Plaignant
La Fédération
des policiers du Québec
Représentant du plaignant
M. André Nadon
(président, Fédération des policiers du Québec)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal, M. Ives Beaudin, M. Jean-Maurice Duddin, M. Serge Labrosse et M. Guy
Roy (journalistes), La Presse [Montréal] et M. Marc Laurendeau (éditorialiste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-François
LeBrun (directeur de l’information, Le Journal de Montréal) et M. Michel Roy
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le Journal de
Montréal traite l’affaire Rock Forest avec subjectivité, comme en témoignent
les titres «Pour une arrestation injuste, un étudiant poursuit le policier
Castonguay» (13 février 1984) et «L’agent Dion reconnaît avoir tiré
volontairement» (15 février), ainsi que les articles «Série policière noire»
(13 février), «Devrait-on désarmer certains policiers?» (13 février), «Enquête
sur l’affaire Rock Forest : Un policier au survivant inoffensif : « Si tu
bouges, je te perce »» (16 février) et «Les cas de brutalité policière se
succèdent à un rythme inquiétant» (16 février). Par cette série d’articles, Le
Journal de Montréal condamne d’avance la conduite des policiers. L’éditorial de
M. Marc Laurendeau titré «Peut-être pas un crime, certainement une bavure»,
paru dans La Presse du 22 octobre 1984, véhicule des préjugés et excède les
limites de la liberté de la presse. L’éditorialiste insinue que la décision du
jury a été influencée par une série de meurtres de policiers.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de la Fédération des policiers du Québec (FPQ)
qui, par la voix de son président, monsieur André Nadon, reprochait à l’ensemble
de la presse écrite mais plus spécifiquement au Journal de Montréal d’avoir
fait preuve de «subjectivité peu commune» à l’égard de la police dans une série
d’articles relatant l’affaire Rock Forest. La FPQ s’en prenait également à un
éditorial de monsieur Marc Laurendeau, paru dans La Presse du 22 octobre 1984.
Dans un premier
temps, la FPQ dénonçait la première page du Journal de Montréal du 13 février
1984 qui titrait: «Pour une arrestation injuste, un étudiant poursuit le
policier Castonguay». Pour la FPQ, mettre en évidence un fait aussi banal dans
le contexte de l’affaire Rock Forest témoignait d’un manque de retenue de la
part du journal.
La FPQ
reprochait aussi au journal la facture d’un titre paru le 15 février et libellé
«L’agent Dion reconnaît avoir tiré volontairement». «Comment interpréter ce
titre, de s’interroger la FPQ, pour celui ou celle qui n’a pas suivi la cause
ou qui ne se donne pas la peine de lire l’article au complet, sachant qu’un
titre influence et conditionne le lecteur?»
La FPQ disait
également s’interroger sur un article paru le 16 février et qui avait pour
titre «Enquête sur l’affaire Rock Forest/Un policier au survivant inoffensif:
«Si tu bouges, je te perce». La plaignante estimait que le journal et l’auteur
de l’article tentaient ici de faire passer leur message plutôt que de donner
une information objective. Il était de plus ironique de constater qu’au bas de
la même page était publié un sondage-maison sur la sympathie du public à
l’égard des policiers. On soulevait, affirmait la FPQ, l’opinion contre les
policiers et on sanctionnait ensuite l’information par un sondage-maison qui
risquait «d’être aussi biaisé que le reste».
Toujours dans
cette édition du 16 février, la FPQ prenait à partie un article intitulé «Les
cas de brutalité policière se succèdent à un rythme inquiétant». Cet article
faisait état de trois cas récents de brutalité policière allégués, selon la
FPQ, en invoquant comme toile de fond l’affaire Rock Forest. La FPQ ne voyait
pas comment on pouvait affirmer que la brutalité policière était croissante en
se basant sur ces seuls cas alors qu’on n’était encore qu’au stade des
accusations dans les trois cas. La FPQ faisait d’ailleurs remarquer qu’un des
cas avait été jugé depuis et que les policiers impliqués avaient été exonérés
de tout blâme.
