Plaignant
Le Centre
Lucie-Bruneau
Représentant du plaignant
M. Guy Pagé (président
du conseil, Centre Lucie-Bruneau)
Mis en cause
CFCF-TV [CTV,
Montréal] et Mme Marilyn Weston (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Michael
Donegan (vice-président, nouvelles et affaires publiques, CFCF-TV [CTV,
Montréal])
Résumé de la plainte
Un reportage de
la journaliste Marilyn Weston, diffusé sur les ondes de CFCF dans le cadre de
l’émission «As it is» du 6 mai 1984, présente une image faussée des
administrateurs du Centre Lucie-Bruneau, propre à discréditer ceux-ci auprès de
l’opinion publique. La journaliste fait état de plusieurs accusations erronées
et laisse croire, à tort, qu’une personne interviewée parle au nom de la
Fondation Lucie-Bruneau. Son reportage contient des scènes sans relation avec
le sujet traité et utilise, sans autorisation, une entrevue réalisée hors
contexte avec un administrateur du Centre.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte portée par les membres du conseil
d’administration du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau contre la station de
télévision CFCF et madame Marilyn Weston.
Selon les
plaignants, un reportage diffusé le 6 mai 1984 à l’émission «As it is» de CFCF
aurait contenu des images et des propos «erronés, mensongers, tendancieux et
diffamatoires à leur endroit», donnant ainsi d’eux une image faussée, apte à
discréditer aux yeux du public la réputation du Centre de réadaptation
Lucie-Bruneau et celle de ses administrateurs et de son directeur général.
Ainsi, le
reportage aurait fait état d’une accusation complètement fausse selon laquelle
les responsables du Centre de réadaptation auraient dépensé à outrance des
sommes importantes afin de rénover certains locaux administratifs. Des
accusations similaires étaient portées dans le cas de délégations à un congrès
à Winnipeg et à un autre qualifié lors de l’émission de «Picnic in Portugal»,
ces représentations à l’étranger étant même associées par les intimées à une
supposée volonté des dirigeants du Centre de servir le nationalisme québécois.
Les intimés
auraient tout aussi faussement laissé croire durant l’émission que l’une des
personnes interviewées, monsieur Réal Maltais, parlait au nom de la Fondation
Lucie-Bruneau et des membres de son conseil d’administration.
Reproduisant par
ailleurs des scènes filmées qui «n’étaient d’aucune façon reliées de près ou de
loin avec le sujet de l’émission» et dans lesquelles on voyait des personnes
handicapées manifester pour l’obtention de fonds, le reportage constituait
notamment une atteinte à leur intégrité et laissait faussement croire que ces
personnes contestaient les actions prises par le conseil d’administration du
Centre Lucie-Bruneau.
Les plaignants
reprochaient aussi aux intimées d’avoir reproduit une entrevue avec un membre
du conseil d’administration du Centre, monsieur Marcel Théoret, «sans son
consentement et contre sa volonté». Cette entrevue aurait été accordée dans le
cadre d’une toute autre affaire. Elle était reproduite hors contexte et dans la
perspective de nuire à la réputation de monsieur Théoret et à «sa dignité de
personne handicapée».
Enfin, l’on
aurait rapporté des accusations anonymes gratuites et sans fondement à
l’endroit du directeur général du Centre, monsieur Jacques-Gilles Laberge, sans
lui permettre d’expliquer son opinion et sans que le conseil d’administration
ne puisse faire valoir ses vues. De plus on ne mentionnait pas qu’une enquête
impartiale et objective avait exonéré monsieur Laberge.
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, la
station CFCF niait avoir voulu porter atteinte à la réputation du Centre et de
ses directeurs. L’émission mettait en doute, toutefois, le jugement de ces
mêmes directeurs qui avaient attribué de larges sommes à une réfection luxueuse
de locaux administratifs. L’émission voulait soulever la pertinence d’une telle
réfection ainsi que les sommes importantes dépensées lors des voyages à
Winnipeg et au Portugal alors que les personnes handicapées se voyaient
répondre par le gouvernement du Québec qu’il n’y avait plus d’argent pour eux.
