Plaignant
M. Jacques
Lapierre (professeur de sciences politiques, Collège de Granby)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Pierre O’Neil (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Lise
Bissonnette (rédactrice en chef, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Pierre O’Neil rapporte de manière incorrecte la visite de M. Robert Bourassa
dans la classe de science politique du plaignant, dans un article publié par Le
Devoir le 8 novembre 1984 sous le titre «Bourassa perçoit déjà le déblocage des
relations fédérales-provinciales». Il laisse entendre que le plaignant a tendu
un piège à M. Bourassa, a été agressif et a critiqué sévèrement son invité, ce
qui porte atteinte sa réputation. Le Devoir refuse de publier sa lettre de
rectification.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur Jacques Lapierre qui
reprochait au journaliste Pierre O’Neill du Devoir d’avoir porté atteinte à sa
réputation professionnelle dans un article paru le 8 novembre 1984. Le
plaignant soutenait également que cet article avait incorrectement rendu compte
de la visite de monsieur Robert Bourassa à une classe de science politique où
il enseignait. Enfin, monsieur Lapierre faisait grief au Devoir d’avoir refusé
de publier la lettre de rectification qu’il avait adressée au journal.
Bien qu’il n’ait
pas été expressément identifié dans cet article, monsieur Lapierre reprochait au
journaliste d’avoir prétendu qu’un «jeune professeur» avait ourdi un piège au
chef libéral en l’invitant à donner un cours de science politique dans sa
classe. Monsieur Bourassa aurait alors eu à subir l’agressivité de ce
professeur qui l’aurait traité de leader politique prêchant le reaganisme et
colportant les infirmités du capitalisme, et qui aurait trouvé le leader
libéral «coupable d’une dizaine d’hérésies». Toujours aux dires du journaliste,
le «spectacle» aurait amusé les étudiants mais offusqué l’entourage du chef
libéral, ce dernier mettant d’ailleurs fin à «l’affrontement après avoir
compris qu’il n’aurait pas le dernier mot».
Monsieur
Lapierre niait avoir tendu un piège à monsieur Bourassa puisque l’initiative
d’inviter le chef libéral revenait à ses étudiants. Quant à l’agressivité qu’il
aurait manifestée à l’endroit de monsieur Bourassa, le plaignant y voyait
plutôt de la nervosité due à «l’invasion» de sa classe par une meute de
conseillers politiques et de journalistes, ce à quoi le professeur disait
n’être nullement habitué. Monsieur Lapierre niait également avoir même employé
les mots reaganisme et capitalisme. Il n’avait fait, selon lui, qu’analyser
avec monsieur Bourassa le discours tenu par ce dernier et dans le seul but
pédagogique légitime de réaliser un tel exercice devant ses élèves.
Enfin, monsieur
Lapierre soumettait que l’ensemble des termes utilisés par le journaliste
témoignait d’un biais favorable à l’endroit de monsieur Bourassa.
Commentaires du mis en cause
De son côté,
madame Lise Bissonnette, rédactrice en chef au Devoir, estimait que le
paragraphe relatant l’échange entre le plaignant et monsieur Bourassa ne
portait nullement atteinte à la réputation du professeur. Tous les journaux
auraient rapporté que l’échange avait été assez vif et madame Bissonnette ne
pouvait voir, dans l’article du Devoir, en quoi les termes utilisés auraient
été dérogatoires à l’égard du plaignant. Monsieur O’Neill n’aurait porté aucun
jugement favorable à l’une ou l’autre des thèses en présence et, au surplus, il
ne nommait pas monsieur Lapierre, contrairement à ce qu’avait fait La Presse le
même jour.
Quant à la
lettre de rectification que Le Devoir n’avait effectivement pas publiée, madame
Bissonnette soumettait qu’il ne s’agissait pas seulement d’une réplique, mais
d’une «longue thèse sur l’ensemble de l’article de monsieur O’Neill, doublée
d’un interminable procès d’intention». Madame Bissonnette estimait que le droit
à la réplique ne pouvait s’étendre à ce genre de «dissertation illimités». S’il
y avait eu atteinte à la réputation, il fallait, concluait-elle, la trouver
dans la lettre du plaignant remplie de faussetés pouvant être diffamatoires à
l’égard de monsieur O’Neill.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, le plaignant estimait que c’était «le droit le plus légitime de tout
lecteur d’un journal, témoin des faits rapportés par celui-ci, d’être en
désaccord avec l’interprétation du journaliste» et par conséquent de pouvoir
l’exprimer dans les pages du même journal. Refuser de reconnaître un tel droit
revenait à dire que «seul le journaliste peut interpréter justement les faits
qu’il rapporte».
Quant au biais
du journaliste, monsieur Lapierre estimait que de parler du discours de
monsieur Bourassa comme étant une performance alors que l’échange survenu entre
le chef libéral et le professeur était qualifié de spectacle prouvait
effectivement la partialité du commentaire.
Le plaignant
affirmait de plus que même s’il n’avait pas été nommé dans cet article, son
entourage, le corps professoral et des parents l’avaient aisément reconnu.
Malgré que l’on vive dans un pays reconnaissant la liberté d’expression,
monsieur Lapierre affirmait que les parents n’avaient sûrement pas été très
enthousiastes d’apprendre qu’un professeur du cégep avait rabroué aussi
cavalièrement le chef libéral.
Enfin, monsieur
Lapierre notait que seul Le Devoir avait fait mention d’une quelconque
agressivité de sa part, contrairement à ce qu’affirmait madame Bissonnette.
Quant au refus de publication de sa lettre, monsieur Lapierre s’étonnait que la
rédactrice en chef ne lui ait pas proposé d’écrire une lettre plus courte ou
amendée, ce qu’il aurait volontiers accepté, «afin que les deux versions soient
soumises aux lecteurs et aux personnes impliquées pour qu’en jaillisse la
vérité, c’est-à-dire ce qui a réellement été dit lors de cet échange».
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes. Les professionnels de l’information doivent cependant se conformer à l’obligation et au devoir qu’impose leur rôle d’informateurs publics de livrer une information équilibrée, conforme aux faits et aux événements et respectueuse des personnes mises en cause.
Dans le présent cas, le Conseil estime que l’article de monsieur O’Neill a respecté les exigences prescrites par l’éthique journalistique.
Pour ce qui est du refus du Devoir de publier la lettre de rectification de monsieur Lapierre, le Conseil rappelle que nul ne peut prétendre avoir accès de plein droit au courrier des lecteurs. La décision de publier ou non une lettre relève de la prérogative de l’éditeur dont les jugements d’appréciation en la matière doivent demeurer conformes à la responsabilité d’un média soucieux de renseigner adéquatement ses lecteurs.
En l’occurrence, compte tenu de la longueur de la lettre soumise par le plaignant, le refus de la direction du journal était justifié.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C17A Diffamation