du public pour des journalistes, qui sont
payés par les commanditaires ou qui font la publicité d’articles de sport?
Enfin, comment ignorer qu’un animateur célèbre ait fait la publicité d’Air
Canada alors qu’il présentait l’émission par excellence des affaires publiques
de Radio-Canada? Comment ignorer qu’un éditorialiste en chef siège à une
commission gouvernementale tout en continuant à occuper son poste? Etc». Voilà
quelques questions soulevées par monsieur Landry qui soutenait d’autre part
qu’il n’avait aucune raison de douter de la bonne foi, de l’intégrité et de
l’honnêteté de la direction de l’information dans la couverture journalistique
du combat Leonard-Duran.
Monsieur Landry
soutenait que le public avait pu prendre connaissance de tous les aspects
sportifs et financiers de l’événement de façon exacte et complète. Ce combat
était un événement d’envergure mondiale et il avait été traité comme tel
conformément à la tradition nord-amÉricaine du sport professionnel. D’ailleurs,
les journalistes de la section des sports de La Presse, madame Liliane Lacroix
et messieurs Réjean Tremblay, Ronald King, Jean Beaunoyer, Michel Magny, Gilles
Pratte et Pierre Foglia soutenaient que jamais ils n’avaient subi de pressions
de la part de monsieur Pierre Gobeil pour accorder plus d’importance à cet
événement ou encore que ce dernier ait tenté d’influencer le contenu de leurs
articles. Les chefs de pupitre de l’époque, messieurs François Trépanier,
Pierre Terroux et Raymond Tardif affirmaient pour leur part que monsieur Gobeil
n’avait jamais tenté d’influencer la mise en pages des textes et des photos se
rapportant à l’événement en question.
L’éditeur
adjoint de La Presse, monsieur Michel Roy, ajoutait pour sa part qu’il ne
fallait pas considérer sa décision de rétablir monsieur Gobeil dans ses
fonctions comme un désaveu du Conseil de presse. S’il est vrai que ce dernier
peut et doit éclairer la profession dans cette affaire, c’est à la direction de
La Presse et à elle seule qu’il incombe, par ailleurs,de statuer sur le cas de
son journaliste quelles que soient les conclusions auxquelles en viendra le
Conseil. La Presse avait décidé d’appliquer désormais à tous les cadres de la
rédaction, et de manière explicite, les dispositions de la convention
collective relatives aux conflits d’intérêts, mesure que le STIP estimait
n’être que de la poudre aux yeux vu l’article 2.05 de la convention collective
qui dit que:
«La présente
convention ne doit pas être interprétée comme affectant ou limitant en aucune
façon, directement ou indirectement, les droits et obligations professionnels
des membres de la direction, des services de l’information et de l’éditorial».
Quant à monsieur
Roland Giroux, il s’en remettait à la réponse donnée au Conseil par le
Président et Éditeur de La Presse.
Analyse
Sans nier aux professionnels de l’information leur liberté d’opinion, d’expression et d’association, ils doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais toute situation qui risque de les faire paraître en de tels conflits susceptibles d’entacher l’intégrité et la crédibilité de l’information.
Or, dans le présent cas, le Conseil estime que monsieur Pierre Gobeil s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts en acceptant de participer à l’organisation du combat de boxe présenté au Stade olympique le 20 juin 1980 et en acceptant la gérance d’un boxeur tout en exerçant ses fonctions de journaliste et de directeur du service des sports du journal La Presse.
Les entreprises de presse doivent aussi éviter les conflits d’intérêts. Elles doivent aussi veiller à ce que leurs journalistes ne se retrouvent pas dans de telles situations. Or, à cet égard, le Conseil blâme la direction de La Presse de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour éviter la situation dénoncée, d’autant plus qu’elle fut informée «dès le départ» de «l’intérêt possible» de monsieur Gobeil dans l’organisation de la soirée de boxe en question.
Enfin, le Conseil prend bonne note de la décision de La Presse d’assujettir, désormais, tous les cadres de la rédaction aux dispositions de la convention collective relatives aux conflits d’intérêts qui dit, entre autres, «qu’aucun journaliste, photographe ou collaborateur régulier ne peut effectuer un travail rémunéré pour le compte d’un organisme ou d’une personne relié à son secteur d’activité au journal La Presse».
Analyse de la décision
- C22E Travail extérieur incompatible