Plaignant
M. Rachad
Antonius
Mis en cause
The Suburban
[Côte-Saint-Luc] et Peter Lust (chroniqueur)
Représentant du mis en cause
M. Martin Stone
(éditeur, The Suburban [Côte-Saint-Luc])
Résumé de la plainte
Dans sa colonne
«Commentary» du 18 avril 1984, le chroniqueur Peter Lust du Suburban affirme
mensongèrement que M. Zehdi Terzi, de l’OLP, a profité de sa comparution devant
un comité du Sénat pour prêcher la haine à l’égard des Juifs et d’Israël. Par ailleurs,
le chroniqueur prétend à tort qu’une conférence sur le racisme et le sionisme,
tenue quelques années plus tôt à Tripoli, était dirigée contre les Juifs et les
sionistes. The Suburban ne publie pas la lettre de protestation du plaignant.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur Rachad Antonius qui
reprochait au chroniqueur Peter Lust d’avoir publié des informations fausses
dans sa colonne «Commentary» de l’édition du 18 avril 1984 de l’hebdomadaire
The Suburban.
Commentant le
témoignage d’un représentant de l’Organisation pour la libération de la
Palestine, monsieur Zehdi Terzi, devant un comité du Sénat canadien, le
chroniqueur prétendait que monsieur Terzi avait profité de cette occasion pour prêcher
la haine à l’égard des Juifs et d’Israël. Pourtant, selon le plaignant, on ne
retrouvait nulle part dans le témoignage de monsieur Terzi de propos qui
puissent être interprétés de cette façon.
De plus, la
chronique de monsieur Lust contenait un commentaire à l’effet qu’une conférence
tenue quelques années plus tôt à Tripoli sur le racisme et le sionisme était
dirigée contre les sionistes et contre les Juifs en tant que groupe
identifiable. Le chroniqueur affirmait que certains des discours présentés à
cette conférence auraient pu être écrits par Joseph Goebbels ou Julius
Streicher. Encore là, le plaignant affirmait que la lecture des textes de cette
conférence démontrait qu’il n’en était rien.
Le plaignant
soutenait que de telles accusations «mensongères et diffamatoires» avaient eu
une grande influence sur les lecteurs, comme en témoignaient les lettres
publiées dans le journal à ce sujet, et il exigeait une rétractation «explicite
et non ambiguë» de monsieur Lust.
Commentaires du mis en cause
Se référant au discours
de monsieur Terzi devant le comité du Sénat canadien, monsieur Lust affirmait
pour sa part que le représentant de l’OLP avait effectivement blâmé le peuple
juif en employant l’expression «terrorism by JEWISH gangs» pour des actes
commis dans les années trente. Il poursuivait en faisant valoir que monsieur
Terzi était réputé pour ses sorties contre le peuple juif qu’il associait
souvent au mouvement nazi («JUDEO-NAZI Troops»). Se fiant à une de ses propres
sources qui avait assisté à la séance du comité du Sénat, monsieur Lust
affirmait également que monsieur Terzi s’était attaqué en dehors du Parlement
canadien au lobby juif du pays qui, d’après lui, essayait de répandre de
fausses informations sur l’OLP.
Pour ce qui est
de ses remarques sur les discours présentés à la Conférence de Tripoli,
monsieur Lust faisait mention d’une autre source, qu’il ne pouvait identifier
pour raison de sécurité, et qui aurait assisté à cette conférence. Monsieur
Lust précisait cependant que sa source lui parlait non pas des discours
officiels de la conférence, mais bien des échanges enregistrés lors des
ateliers de travail de cette rencontre. Durant ces échanges, on aurait fait
mention de l’excellent travail fait par l’ex-Grand Mufti de Jérusalem, El
Husseini, qui aurait rencontré plusieurs fois Hitler afin d’échanger de
l’information sur les moyens d’exterminer le peuple juif. Monsieur Lust
ajoutait enfin qu’il montait depuis quelque temps un dossier sur les affinités
et la coopération qui existeraient entre l’OLP et les groupes néo-nazis
allemands actuels. Toutefois, les conclusions de ce dossier n’étant pas
finalisées, il ne pouvait en faire part au Conseil. Disant ne pas douter de la
bonne foi et de la compétence de monsieur Lust, et constatant le profond
désaccord entre le chroniqueur et le plaignant, monsieur Martin Stone, éditeur
du Suburban, affirmait avoir offert à monsieur Antonius de publier son point de
vue sous forme d’une lettre ouverte. Cette offre, disait-il, fut maintes fois
répétées, mais en vain.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
propos, le plaignant faisait remarquer que le terme générique «Juif» était
utilisé par opposition à «Arabe». Pour ce faire, il citait certains discours
d’hommes de lettres et d’hommes politiques qui avaient employé cette expression
pour des raisons fort différentes les unes des autres. «Dans ces conditions,
disait-il, accuser monsieur terzi de prêcher la haine contre les Juifs» sur
cette seule base était tout simplement injustifié, vu l’emploi généralisé de ce
terme pour désigner tout groupe de personnes ayant une origine juive. Monsieur
Antonius poursuivait en affirmant que monsieur Lust avait induit ses lecteurs
en erreur, et qu’il avait ensuite utilisé cette erreur pour justifier ses choix
politiques.
Monsieur
Antonius notait par ailleurs que monsieur Lust n’avait nommé aucun discours de
la Conférence de Tripoli qui aurait pu être écrit par Goebbels ou Streicher. Il
se contentait «de dire qu’il a un ami qui lui a dit que … etc …» Quant à
rapprocher les idées du Mufti de Jérusalem, les groupes allemands néo-nazis et
la Conférence de Tripoli, cela tenait, aux dires du plaignant, de l’amalgame.
Enfin, le
plaignant rappelait au Conseil qu’il avait déjà adressé par écrit ses
protestations au journal et que l’éditeur ne les avait pas publiées.
Analyse
Le chroniqueur jouit d’une grande latitude dans la formulation de ses jugements et l’expression de ses prises de position. Le genre journalistique particulier que constitue la chronique, qui tient à la fois autant de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information, permet en effet au journaliste d’exprimer ses critiques et de faire valoir ses points de vue.
Il ne saurait toutefois, même par le truchement d’une chronique, se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude que lui impartissent sa fonction et sa responsabilité d’informateur public. Les professionnels de l’information doivent en effet éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de travestir les événements de façon à leur donner une signification qu’ils n’ont peut-être pas ou à laisser planer à leur sujet des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes auprès de l’opinion publique.
Dans le présent cas, il n’appartient pas au Conseil de trancher le débat d’idées qui oppose le plaignant à monsieur Lust. Le Conseil est cependant d’avis que monsieur Lust aurait pu être plus clair quant à ses affirmations sur les propos tenus par le représentant de l’OLP en marge de sa comparution au Sénat ainsi que sur les discours de la Conférence de Tripoli. Tout en respectant la confidentialité des sources de monsieur Lust, le Conseil estime qu’il aurait pu néanmoins expliquer à ses lecteurs sur quelles bases il s’appuyait pour faire ses affirmations.
Le Conseil note enfin que la direction du Suburban offre toujours au plaignant de s’exprimer dans la page réservée au courrier des lecteurs. Il serait donc souhaitable que le débat d’idées amorcé entre le plaignant et le chroniqueur puisse se poursuivre à ce niveau.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C08A Choix des textes