Plaignant
M. Sam Kulik
Mis en cause
The Gazette
[Montréal], M. Clair Balfour (ombudsman), M. Robert Winters et M. Rod Macdonell
(journalistes)
Résumé de la plainte
Les journalistes
Rod Macdonell et Robert Winters de The Gazette couvrent mal le procès intenté
par le plaignant contre ses anciens employeurs. L’article «More pay sought» de
M. Macdonell, paru le 14 juin 1984, relate la première journée d’audience de
manière incomplète. Le 17 septembre, au lendemain de la seconde journée
d’audience, M. Winters ne rapporte que les propos défavorables au plaignant et
taît les démentis de ce dernier, dans son article «Layers says « helper was
brugling cases »». L’ombudsman du journal, M. Clair Balfour, refuse de
rétablir les faits et de publier la lettre de rectification du plaignant.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Sam Kulik qui s’estimait lésé par la
couverture que firent messieurs Rod Macdonell et Robert Winters, journalistes à
The Gazette, d’un procès qu’il intentait contre ses anciens employeurs, deux
avocats montréalais, afin de les obliger à lui payer le salaire minimum pour la
période où il avait été à leur service. M. Kulik s’en prenait également à la
direction du journal pour avoir refusé de rectifier ou de compléter les
articles en question.
Le plaignant
affirmait en premier lieu avoir été «pour le moins surpris» du premier article
paru le 14 juin 1984, écrit par monsieur Macdonell, et qui relatait la première
journée d’audience du procès. Selon le plaignant, le journaliste aurait omis de
traiter des principaux faits survenus durant l’audience tout en le citant
partiellement. Le journaliste aurait reconnu cet état de fait le lendemain, aux
dires du plaignant.
M. Kulik s’en
prenait par la suite à l’article de monsieur Winters, paru le lendemain de la
deuxième journée d’audience tenue trois mois plus tard, soit le 17 septembre 1984.
Monsieur Winters n’aurait rapporté que les propos défavorables exprimés à
l’égard du plaignant par ses anciens employeurs et n’aurait fait aucunement
mention de ses démentis. Ainsi aurait-on, dans les deux articles, favorisé une
des parties en cause, ce qui constituait, pour M. Kulik, une violation de
l’éthique tout en le privant d’un traitement journalistique juste et loyal
(«fair comment») de son procès.
Ayant sommé The
Gazette de corriger la situation et d’accepter sa lettre de rectification, M. Kulik
aurait appris que M. Clair Balfour, ombudsman au journal, avait opposé son
droit de veto à la requête du plaignant et ne lui aurait donné aucune
explication pour son geste. M. Balfour aurait toutefois admis au plaignant que
les deux articles en litige dérogeaient effectivement à l’éthique, mais
n’aurait offert comme tout commentaire qu’il en était ainsi («that is too bad I
suppose»).
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, M.
Clair Balfour soutenait dans ses commentaires écrits que la couverture de ce
procès avait engendré d’importantes discussions dans la salle des nouvelles
ainsi qu’avec monsieur Kulik. Le plaignant avait bel et bien demandé que l’on
publie sa lettre de rectification, mais le journal avait jugé bon de n’en rien
faire. Subséquemment, considérant le tout d’un certain intérêt pour les
lecteurs, monsieur Balfour avait écrit un article sur le sujet le 8 novembre.
Dans cet
article, monsieur Balfour soumettait que le plaignant avait été mal servi par
le temps. La deuxième journée du procès avait en effet eu lieu trois mois après
la première. Le premier article rapportait la version des faits de M. Kulik et
le deuxième, bien que publié trois mois plus tard, rapportait la défense des
anciens employeurs de M. Kulik. M. Balfour estimait ainsi que le traitement de
l’affaire par le journal avait été équitable et qu’on n’avait fait que relater
des témoignages faits sous serment.
Le journaliste
Rod Macdonell expliquait pour sa part, dans ses commentaires, que le manque
d’espace avait contraint la rédaciton du journal à couper dans son article.
Originalement de 500 lignes, l’article ainsi élagué à 150 lignes n’en
constituait pas moins, pour le journaliste, un compte rendu fidèle du procès.
Lorsqu’il avait été rejoint par M. Kulik le lendemain, le journaliste lui
aurait expliqué cet état de fait; jamais toutefois le journaliste n’aurait
affirmé à M. Kulik qu’il considérait incomplet l’article paru.
De plus, M.
