Plaignant
M. Jean De Larue
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et The Gazette [Montréal]
Représentant du mis en cause
Mme Lise
Bissonnette (rédactrice en chef, Le Devoir [Montréal]) et M. Mel Morris
(managing editor, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Le Devoir boude
la Rencontre franco-québécoise sur la culture, tenue à Montréal et Québec en
juin 1984, en n’y affectant aucun journaliste. Il se contente d’un seul
article, pour annoncer la tenue de l’événement, et de quelques dépêches
d’agences de presse. The Gazette, pour sa part, n’informe ses lecteurs que de
l’appui du ministre français des Affaires culturelles aux lois 101 et 109. Ce
faisant, le journal ne rend pas correctement compte du passage de ce ministre
au Québec et de la Rencontre elle-même.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de votre plainte contre les quotidiens Le Devoir et
The Gazette qui, selon vous, ont mal couvert la Rencontre franco-québécoise sur
la culture tenue à Montréal et Québec en juin 1984.
D’une part, Le
Devoir aurait boudé, voire même boycotté, cette rencontre, puisqu’il n’y a
affecté aucun de ses journalistes et, fait surprenant pour un journal qui se prétend
et affirme être le journal culturel de référence au Québec, se serait contenté
de n’y consacrer qu’un seul article, pour en annoncer la tenue, et quelques
dépêches d’agences de presse.
Quant à The
Gazette, en n’informant ses lecteurs que de l’appui du ministre français des
Affaires culturelles, Jack Lang, aux lois 101 et 109, elle ne pouvait certes
leur transmettre «un reflet fidèle et une synthèse intègre, objective, de son
passage parmi nous», non plus que sur la Rencontre elle-même.
Commentaires du mis en cause
La rédactrice en
chef du Devoir, madame Lise Bissonnette, considérait qu’il n’était «absolument
pas du ressort du Conseil de presse d’évaluer l’importance que doit accorder un
journal à la couverture de tel ou tel événement et encore moins d’en juger»,
comme vous le suggériez, «à partir d’une idée subjective de ce que serait la
«vocation» particulière d’un journal». Aussi considérait-elle votre plainte
comme «futile», puisque vous n’accusiez Le Devoir «précisément de rien» sauf de
vous avoir «laissé sur votre appétit» et non d’avoir été «trompé, lésé ou
induit en erreur».
Madame
Bissonnette refusait donc d’exposer les détails de la «politique d’affectation
des ressources à l’intérieur du Devoir» ou encore de la couverture de certains
colloques, s’agissant là de décisions internes qu’il serait «parfaitement
ridicule» d’avoir à expliquer «devant un Conseil de presse».
Le «Managing
Editor» du quotidien The Gazette, monsieur Mel Morris, expliquait quant à lui
au Conseil que son journal n’avait pas cru devoir affecter de journaliste à
Québec et n’avait pas non plus publié le texte de son journaliste à Montréal
parce que la Rencontre ne lui avait pas semblé présenter un intérêt
journalistique suffisant. Aussi, ce journal s’en était-il tenu à rapporter la dépêche
que la Presse canadienne avait publiée le 7 juin.
Quant à
l’emphase sur l’appui du ministre Lang aux lois 101 et 109, elle était tout à
fait justifiée puisqu’il l’avait exprimé à plusieurs reprises et avec une
insistance évidente. Quel mal y a-t-il d’ailleurs à souligner qu’un ministre
étranger est favorable à des lois québécoises? A ce sujet, il rejetait comme
non fondée votre impression à savoir qu’une telle façon de faire ait pu
alimenter les préjugés des lecteurs de ce journal.
Réplique du plaignant
Dans votre
réplique, vous souteniez que c’était «un secret de polichinelle» que Le Devoir
ait boycotté la Rencontre «parce qu’on ne l’avait pas invité», ce qui aurait
été corroboré tant par les responsables de la Rencontre que par le directeur
des pages culturelles du journal. «Mais y aurait-il deux poids, deux mesures?»,
vous interrogiez-vous. Le Devoir qui s’était lui-même «scandalisé» d’un appel
au boycottage des gens de théâtre comme menaçant le droit à l’information, ne
fait-il pas subir le même traitement à cet événement? Et voilà «posé le
problème du droit du public à l’information et la place qu’occupe le secteur
culturel dans la couverture traditionnellement offerte par les mass média».
Votre référence
à la vocation culturelle particulière du Devoir, que sa rédactrice qualifiait
de subjective, s’inspirait des propos mêmes de cette dernière à savoir que le
journal offre la meilleure couverture culturelle au Québec.
Enfin, la
Rencontre franco-québécoise sur la culture ne constituant pas un colloque quelconque
ou une rencontre anodine, sa couverture journalistique ne pouvait, selon vous,
relever d’une décision interne qui est prise, comme d’autres, au jour le jour.
La rédactrice en chef devait donc expliquer cette décision. D’ailleurs,
l’indignation de cette dernière face au boycottage, dont son journal fut
l’objet par les gens de théâtre, justifiait, «pour les mêmes raisons de liberté
de presse et de droit à l’information, que l’on s’indigne de son comportement
dans le cas présent.
Quant au journal
The Gazette, vous doutiez qu’il ait pris la peine d’affecter à la Rencontre un
journaliste «préparé et au fait des questions de politiques et d’industries
culturelles», ce qui expliquerait, selon vous, son manque d’intérêt, bien que
de l’aveu même de l’éditeur du journal, le ministre français de la culture,
étant considéré comme un «prominent visiting minister from another country», il
y aurait eu de nombreuses possibilités de sujets à traiter en termes de
développement des politiques culturelles dans le monde.
Enfin, vous vous
interrogiez sur la nature des doutes de monsieur Morris sur l’existence de
préjugés chez les lecteurs de son journal vu qu’il affirmait lui-même que la
direction de ce dernier avait présumé de peu d’intérêt de la Rencontre.
Analyse
Le choix et le traitement que décident d’accorder les médias et les journalistes à un sujet particulier et la façon de le traiter relèvent de leur autorité et de leur jugement rédactionnels et le Conseil ne saurait intervenir dans ces décisions sauf pour revoir, au besoin, si elles correspondent aux exigences du droit à l’information, soit au devoir et à l’obligation qu’ont les médias de renseigner adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Or, bien qu’il comprenne votre déception face au peu d’intérêt accordé par Le Devoir et The Gazette à la Rencontre en question, le Conseil ne peut, sur la base du dossier que vous lui avez confié, conclure que ces journaux aient privé leurs lecteurs d’une information, sans doute d’intérêt public et qu’à bon droit vous jugez importante. Il s’agit là d’une décision purement rédactionnelle et, pas plus que quiconque, le Conseil ne saurait-il, sans risquer de devenir un instrument de censure ou d’orientation de l’information, dicter aux médias le contenu de l’information.
Enfin, ce n’est pas le rôle du Conseil de se prononcer sur l’importance qu’un média doit accorder à un domaine d’activité particulier, en l’occurrence l’information culturelle. C’est plutôt au public lecteur de faire valoir ses exigences et ses besoins aux médias.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02E Importance des secteurs d’information