L’expression
«Picnic in Portugal, reprochée à CFCF, serait non pas une invention de la
journaliste, mais l’opinion exprimée par quatre personnes travaillant ou ayant
travaillé au Centre Lucie-Bruneau et qui considéraient excessives de telles
dépenses.
La station CFCF
affirmait, d’autre part, que ce sont les propos mêmes du directeur du Centre,
monsieur Laberge, qui laissaient supposer que les raisons pour justifier de
telles dépenses semblaient d’ordre nationaliste. Elle admettait, toutefois,
qu’il aurait été plus clair d’employer le mot «prestige» au lieu de
«nationalism» puisque ce dernier possède une grande variété de sens.
CFCF niait
également avoir laissé entendre que monsieur Réal Maltais parlait au nom de la
Fondation et du conseil d’administration et citait un extrait de l’émission où
ce dernier disait parler en son propre nom. La station disait aussi n’avoir pas
voulu discréditer les personnes handicapées en montrant des images de leur
manifestation devant les bureaux du gouvernement; on jugeait au contraire très
légitime, à CFCF, d’avoir fait le lien avec les faits reprochés à
l’administration du Centre Lucie-Bruneau et la demande des personnes
handicapées de recevoir plus d’argent. La communauté des personnes handicapées de
Montréal n’avait pas officiellement blâmé le Centre Lucie-Bruneau, mais il
était normal de croire, selon CFCF, qu’elle abonderait dans ce sens si elle
connaissait les faits.
CFCF avait utilisé
une entrevue avec monsieur Marcel Théoret pour les mêmes raisons que celles qui
motivaient la présentation d’images de la manifestation à laquelle assistait
d’ailleurs monsieur Théoret. La station estimait, par ailleurs, qu’il
n’appartient pas au conseil d’administration du Centre Lucie-Bruneau de porter
plainte contre elle pour avoir cité hors contexte monsieur Théoret, mais bien à
ce dernier, ce qu’il n’a pas fait.
Pour ce qui est
des accusations anonymes rapportées lors de l’émission, CFCF parlait
effectivement d’une lettre anonyme étant à l’origine de l’enquête qui,
subséquemment, exonérait monsieur Laberge et son administration. Le reportage
ne faisait pas mention de cette enquête car les responsables du programme
avaient jugé que le rapport remis à l’administration n’était pas valable
puisqu’il avait été préparé par la firme comptable qui s’occupe habituellement
de la vérification des livres du Centre. Il devenait clair pour eux qu’une
telle enquête n’était pas impartiale puisqu’elle aurait mis en doute
l’expertise même de ces comptables advenant un blâme contre l’administration du
Centre Lucie-Bruneau.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, le conseil d’administration du Centre affirmait que la station CFCF
et sa journaliste avaient exagéré le nombre de personnes qui contestaient le
bien-fondé des dépenses engagées par les administrateurs du Centre
Lucie-Bruneau. Deux des quatre personnes mentionnées par CFCF ne se seraient
jamais prononcées sur les accusations dont il est question dans le reportage. De
plus, il était faux de prétendre que les dépenses de rénovation de locaux
étaient exagérées, tout comme on laissait faussement croire que la délégation
au congrès du Portugal n’était composée que d’administrateurs du Centre. Le
conseil d’administration dressait à cet effet une liste des délégués et leur
fonction respective. L’ensemble du budget global de l’établissement aurait été
respecté et aucun plan de redressement n’aurait été prévu à cause des dépenses
occasionnées par le congrès international.
Le conseil
d’administration affirmait de plus qu’il était tendancieux de rappeler aux
auditeurs qu’il y avait eu une enquête sur l’administration du directeur,
monsieur Laberge, sans en mentionner les conclusions, laissant ainsi planer le
doute quant à la crédibilité du directeur. Les plaignants trouvaient d’ailleurs
fort étranges les commentaires des intimées concernant l’objectivité des
vérificateurs comptables responsables de l’enquête et ils se demandaient «très
sérieusement à quel titre et comment les intimées pouvaient porter un tel
jugement».
Les plaignants
croyaient toujours que les propos tenus à leur sujet mettaient effectivement en
cause la réputation de l’ensemble des membres du conseil d’administration et
par voie de conséquence celle du Centre Lucie-Bruneau, puisque les décisions
attaquées lors du reportage avaient été prises par tous les membres du conseil.
