Plaignant
M. Jean-Hugues Lalancette (président, Commission scolaire de Jonquière; sociologue)
Mis en cause
Le Réveil [Jonquière] et M. Marcel Martel (directeur de la rédaction et responsable de l’information)
Résumé de la plainte
Le directeur de la rédaction du Réveil de Jonquière, M. Marcel Martel, abuse de ses fonctions au cours des discussions qui entourent la restructuration des commissions scolaires locales. L’éditorial qu’il signe le 16 octobre 1984 place le plaignant au centre du débat et compromet sa réputation. Le titre «Nullement préoccupés par les questions administratives : Les conseillers en orientation optent pour l’intégration», publié le 23 octobre, discrédite les personnes concernées en plus de ne pas correspondre au contenu de l’article qu’il coiffe. Le titre «Mais pourquoi Jean-Hugues Lalancette cache-t-il des chiffres à ses électeurs? : Un commentaire de Marcel Martel», publié le 30 octobre, vise d’abord à miner la crédibilité du plaignant.
Griefs du plaignant
Le Conseil de presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean-Hugues Lalancette, président de la Commission scolaire de Jonquière et professeur de sociologie, qui reprochait à monsieur Marcel Martel, directeur de la rédaction et responsable de l’information au Réveil, d’avoir abusé de sa discrétion rédactionnelle dans un éditorial et dans la facture de deux titres parus en première page du journal. L’éditorial et les deux titres en litiges ont été publiés au cours du mois d’octobre 1984 dans le cadre d’un débat tenu entre les tenants de l’intégration administrative des commissions scolaires de l’endroit et ceux qui favorisaient plutôt une fusion complète. Monsieur Lalancette considérait que l’éditorial du 16 octobre avait polarisé le débat sur sa personne et compromis sa réputation professionnelle, l’éditorialiste confondant les fonctions de sociologue du plaignant et celles de président de la commission scolaire. Le plaignant s’en prenait également à un premier titre publié à la une du Réveil le 23 octobre et libellé ainsi: «Nullement préoccupés par les questions administratives: Les conseillers en orientation optent pour l’intégration». Pour monsieur Lalancette, ce titre ne correspondait pas au contenu de l’article auquel il référait, et il donnait une image négative de ces intervenants en laissant entendre qu’ils n’étaient pas «corrects» d’avoir opté pour l’intégration. Il en allait de même d’un deuxième titre paru à la une de l’édition du 30 octobre: «Mais pourquoi Jean-Hugues Lalancette cache-t-il des chiffres à ses électeurs?: Un commentaire de Marcel Martel». Le titre était accompagné d’une photo du plaignant et l’ensemble aurait laissé «planer une accusation» comme si celui-ci était un criminel. Il s’agissait, selon monsieur Lalancette, d’un traitement sensationnaliste qui n’avait pas comme but de faire avancer le débat, mais bien de miner sa crédibilité auprès des lecteurs et des commissaires qui votaient le jour même et le lendemain sur l’opinion à prendre. Pour monsieur Lalancette, il était clair que les «fusionnistes» avaient eu meilleure presse que les «intégristes» dans ce journal. Se disant insatisfait de la couverture que Le Réveil avait fait de l’ensemble de ce débat et déplorant que ses divers statuts et fonctions aient été confondus par le journal sans qu’aucun correctif ne soit apporté, le plaignant disait ne «plus être intéressé» à inviter Le Réveil au dévoilement de sondages auquel il conviait la presse dans le cadre de ses activités de sociologue. Monsieur Lalancette notait enfin que ce n’était d’ailleurs pas la première fois que monsieur Martel s’en prenait à lui. L’an dernier, l’éditorialiste l’aurait critiqué «vertement» pour un sondage électoral qu’il avait produit, sondage qui s’était cependant révélé exact. Il ne s’agissait pas de nier à monsieur Martel sa liberté d’opinion et d’expression, de poursuivre le plaignant, mais cette liberté ne lui permettait pas de mettre en cause sa réputation.
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, monsieur Martel soutenait que «l’éditorial ou le commentaire n’a pas pour mission première d’informer le lecteur mais plutôt de commenter des événements ou des attitudes» de personnes politiques. Dans le contexte du débat sur la restructuration scolaire, monsieur Martel estimait qu’il avait fallu être «les chiens de garde des intérêts des électeurs afin de s’assurer que tous les éléments de nature à bien cerner la réalité scolaire avaient été portés à l’attention des citoyens». Monsieur Martel faisait remarquer que le plaignant était une personnalité très connue tant pour ses activités de président de la Commission scolaire de Jonquière que pour ses activités de sociologue, celui-ci convoquant une dizaine de conférences par année afin de dévoiler ses sondages. Il était donc normal d’identifier le plaignant par ses deux fonctions et le directeur du Réveil affirmait n’avoir jamais voulu porter atteinte à la réputation de monsieur Lalancette en procédant de cette façon. Il notait toutefois que le plaignant ne faisait pas lui-même la distinction entre ses deux activités lorsqu’il disait refuser de traiter avec Le Réveil lors du dévoilement de ses sondages sous prétexte qu’il était insatisfait de la couverture du journal durant le débat de la restructuration scolaire. En ce qui regarde le titre de l’édition du 23 octobre, monsieur Martel affirmait que les conseillers en orientation avaient eux-mêmes déclaré, dans le premier paragraphe de leur communiqué de presse, qu’ils n’étaient pas préoccupés par les questions administratives. Le journal n’aurait donc rien inventé. Monsieur Martel affirmait également avoir rencontré à de multiples occasions les signataires du communiqué à l’origine de cet article, lesquels se seraient «montrés heureux du traitement de la