Plaignant
M. André
Lévesque
Mis en cause
Le Soleil
[Québec]
Représentant du mis en cause
M. Alain
Guilbert (rédacteur en chef et éditeur adjoint, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Entre le 22 et
le 28 octobre 1983, Le Soleil accorde une couverture inadéquate aux événements
entourant l’invasion de la Grenade par les troupes amÉricaines, tant dans ses
éditoriaux que dans ses articles d’information. Il retient les propos des
autorités amÉricaines et néglige de rapporter la version cubaine. Après la
levée du blocus de l’île, Le Soleil ne fait pas état des nombreuses dépêches
qui ramènent à de plus justes mesures l’information alarmiste d’abord diffusée.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur André Lévesque qui s’en
prenait au traitement que Le Soleil a accordé à l’invasion de la Grenade par
les troupes amÉricaines en octobre 1983.
Monsieur Lévesque
reprochait aux éditorialistes de votre journal d’avoir livré à leurs lecteurs,
sans les en avertir, des informations non vérifiées qui se sont révélées
inexactes et sur lesquelles ils ne sont jamais revenus. Par exemple, ils
auraient pris pour acquis, sans plus, les propos tenus par le président Ronald
Reagan au cours d’une allocution, pour qualifier la présence de la force
militaire cubaine sur l’île «d’extraordinaire, d’alarmante», alors qu’ils
savaient fort bien que le blocus de l’île empêchait toute information «libre,
crédible et véritable» d’en sortir. Le blocus levé, ils ne se soucièrent
aucunement de faire état des nombreuses dépêches ramenant à plus juste mesure
l’information «alarmiste» sur laquelle ils avaient basé leurs éditoriaux. De même,
après avoir affirmé que le président cubain était resté silencieux sur les
intentions bellicistes de son pays, ils auraient négligé de faire état de ses
nombreuses déclarations et celles de son gouvernement, déclarations qui furent
amplement diffusées par les agences de presse. Devant cette constatation, le
plaignant se demandait si, malgré sa liberté d’expression, un éditorialiste n’a
pas le devoir «de tout mettre en oeuvre pour livrer des informations
véridiques, donc vérifiées et vérifiables, exactes et aussi complètes que
possible?»
En plus de ces
lacunes éditoriales, monsieur Lévesque dénonçait la qualité des informations
livrées par Le Soleil, notamment en ce qui a trait au nombre et à l’identité
des ressortissants cubains se trouvant sur l’île au moment de l’invasion. Votre
journal, sur ce point, ne se serait contenté que de rapporter les informations
diffusées par les autorités amÉricaines en en faisant état de la position
cubaine que près de deux semaines après la levée de l’embargo décrété par elles.
Aussi le plaignant se demandait-il s’il n’était pas du devoir du Soleil de
continuer, à la lumière d’autres sources, à «traiter de ce sujet de façon à
rendre ses informations plus complètes et, par voie de conséquence, plus
exactes»?
Commentaires du mis en cause
La plainte de
monsieur Lévesque ne vous apparaissait constituer qu’une «tempête dans un verre
d’eau». Et vous vous demandiez s’il ne fondait pas ses griefs sur la foi
d’informations dont il aurait disposé, mais auxquelles votre journal n’aurait
pas eu accès? Selon vous, le Soleil avait tenté de dégager ses informations
parmi les multiples sources «nécessairement amÉricaines et cubaines» et de les
rapporter au fur et à mesure de leur disponibilité, quitte à les confronter par
après à des sources indépendantes, l’important étant non de s’attarder sur «des
détails» comme le nombre exact et l’identité des Cubains à la Grenade, mais
plutôt de comprendre la situation dans son ensemble, telle que rapportée par la
presse internationale, en tentant d’en dégager les conséquences.
