Plaignant
Le Regroupement
des citoyens de Lachine
Représentant du plaignant
Mme Réjeanne St-Michel-Piper
(présidente, Regroupement des citoyens de Lachine)
Mis en cause
Le Messager
[Lachine] et M. Michel Lalande (directeur)
Résumé de la plainte
Le directeur du Messager
de Lachine, M. Michel Lalande, nuit à l’information du public par ses décisions
arbitraires visant à protéger la ville de Lachine. Il refuse de publier des
informations relatives à certaines irrégularités entourant un projet de
développement d’un terrain municipal, mais ouvre ses pages au promoteur
concerné. Plusieurs autres exemples témoignent du parti pris de M. Lalande à
l’égard de l’administration municipale, qui constitue la meilleure cliente de
son journal.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de madame Réjeanne St-Michel-Piper,
présidente du Regroupement des citoyens de Lachine (RCL), contre le directeur
de l’hebdomadaire Le Messager, monsieur Michel Lalande. La plaignante
considérait que celui-ci nuisait «à la bonne distribution de l’information» par
ses décisions arbitraires visant à protéger la ville de Lachine, qui était la
meilleure cliente de son journal.
Monsieur Lalande
aurait refusé de publier des informations du RCL relatives à un projet de
développement d’un terrain municipal, ceci afin de favoriser la succession
Gameroff, promotrice du projet. Dans ce cas, le Regroupement dénonçait des
irrégularités commises dans la confection et la tenue d’un registre municipal
auquel devaient s’inscrire les citoyens désireux que soient soumises à un
scrutin secret les modifications aux règlements de zonage adoptées par la ville
de Lachine en vue de favoriser le projet de la succession Gameroff.
Seule la
position de la succession Gameroff aurait été publiée, à la fois sous forme
d’une «lettre publicitaire» et dans le cadre d’un article d’information
apparaissant dans la même édition du 8 août 1984. Le directeur du Messager
aurait dit alors ne pas avoir de preuves suffisantes du bien-fondé des
allégations du RCL. Pourtant, un autre hebdomadaire de la région, The
Chronicle, et l’édition «West Island» du quotidien The Gazette auraient fait
état des informations du RCL.
La plaignante
reprochait également à monsieur Lalande de n’avoir pas vérifié une allégation
de la «lettre ouverte» du 8 août de la succession Gameroff comme quoi son
projet n’avait pas suscité de critique, alors qu’une pétition de 861 signatures
avait été déposée auprès du conseil municipal par des citoyens opposés à ce
projet.
Selon madame
St-Michel-Piper, ce n’était pas la première fois que le directeur du Messager
favorisait ainsi le conseil municipal en refusant de publier des informations
d’intérêt public. Elle soutenait avoir remis à monsieur Lalande, en mars 1984,
des documents exposant les abus commis dans les dépenses engagées par la ville
au titre de «frais de délégation». Monsieur Lalande aurait reconnu l’existence
de certains abus, mais il aurait refusé d’en faire état sous prétexte que ces
dépenses étaient légales. Pourtant, encore là, The Gazette avait publié ces
informations. Selon la plaignante, les vraies raisons de monsieur Lalande pour
ne rien publier sur le sujet étaient reliées soit au fait que le conseiller
municipal qui avait le plus dépensé à ce titre était aussi chroniqueur du Messager,
soit à des pressions de la part du directeur général de la ville.
Enfin, la
plaignante faisait état de cet autre événement survenu en 1983 lorsqu’elle
avait obtenu 1200 signatures sur une pétition contestant la nomination du
nouveau directeur général de la ville de Lachine. Monsieur Lalande avait publié
un éditorial dans lequel il qualifiait cette pétition d’immorale. Outre de se
demander «depuis quand» une pétition de plus de 1000 signatures était immorale
dans une société démocratique, la plaignante disait avoir des raisons des
croire que cet éditorial avait été composé par le maire de Lachine, monsieur
Guy Descary. En effet, celui-ci aurait, au cours de l’assemblée du conseil
municipal, utilisé les mêmes termes que ceux contenus dans l’éditorial et il
aurait semblé «très embarrassé» lorsque madame St-Michel-Piper lui en avait
fait la remarque.
Dans l’ensemble
donc, tout en admettant que le Messager avait par le passé publié plusieurs
informations en provenance du RCL, la plaignante reprochait à monsieur Lalande
«ses censures sur des informations importantes». Elle considérait qu’à la
lumière des exemples fournis, le Conseil de presse devait le réprimander
sérieusement pour la façon dont il favorisait l’administration municipale de
Lachine.
Commentaires du mis en cause
Pour sa part,
monsieur Lalande disait douter, en premier lieu, de la représentativité du RCL
qui ne comptait qu’à peine une soixantaine de personnes alors que la population
de la ville était de 40 000. Il faisait remarquer aussi que les ambitions politiques
de la plaignante étaient connues dans le milieu.
Quant au fait
que la ville de Lachine était la principale cliente du Messager, monsieur
Lalande affirmait que c’était le cas de tous les hebdomadaires publiés dans la province
«non pas par choix, mais par obligation», puisque les municipalités se devaient
de publier tous les règlements, amendements et avis qu’elles adoptent.