La FPQ s’en
prenait enfin à deux articles parus le 13 février et intitulés «Série policière
noire» et «Devrait-on désarmer certains policiers?», articles et titres qui
étaient, de l’avis de la plaignante, tout aussi évocateurs que les précédents.
Pour la FPQ,
cette série d’articles parue dans Le Journal de Montréal prouvait que le
journal avait donné libre cours à la prémisse de culpabilité qu’il s’était
faite sur la conduite des policiers.
Dans un deuxième
temps, la FPQ estimait qu’un éditorial de monsieur Marc Laurendeau intitulé
«Peut-être pas un crime, certainement une bavure», publié dans La Presse du 22
octobre 1984 véhiculait des préjugés «empreints de démagogie» et excédait «les
limites permises par la liberté de presse». La FPQ reprochait à monsieur
Laurendeau d’avoir mis en doute la crédibilité du verdict en insinuant que le
jury avait été influencé par la série de meurtres consécutifs de policiers.
Enfin, la FPQ dénonçait vivement le passage suivant de cet éditorial: «Si le
parlement tarde trop à la rétablir (la peine de mort) au gré des policiers,
ceux-ci disposent maintenant de moyens pour s’octroyer leur propre système de
peine capitale».
Commentaires du mis en cause
Pour sa part,
monsieur Jean-François LeBrun, directeur de l’information au Journal de
Montréal, estimait que les journalistes appelés à couvrir les événements de
Rock Forest ainsi que les griefs de pupitre qui ont coiffé les textes de titres
avaient agi «de façon responsable et professionnelle». Pour monsieur LeBrun, la
FPQ n’avait d’ailleurs, nulle part dans sa plainte, relevé une quelconque
inexactitude.
En ce qui avait
trait au premier article, publié le 13 février, monsieur LeBrun estimait qu’il
ne s’agissait pas du tout de propagande de la part du journal puisque les faits
étaient rigoureusement exacts. Si la nouvelle était parue en première page,
c’était parce que le plaignant était lui-même étudiant en techniques policières
au cégep de Sherbrooke et qu’il se plaignait pour avoir été arrêté injustement.
Pour le titre
«L’agent Dion reconnaît avoir tiré volontairement», le directeur de
l’information du Journal de Montréal ne pensait pas qu’il pouvait y avoir
matière à diverses interprétations. Il s’agissait, selon lui, d’un aveu qui
repoussait l’hypothèse d’un accident. L’information était donc importante,
selon monsieur LeBrun.
Le titre «Si tu
bouges, je te perce» n’avait non plus rien de suggestif, de l’avis de monsieur
LeBrun, puisque ce titre s’inspirait de la déclaration du policier qui tenait
en joue le survivant Jean-Paul Beaumont. Par ailleurs, monsieur LeBrun faisait
siennes les remarques du journaliste Serge Labrosse au sujet du sondage qu’il
avait effectué auprès des passants. Dans ses commentaires, monsieur Labrosse
estimait que de tels sondages n’avaient pas de prétention scientifique et
qu’ils ne constituaient qu’une façon objective de traiter l’information,
puisqu’ils permettaient de recueillir des opinions diverses sur le sujet.
Monsieur LeBrun ajoutait, pour sa part, que le sondage publié le 16 février
laissait l’impression «qu’un certain courant de sympathie envers les policiers
flotte dans l’esprit de la population de Sherbrooke». Pouvait-on alors, se
demandait-il, déclarer ce sondage biaisé?
Quant à
l’article relatant les cas de brutalité policière, monsieur LeBrun précisait
qu’il s’agissait tout d’abord de quatre cas et non de trois comme l’affirmait
la FPQ, et que les quatre causes étaient inscrites à la même époque au seul
Palais de justice de Montréal. Selon monsieur LeBrun, il fallait ajouter à ces
cas les causes entendues au cours des mois précédents et celles déposées devant
d’autres tribunaux. Il n’était donc pas exagéré, de l’avis de monsieur LeBrun,
de parler alors de cas se succédant à un rythme inquiétant.