Vous signaliez,
d’autre part, que l’expression utilisée dans l’un des commentaires éditoriaux
concernant la présence cubaine «extraordinaire, alarmante» était du président
Reagan lui-même et non de votre éditorialiste qui s’en était inspiré, tout
comme il avait parfaitement le droit d’accorder «plus de crédibilité à la
version amÉricaine», l’éditorial étant essentiellement du journalisme
d’opinion.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, monsieur Lévesque maintenait toujours que votre journal avait trop
attendu pour corriger ses informations sur le nombre et l’identité des Cubains
présents à la Granade, qu’il aurait dû le faire avant que les lecteurs aient eu
le temps de les oublier et en sorte qu’ils puissent «prendre conscience des
distorsions des faits». Si plusieurs autres quotidiens les avaient corrigées,
c’est donc que ces informations, telles celles fournies par les coopérants de
Suco de retour de Grenade, étaient disponibles.
Contrairement
aussi à vos affirmations, monsieur Lévesque maintenait que ces informations
n’étaient pas des «détails» puisque le fondement même de l’argumentation
amÉricaine était que la Grenade devenait un bastion militaire soviéto-cubain et
que se trouvaient dans l’île plusieurs centaines de soldats cubains. D’où l’importance
d’en connaître le nombre et l’identité pour juger du bien-fondé de l’invasion.
Le plaignant trouvait d’ailleurs étrange la décision prise par votre journal,
dès la levée du blocus amÉricain, – «quelle coïncidence!» – de ne plus
s’attarder sur ce que vous appelez des «détails», alors que le nombre des
soldats cubains et des diplomates soviétiques était si important auparavant.
Selon monsieur
Lévesque et contrairement à ce que vous affirmiez, votre journal n’a pas non
plus suivi le déroulement de l’opération «tel que le rapportait alors la presse
internationale», puisque immédiatement après la levée de l’embargo amÉricain,
elle avait «construit ses principales manchettes autour du fait que les
informations amÉricaines livrées entre le 26 et le 31 octobre étaient
inexactes». Votre journal n’a pas non plus, à son sens, vraiment tenté de
dégager les conséquences de l’invasion en ne publiant pas les dépêches qui en
analysaient les dessous.
Enfin, monsieur
Lévesque contestait vos arguments concernant les éditoriaux. D’abord, si
l’expression «extraordinaire, alarmante» avait bien été une citation des propos
du président Reagan, pourquoi l’éditorialiste n’a-t-il pas fait usage de
guillemets? Par ailleurs, le président Reagan n’avait-il, selon lui, «à aucun moment
dans son discours» utilisé une telle expression! S’il reconnaissait, en outre,
que l’éditorialiste est libre d’émettre les opinions qu’il désire, monsieur
Lévesque insistait sur le fait que ce dernier «se doit d’être rigoureux dans le
traitement des informations brutes dont il se sert pour étayer ces mêmes
opinions». Or, ce n’est pas ce que votre éditorialiste a fait «en prétendant
que Castro avait menacé de faire tuer des diplomates, sans faire part du
démenti cubain qu’il connaissait», non plus qu’en acceptant, «sans les
discuter», les informations livrées par le président Reagan alors qu’aucun
journaliste n’avait encore pu se rendre sur place pour les vérifier.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information ne sont pas tenus de traiter de tous les aspects d’une question et ils sont libres de leurs choix rédactionnels. Ces choix ne doivent cependant pas trahir le sens des événements ou contrevenir au devoir de la presse d’informer adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Or, dans le présent cas, le Conseil est d’avis que la couverture d’ensemble accordée par Le Soleil tout au cours de la crise de la Grenade reflétait les informations alors disponibles. Toutefois, par souci d’informer ses lecteurs aussi complètement que possible, ce journal aurait dû, par la suite, faire état des informations corrigées sur le nombre et l’identité des Cubains présents à l’île de Grenade. En ne le faisant pas, Le Soleil a renforcé les fausses perceptions du public sur cet événement à portée internationale.
Le Conseil ne retient aucun blâme contre les éditoriaux, leur signataire s’étant acquitté de leur fonction conformément à leur prérogative et aux exigences de l’éthique journalistique.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C02C Accorder un suivi à une affaire
- C12B Information incomplète