Macdonell tenait à préciser qu’il avait contacté M. Winters juste avant le
début de la deuxième journée d’audience pour lui expliquer les détails de
l’affaire et pour lui remettre une copie du premier article. Il l’aurait
également prévenu du comportement agressif du plaignant tant face à ses anciens
employeurs que face à l’avocat de la Commission des normes du travail chargé de
sa cause.
De son côté, M.
Winters affirmait qu’on ne pouvait le blâmer pour ne pas avoir rapporté les
démentis du plaignant face aux accusations de ses anciens employeurs, puisque
M. Kulik n’avait jamais fait de tels démentis durant la deuxième journée
d’audience. M. Winters transmettait à cet effet au Conseil une copie du
procès-verbal du procès.
En ce qui a
trait à l’article de son confrère paru trois mois plus tôt, force lui était de
constater que lors de la mise en pages, le journal avait biffé les parties de
l’article relatant les démentis de M. Kulik pour ne conserver que les
accusations portées contre lui, les jugeant sans doute plus intéressantes
(«newsworthy»). Contrairement à ce qu’affirmait le plaignant, M. Wingers disait
cependant avoir parlé aux divers avocats impliqués dans la cause, n’être arrivé
que trois minutes en retard et avoir assisté à toute l’audience. Il se
demandait enfin ce qui pouvait pousser M. Kulik à affirmer que le journaliste
n’avait parlé à personne alors que le plaignant était parti bien avant lui.
Réplique du plaignant
Tout en
reprenant ses premiers griefs, M. Kulik affirmait dans sa réplique que l’avocat
de The Gazette avait été lui-même fort surpris par le refus de M. Balfour de
publier la lettre de rectification proposée. Il affirmait d’autre part que M.
Robert Winters aurait admis, le lendemain de la publication de son article,
qu’il n’avait fait aucun effort pour discuter avec M. Macdonell de ce qui
s’était produit lors de la précédente journée d’audience, qu’il n’avait pas non
plus jugé bon de contacter le plaignant ou son avocat et qu’il n’avait même pas
examiné les dossiers de la cour relatifs au procès. M. Winters serait arrivé au
milieu de l’audience du 18 septembre, n’aurait écouté que les témoignages des
anciens employeurs du plaignant et serait parti bien avant la fin de
l’audience.
Répliquant aux
commentaires des journalistes, M. Kulik décida d’une part de laisser tomber les
accusations portées contre M. Macdonell, jugeant ce dernier comme étant un des
hommes les plus honnêtes qu’il ait rencontrés. Par ailleurs, M. Kulik faisait
remarquer que M. Winters n’avait pas nié le fait qu’il n’avait pas daigner
regarder la transcription des minutes de la première journée d’audience. S’il
l’avait fait, M. Winters aurait pu, aux dires du plaignant, constater que M.
Kulik avait bel et bien nié toutes les accusations portées contre lui
concernant son comportement au travail. Le plaignant estimait que le
journaliste aurait dû ainsi tenir compte de ces démentis lorsqu’il rapporta les
accusations de ses anciens employeurs.
Par ailleurs, M.
Kulik affirmait être effectivement allé à l’extérieur de la salle d’audience
pour parler avec un témoin, mais il serait retourné ensuite à l’intérieur après
d’ailleurs que M. Winters se soit éclipsé.
Finalement, M.
Kulik fit état de la littérature concernant la façon de relater un procès et
réaffirma que son seul désir était que les démentis qu’il fit le 13 juin 1984
reçoivent la même couverture que les accusations portées contre lui le 18
septembre suivant.
Analyse
L’attention que décide de porter un journaliste ou un organe d’information à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix et l’importance du sujet, de même que la façon de le traiter leur appartiennent en propre. Ces choix ne doivent toutefois pas trahir le sens des événements ou contrevenir au devoir de la presse de livrer au public une information équilibrée, le rendant apte à porter un jugement adéquat sur les événements relatés.
Dans le présent cas, vu l’importance des accusations portées en cours contre le plaignant et le long laps de temps écoulé entre la parution des deux articles traitant du sujet, le Conseil est d’avis que le journal aurait dû accepter de publier la lettre que le plaignant lui avait fait parvenir pour faire état des démentis apportés par M. Kulik à ces accusations. Ceci, ajouté à l’article de l’ombudsman du journal faisant état de certains des griefs du plaignant, aurait contribué à équilibrer d’avantage l’information diffusée à ce sujet.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C12A Manque d’équilibre