Il était également tendancieux de citer hors contexte monsieur Théoret en
faisant croire aux éditeurs qu’il s’opposait aux décisions du Centre, alors
qu’il en est un des administrateurs et qu’il avait lui aussi approuvé ces
dépenses. Il était aussi faux de prétendre que monsieur Théoret ne s’était pas
objecté à ce qu’on le cite hors contexte alors qu’il est un des signataires de
la présente plainte.
Les plaignants
faisaient remarquer que ce n’était qu’à la toute fin de l’émission qu’il était
clairement dit que monsieur Réal Maltais parlait en son propre nom. Pendant
tout le reste de l’émission, on aurait laissé croire qu’il parlait au nom de la
Fondation du Centre Lucie-Bruneau et de son conseil d’administration, cela
n’aidant pas du tout à clarifier la situation.
Le conseil
d’administration ne trouvait pas du tout légitime d’associer une manifestation
de personnes handicapées avec les sommes dépensés.
En effet, le
mandat et le budget du Centre Lucie-Bruneau relèvent non pas du ministère des
Affaires sociales du Québec, auprès duquel les personnes handicapées faisaient
valoir leur demande, mais bien des CLSC. Les sommes dépensées par le Centre
Lucie-Bruneau ne pouvaient donc pas influencer la décision du MAS de ne pas
octroyer plus d’argent aux personnes handicapées. De plus, CFCF admettait
elle-même, selon les plaignants, que les séquences de l’émission reproduisant
hors contexte la manifestation tendaient à démontrer que les personnes
handicapées désapprouvaient les décisions du conseil d’administration du Centre
Lucie-Bruneau.
Enfin, les
plaignants laissaient au Conseil de presse le loisir d’apprécier le sérieux des
remarques de CFCF sur l’opportunité qu’il y aurait eu d’utiliser le mot
«prestige au lieu de «nationalism» pour qualifier les motivations du Centre à
déléguer des représentants à divers congrès.
Analyse
L’attention que décident de porter un journaliste et un organe d’information à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix et l’importance du sujet, de même que la façon de le traiter leur appartiennent en propre.
Ces choix ne doivent cependant pas trahir le sens des événements ou contrevenir au devoir de la presse d’informer adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Dans le présent cas, le Conseil estime que, dans l’ensemble, les faits rapportés dans l’émission étaient d’intérêt public et traités avec équité par la station CFCF et sa journaliste, madame Marilyn Weston. Au sujet de l’administration du Centre, la journaliste aurait cependant dû mentionner les conclusions d’une enquête qui exonérait son directeur, quitte, pour madame Weston, à faire part aux auditeurs de ses doutes sur le sérieux de cette enquête.
Le Conseil considère par ailleurs que l’administration du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau a eu la chance de s’exprimer en ondes sur les diverses accusations qu’on lui portait et on ne peut blâmer les intimées d’avoir voulu atteindre à la réputation de qui que ce soit.
Concernant l’expression «Québec nationalism», le Conseil prend note que la station a reconnu qu’il aurait été plus clair d’utiliser «prestige» au lieu de «nationalism», compte tenu des connotations ambiguës, voire partisanes, que le mot «nationalism» peut avoir au Québec.
Analyse de la décision
- C11H Terme/expression impropre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
Date de l’appel
26 March 1985
Appelant
Centre
Lucie-Bruneau
Décision en appel
Les plaignants
se disent insatisfaits de la décision rendue en soumettant qu’ils n’ont pas eu,
comme il est dit dans le texte de la décision, la chance de vraiment s’exprimer
sur la gravité des attaques dirigées contre eux parce qu’ils n’ont pu prendre
connaissance de ces attaques qu’au moment de la diffusion du reportage.
Les plaignants
en appellent également de la décision du Conseil qui ne blâme pas CFCF pour
avoir utilisé une entrevue avec un des administrateurs du Centre, signataire
également de la plainte, et pour l’avoir cité hors contexte, sans consentement
et contre sa volonté.
Le Conseil
rejette l’appel et maintient en tous points la décision rendue en première
instance.