Madame
St-Michel-Piper aurait eu «tout le loisir de s’exprimer dans le journal par le
biais de lettres à l’éditeur» et monsieur Lalande l’aurait même invitée à le
faire dans les deux cas présentement soumis au Conseil.
Par ailleurs,
monsieur Lalande tenait à préciser que la «lettre publicitaire» avait bien été
payée par la succession Gameroff et qu’il avait accepté de publier cette page
parce qu’elle «ne contenait pas (…) de fausses informations».
Concernant les
supposées irrégularités ayant entouré la tenue du registre municipal, monsieur
Lalande affirmait qu’il avait communiqué avec la Ville pour s’enquérir des
faits. Le directeur général lui aurait alors déclaré que la Ville avait suivi à
la lettre les exigences de la loi. De plus, le ministère des Affaires
municipales aurait donné raison aux autorités municipales à la suite, de
l’étude d’une plainte de madame St-Michel-Piper.
Par ailleurs,
monsieur Lalande expliquait au Conseil les motifs qui l’avaient poussé à
traiter d’immorale la pétition du RCL qui demandait de revoir la nomination du directeur
général. Madame St-Michel-Piper aurait utilisé «un stratagème odieux afin
d’inciter les gens à signer cette pétition». Elle leur aurait affirmé que le
directeur général avait fait des promesses à un des conseillers municipaux,
l’assurant d’un poste à la Ville s’il votait en sa faveur. «Comment, de
conclure monsieur Lalande, faire confiance aux propos que tient madame
St-Michel-Piper?» Le directeur du Messager niait par ailleurs que le maire eut
été l’auteur de son éditorial. Affirmant qu’il n’avait jamais éprouvé le besoin
de faire appel à personne pour ce faire, monsieur Lalande soulignait que la
plaignante faisant de «nombreuses affirmations gratuites qui n’avaient aucune
base rationnelle».
Enfin,
relativement au dossier des abus commis dans les dépenses engagées par la Ville
au titre de «frais de délégation», le Messager avait bel et bien fait paraître
un article à ce sujet. Monsieur Lalande terminait en souhaitant la bienvenue à
madame St-Michel-Piper lorsqu’elle désirerait s’exprimer dans le journal. Il la
prévenait cependant que son journal ne deviendrait jamais un instrument
politique en sa faveur.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, la plaignante affirmait qu’en voulant la ridiculiser et la diminuer
auprès du Conseil de presse pour son militantisme et ses activités de critique
municipale, monsieur Lalande aurait prouvé que la seule information valable
pour lui était celle provenant de l’Hôtel de ville.
Elle rectifiait,
preuve à l’appui, les affirmations de monsieur Lalande quant à la décision du
ministère des Affaires municipales au sujet de sa plainte sur les irrégularités
dénoncées dans la tenue des registres de la ville. Le ministère ne pouvait en
effet se prononcer sur le cas soumis car cela n’était pas de sa juridiction, le
seul recours de madame St-Michel-Piper étant les tribunaux. La plaignante niait
également que c’était à des fins politiques qu’elle se servait de la tribune du
Messager, et elle précisait que le RCL n’était pas un parti, mais bien un
groupe politique.
Analyse
D’une part, l’attention que décide de porter un journaliste ou un organe d’information à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix et l’importance du sujet, de même que la façon de le traiter lui appartiennent en propre. Ces choix ne doivent cependant pas trahir le sens des événements ou contrevenir au devoir de la presse d’informer adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
D’autre part, il n’appartient pas au Conseil de se prononcer sur le contenu des éditoriaux publiés par les organes d’information, chacun étant libre, au nom même de la liberté de la presse et d’expression, de sa politique en la matière. Ceux qui les formulent doivent cependant le faire avec rigueur et avec la connaissance du sujet dont ils traitent.
Dans le présent cas, le Conseil estime que le dossier soumis par le Messager démontre que ce journal a traité de l’ensemble des activités municipales de Lachine, exception faite des irrégularités dans la tenue des registres de la ville dénoncées par la plaignante. Le Conseil ne saurait toutefois, outre que par voie de procès d’intention, juger du silence du Messager sur cette question. La plaignante n’a pu démontrer que le journal et son directeur ont biaisé l’information, qu’il s’agisse de la couverture des événements ou des éditoriaux.
Enfin, le Conseil prend note de l’accès à la tribune des lecteurs dont jouit la plaignante et ne saurait qu’encourager, pour le maintien d’une libre circulation de l’information, cette pratique du journal.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C08A Choix des textes
- C13A Partialité
Date de l’appel
26 March 1985
Appelant
Regroupement des
citoyens de Lachine
Décision en appel
La plaignante
reprend les mêmes griefs que ceux présenté en première instance tout en
estimant que la décision du Comité des cas est celle d’un organisme qui craint
de dévoiler la vérité afin de s’éviter les représailles du directeur du
Messager.
Le Conseil rejette
l’appel et maintient en tout point la décision rendue par le Comité des cas.