nouvelle». Quant au titre et à l’article parus le 30 octobre, monsieur Martel estimait avoir rempli son rôle de chien de garde et d’éditorialiste en critiquant une analyse de monsieur Lalancette publiée dans un journal coucurrent. Dans cette analyse, le plaignant commentait un document de la ville de Jonquière dans lequel il était expliqué pourquoi les autorités municipales favorisaient la fusion des commissions scolaires. Monsieur Lalancette répliquait à cette analyse et en arrivait à une conclusion contraire, favorable à l’option «intégration». Monsieur Martel notait que cette étude du plaignant avait été rendue publique «In extremis», à deux jours du vote sur la restructuration scolaire, et dans un seul journal, soit le Progrès-Dimanche, ne permettant ainsi à personne d’autre de vérifier la rigueur de l’analyse du plaignant. De plus, monsieur Martel s’estimait, en tant qu’économiste, justifié d’affirmer que monsieur Lalancette cachait des chiffres à ses électeurs. Les deux titres incriminés n’avaient pas, pour monsieur Martel, le caractère sensationnaliste dénoncé par le plaignant. Le premier avait été régidé avec deux types de caractères différents, séparant ainsi les deux phrases. Le deuxième titre était immédiatement suivi de la raison de l’article à savoir un commentaire de l’éditeur. Enfin, monsieur Martel affirmait qu’il avait invité à maintes reprises, mais en vain, monsieur Lalancette à fournir une réplique qu’il s’était engagé alors à publier. Monsieur Lalancette n’ayant, jusqu’à ce jour, pas répondu à cette invitation, monsieur Martel estimait que le plaignant était la victime de son propre mutisme, puisque la population croyait encore, trois mois plus tard, que Le Réveil avait eu raison dans ce débat.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, monsieur Lalancette traitait les remarques de monsieur Martel de «tissu de mensonges». Ainsi, le plaignant aurait lui-même contacté les conseillers pédagogiques signataires du communiqué à l’origine de l’article du 23 octobre, et ces derniers lui auraient affirmé que monsieur Martel ne les avait jamais rencontrés. Monsieur Martel n’aurait ainsi jamais pu savoir s’ils étaient ou non satisfaits de la nouvelle parue dans Le Réveil. De plus, nulle part dans le communiqué de presse de ces conseillers pouvait-on lire qu’ils n’étaient pas préoccupés par les questions administratives. Concernant le commentaires de l’intimé sur une analyse faite par le plaignant au sujet des positions de la ville de Jonquière, monsieur Lalancette disait avoir effectivement transmis cette analyse au Progrès-Dimanche parce que c’était le journal qui paraissant le plut tôt. Le Réveil et les autres médias auraient cependant reçu ladite analyse le lendemain de sa publication dans le Progrès-Dimanche. Quant à savoir pourquoi le plaignant avait remis si tard son analyse au médias, c’est que le document de la ville de Jonquière avait été lui-même dévoilé à la dernière minute et monsieur Lalancette avait mis quelques jours à l’étudier pour en faire une analyse exhaustive. Enfin, monsieur Lalancette niait avoir lui-même confondu ses statuts de sociologue et de président de la commission scolaire. C’était, selon lui, en tant que sociologue, dont la crédibilité avait été attaquée, qu’il avait refusé d’inviter Le Réveil au dévoilement de ses sondages. Monsieur Lalancette notait toutefois qu’il était entre-temps revenu sur sa décision, même s’il se sentait toujours «profondément miné» dans sa réputation.
Analyse
Le Conseil n’estime pas que la référence aux diverses fonctions de monsieur Jean-Hugues Lalancette dans l’éditorial du 16 octobre aurait pu nuire à sa crédibilité, le fait étant que le plaignant est effectivement sociologue et président d’une commission scolaire et qu’il semble aussi bien connu à l’un ou l’autre de ces niveaux. Cependant, le Conseil blâme Le Réveil pour avoir laissé entendre, dans l’article du 23 octobre ainsi que dans les titres l’accompagnant, que les conseillers pédagogiques n’étaient nullement préoccupés par les questions administratives. Le Conseil estime que cette affirmation est un jugement de valeur gratuit qui n’a pas sa raison d’être dans un reportage d’information. Le Conseil blâme également Le Réveil pour avoir prétendu, dans cet article, que les conseillers pédagogiques se disaient eux-mêmes peu préoccupés par de telles questions, ce que ne permettait nullement de conclure la lecture du communiqué émis par ces conseillers. Le Conseil note enfin l’erreur contenue dans le titre publié en première page qui parle de conseillers en orientation alors qu’il s’agit ici de conseillers pédagogiques. Par contre, aucun blâme n’est retenu pour le titre «Mais pourquoi Jean-Hugues Lalancette cache-t-il des chiffres à ses électeurs?» Le fait que soit précisé clairement en sous-titre qu’il s’agissait là d’un commentaire de l’éditeur, permettait en effet aux lecteurs de comprendre que le tout était du domaine de l’opinion et, partant, d’un langage plus libre, voire polémique. Le Conseil se réjouit, par ailleurs, de la décision du plaignant d’inviter à nouveau Le Réveil à ses conférences de presse. En effet, il n’appartient pas à ceux qui ont des informations à transmettre au public de déterminer quel médias sera admis à en rendre compte. On ne peut agir ainsi sous prétexte d’être en désaccord avec la façon dont un média relate les événements sans s’exposer à compromettre sérieusement l’existence d’une presse libre et à porter atteinte au droit à l’information. Enfin, le Conseil considère qu’il eût été souhaitable que monsieur Lalancette accepte l’invitation du directeur du Réveil et fasse connaître son point de vue aux lecteurs du journal.
Analyse de la décision
- C06A Accès à l’information
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C20A Identification/confusion des genres