Plaignant
Le Mouvement
laïque québécois
Représentant du plaignant
M. Luc Alarie
(avocat, Alarie, Legault 1/4 Nadon)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Jean-Louis
Roy (directeur, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Lors de la
visite du pape Jean-Paul II au Québec en 1984, Le Devoir refuse de publier une publicité
titrée «L’Eglise et les droits humains» et un communiqué de presse, tous deux
du Mouvement laïque québécois. Il accorde une importance démesurée à la visite
papale et traite celle-ci avec partialité, devenant de ce fait une publication
religieuse.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte logée contre Le Devoir par le Mouvement
laïque québécois (MLQ), représenté dans la cause par Me Luc Alarie.
Le MLQ disait
avoir été «lésé dans son droit au libre accès et à la libre circulation de
l’information» par le refus du Devoir de publier une publication titrant
«L’Eglise et les droits humains», refus d’autant plus injustifié que La Presse
avait publié cette même publicité le 8 septembre 1984. Le plaignant dénonçait
la censure du Devoir qui avait également refusé ou omis de publier le
communiqué de presse du MLQ traitant de la visite papale.
De plus, le MLQ
demandait au Conseil de se pencher «sur le rôle du journal dans son obligation
d’informer le public de façon rigoureuse, impartiale et critique durant la
visite papale».
Ainsi, Le Devoir
aurait «accordé une importance démesurée à de l’information religieuse
catholique de telle sorte qu’il a transformé le journal durant la visite papale
en une publication religieuse catholique». Le journal aurait également «fait
défaut de prendre du recul face à la visite papale» et aurait perdu tout sens
critique. Le Devoir aurait «négligé de présenter une vision pluraliste de notre
société» ainsi qu’il aurait «fait défaut de dénoncer la dépense de fonds
publics pour un événement religieux».
Enfin, Le Devoir
aurait «gardé sous silence la dangereuse alliance entre la hiérarchie
catholique et l’Etat durant la visite papale» et n’aurait retenu «que les
services de commentateurs et de journalistes catholiques dans ses séries
intitulées « Témoignage » et « Il est parmi nous »».
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, le
directeur du Devoir, monsieur Jean-Louis Roy, affirmait que le contenu de
l’encart publicitaire du MLQ ne constituait qu’une «suite de citations hors
contexte et hors histoire. Ces citations avaient peu affaire, pour dire le
moins, avec la venue de Jean-Paul II au Canada. Elles donnaient de plus une
vision peu fiable et biaisée de l’évolution de la conception des droits de
l’homme que se sont fait les papes».
S’agissant du
refus et/ou l’omission de publier le communiqué du MLQ, monsieur Roy soutenait
qu’aucun quotidien n’avait l’obligation de publier tous les communiqués de
presse qu’il reçoit. Penser le contraire «conduirait à d’absurdes conséquences».
Par ailleurs, le
directeur du Devoir faisait remarquer que tout observateur aurait noté que tous
les médias du Québec et du Canada avaient consacré à la visite de Jean-Paul II
beaucoup d’espace ou de temps d’antenne. Le Devoir avait en plus fait précéder
sa couverture de la publication d’un cahier spécial consacré à l’analyse de la
pratique religieuse et du sentiment religieux au Québec, «sans chercher à
dissimuler une évolution et des jugements traduisant l’importance du
pluralisme».
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, Me Alarie stipulait que Le Devoir avait bel et bien admis avoir
refusé la publicité du MLQ et qu’il s’était prêté à la censure en «substituant
son propre jugement à celui des lecteurs». Le Devoir aurait également admis
tacitement que seul le MLQ avait été censuré. Aux dires du plaignant, «le titre
de l’encart convenait très bien à la visite papale puisque Jean-Paul II se dit
le défenseur des droits humains». Toujours selon Me Alarie, la publicité ne
contenait aucune citation fausse ou inexacte «et le nom de chaque pape à la fin
des citations indique fort bien le contexte historique de chaque citation».
L’encart publicitaire contenait, en plus, un texte sur la position du pape sur
les écoles confessionnelles, une affirmation de la primauté des droits
démocratiques et une dénonciation de l’utilisation de fonds publics pour la
promotion de la visite papale.