En ce qui a trait
aux articles «Série policière noire» et «Devrait-on désarmer certains
policiers?», monsieur LeBrun notait, en premier lieu, qu’ils originaient de la
Presse Canadienne. Le premier faisait état de l’historique des cas au Canada où
des «innocents sont tombés sous les balles des policiers». Il s’agissait, pour
monsieur LeBrun, d’un travail bien documenté et «de toutes apparences
inattaquable». Le deuxième texte faisait un tour d’horizon sur «un sujet
toujours d’actualité», à savoir le port d’arme chez les policiers. Monsieur
LeBrun faisait remarquer de plus que le journaliste de la Presse canadienne
avait recueilli les commentaires de divers intervenants, sans oublier un
porte-parole de la Fraternité des policiers du Québec.
Pour sa part, en
plus de ses commentaires cités plus haut, le journaliste Serge Labrosse
affirmait qu’il n’avait fait que rapporter le plus fidèlement possible les
déclarations et informations transmises à la cour lors du procès des policiers.
En ce qui a trait au sondage-maison qu’il effectua, monsieur Labrosse faisait
remarquer que la première personne citée dans son article était favorable aux
policiers incriminés et blâmait la presse pour avoir grossi l’affaire. On ne
pouvait donc, aux dires du journaliste, l’accuser de manque d’objectivité.
Enfin, monsieur
Jean-Maurice Duddin, auteur de l’article relatant la poursuite d’un étudiant en
techniques policières contre un des policiers impliqués dans l’affaire Rock Forest,
affirmait que les faits rapportés étaient rigoureusement exacts. De plus,
monsieur Duddin rappelait que cet étudiant avait obtenu gain de cause lors d’un
règlement hors-cour.
Quant au titre
et à la mise en page de cette nouvelle, monsieur Duddin précisait qu’ils
relevaient des chefs de pupitre et de la direction du journal.
Par ailleurs,
l’éditeur adjoint à La Presse, monsieur Michel Roy, estimait que la plainte de
la Fédération des policiers était irrecevable. On pouvait se rendre compte,
selon lui, que la démarche de la FPQ visait surtout à «exprimer son désaccord
quant à la manière dont la presse avait reflété cette affaire exceptionnelle».
Les journaux avaient titré sans complaisance et sans détour, poursuivait-il,
exprimant ainsi l’émotion, «voire les perturbations que suscitait l’événement
lui-même». Pour monsieur Roy, c’était toute la société qui réagissait à travers
les journaux.
De son côté,
monsieur Marc Laurendeau estimait que la FPQ interprétait mal son éditorial du
22 octobre. Il était absurde de penser, selon monsieur Laurendeau, qu’un jury
ait voulu octroyer aux policiers une forme de justice parallèle. L’article
affirmait plutôt que la «décision très légale des jurés diminue la zone de
responsabilité des policiers et consacre la largeur de leur marge de
manoeuvre».
Le comportement
des policiers dans une chasse à l’homme aux effets désastreux était
suffisamment d’intérêt public pour qu’on puisse en débattre dans les médias
d’information, estimait le journaliste. On pouvait être d’accord ou non avec
les opinions exprimées dans son éditorial, mais le journaliste avait peine à
voir en quoi cette opinion pouvait être inadmissible. «La solidarité syndicale,
concluait-il, se fait exigeante lorsqu’elle réclame un musèlement de la
presse».
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des organes d’information et des journalistes qui doivent cependant le faire conformément à l’obligation et au devoir strict qu’impose leur rôle d’informateurs publics de renseigner adéquatement la population sur les questions d’intérêt public.
Dans le présent cas, le Conseil estime que la Fédération des policiers du Québec n’a pu démontrer que les articles incriminés souffraient soit de démesure, de subjectivité peu commune ou de préjugés empreints de démagogie.
La nature même des événements relatés et les implications sociales qui y étaient rattachées n’ont fait qu’amener la presse en général à poser des questions, certes dures et parfois véhémentes, mais somme toute pertinentes et à se faire l’écho des débats importants soulevés par toute cette affaire. Ainsi, le Conseil est d’avis que Le Journal de Montréal et La Presse n’ont fait qu’exercer leur rôle d’informateurs dans cette affaire et qu’ils n’ont pas dépasser les limites prescrites par l’éthique journalistique en vigueur.
Analyse de la décision
- C13A Partialité