Il appartenait
aux lecteurs, de préciser le plaignant, de juger de la pertinence et du
bien-fondé de l’encart publicitaire, «ce que le journal La Presse a convenu
sans hésitation en publiant le même message payé par la plaignante».
De plus, la
publicité étant payée, elle «ne compromettait en rien la neutralité du journal
face aux opinions de la plaignante».
Me Alarie admettait
qu’aucun journal n’a l’obligation de publier les communiqués qu’il reçoit, mais
estimait qu’il aurait été «de mise de publier le seul communiqué qui aurait
permis aux lecteurs de constater l’existence d’une voix dissidente».
Finalement,
selon Me Alarie, Le Devoir admettait avoir accordé une grande importance à
l’événement mais la direction du journal était demeurée silencieuse «sur son
obligation d’adopter une démarche journalistique conforme au rôle d’une presse
vigilante et soucieuse d’informer ses lecteurs sur tous les aspects d’une
question d’intérêt public».
Analyse
C’est la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité. Cette prérogative découle de sa liberté d’opinion et d’expression qui lui confère une grande latitude quant au choix du contenu publicitaire.
Les personnes appelées à faire de tels choix doivent aussi faire preuve de largeur d’esprit et favoriser la libre expression et la libre circulation des idées. L’éditeur doit donc garder à l’esprit que sa latitude n’est pas absolue et que le choix des textes publicitaires doit être mesuré à des critères objectifs.
Tout en se gardant de porter un jugement sur le contenu de la publicité du Mouvement laïque québécois, le Conseil ne peut blâmer Le Devoir pour avoir refusé ses pages publicitaires au MLQ. Le Conseil ne saurait voir dans les motifs exposés par la direction du journal une pratique discriminatoire à l’égard du plaignant ou un abus de la discrétion normalement reconnue aux médias en ces matières.
Par ailleurs, l’attention que décide de porter un journaliste ou un organe d’information à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix et l’importance du sujet, de même que la façon de le traiter, lui appartiennent en propre. Le Conseil ne saurait intervenir dans un tel processus sans risquer de devenir un organisme de direction de l’information.
Partant, le Conseil estime que Le Devoir était autorisé à ne pas publier le communiqué de presse du MLQ.
Enfin, à la lumière des articles soumis par le MLQ, le Conseil ne peut blâmer Le Devoir pour la façon dont il a couvert la visite papale.
Le caractère exceptionnel de l’événement a pu faire croire que le journal y mettait une emphase exagérée et intéressée et le Conseil est informé des réflexions qu’a suscitées le traitement journalistique de cet événement au sein et à l’extérieur de la profession. Le Conseil juge cependant que Le Devoir s’est efforcé de donner une vision pluraliste du sentiment religieux, notamment dans son cahier spécial précédant la visite. Quant aux séries «Témoignages» et «Il est parmi nous», on peut noter effectivement le biais majoritairement favorable des auteurs. Cela n’a pas pour autant transformé le journal en publication religieuse, ainsi qu’en témoigne la facture de certains articles satiriques, parus souvent en première page.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C08A Choix des textes
- C10D Refus de publier
Date de l’appel
17 June 1985
Appelant
Le Mouvement
laïque québécois
Décision en appel
Les plaignants
considèrent Le Devoir comme un commerce régi par le Code civil. Il ne peut de
ce fait aller à l’encontre de ce code et refuser de vendre son produit au MLQ,
à savoir un espace publicitaire. La publicité du MLQ ne va pas à l’encontre du
Code criminel et ne peut être refusée sur cette base. De plus, la politique du
journal en matière de publicité ne peut être un argument que si cette politique
est connue à l’avance, ce qui n’a pas été le cas du Devoir.
Quant à la
couverture de la visite papale, la décision du Conseil ne repose pas sur une
analyse rigoureuse des articles et le biais dénoncé par les plaignants est en
quelque sorte corroborré par un prix décerné au Devoir par une association
catholique.
Après avoir
étudié les motifs des plaignants pour en appeler, la Commission d’appel décide
de rejeter cette demande de révision. La décision du Comité des cas est donc
maintenue.