Plaignant
Mme Carole de
Vault (auteure)
Mis en cause
Le -30-
[Montréal] et M. Rodolphe Morissette (chroniqueur)
Représentant du mis en cause
M. Louis Lesage
(directeur, Le -30- [Montréal])
Résumé de la plainte
L’article
«Donald Lavoie tueur à gages ou la présence de Carole de Vault au Palais de
justice», paru dans l’édition de février 1985 du -30-, constitue une mise au
pilori de la plaignante plutôt qu’une critique littéraire de son livre «Donald
Lavoie, tueur à gages». Le journaliste Rodolphe Morissette, qui ne cherche qu’a
discréditer la plaignante, accuse notamment cette dernière d’avoir manqué de
rigueur dans la rédaction de son ouvrage et de travailler encore comme indicatrice
de police.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de madame Carole de Vault qui reprochait
au journaliste Rodolphe Morissette de s’en être indûment pris à elle dans un
article publié dans l’édition de février 1985 du magazine Le 30 et intitulé
«Donald Lavoie tueur à gages ou la présence de Carole de Vault au Palais de
justice».
Cet article
faisait suite à la publication conjointe de madame de Vault et monsieur Richard
Desmarais d’un livre qui relate, entre autres, les témoignages du délateur
Donald Lavoie lors des procès intentés contre des membres de la famille Dubois
de Montréal, présumés criminels.
Madame de Vault
reprochait dans un premier temps au journaliste d’avoir mis en doute la méthode
qu’elle avait utilisée pour recueillir les commentaires émis par les
chroniqueurs judiciaires et les badauds du Palais de justice, durant les
témoignages de Lavoie. Ainsi, pour monsieur Morissette, madame de Vault avait
préféré s’en tenir au «bugging» de corridor plutôt que de questionner les
journalistes couvrant l’affaire. Cela permettait à la plaignante, toujours aux
dires du journaliste, de choisir les seuls commentaires qui concordaient avec
la description qu’elle faisait de monsieur Donald Lavoie, description
transpirant «d’une fascination puérile» pour le délateur.
Madame de Vault
estimait pour sa part que les commentaires des chroniqueurs reflétaient
essentiellement ce qu’ils exprimaient ou pensaient à l’époque. La plaignante
disait posséder l’identité de tous les chroniqueurs ayant fait ces commentaires
et elle se disait prête à dévoiler leurs noms si monsieur Morissette en faisait
la demande. Madame de Vault faisait également remarquer que monsieur Morissette
ne travaillait pas à l’époque au Palais de justice et n’avait donc jamais été
témoin des propos tenus alors. La plaignante affirmait de plus que les
commentaires des badauds favorables au délateur étaient rigoureusement exacts
comme en faisaient foi les divers articles parus à ce moment-là dans les
journaux.
Madame de Vault
s’en prenait, dans un deuxième temps, aux «allusions» du journaliste qui disait
s’interroger sur une conversation, relatée dans le livre, survenue entre le
policier Julien Giguère, Donald Lavoie et la plaignante. Monsieur Morissette
rappelait dans son article que monsieur Giguère avait été le policier auquel la
plaignante «se rapportait» comme indicatrice de police durant les événements
d’octobre 70. Le journaliste mettait également en relief le fait que la
plaignante préparait des confitures pour monsieur Giguère et que ce dernier en
avait même offert un pot à Donald Lavoie. Durant cette conversation, Donald
Lavoie aurait de plus demandé à la plaignante ce que l’on pensait de ses divers
témoignages.
Madame de Vault
reprochait au journaliste d’avoir tu la raison de ce coup de fil du capitaine
Giguère alors que le tout était bel et bien écrit dans son livre. La plaignante
affirmait ainsi que le policier voulait l’avertir qu’un membre du clan des Dubois
se servait de son nom pour localiser Donald Lavoie ou des membres de sa famille
dans le dessein de le ou les assassiner.
Pour la
plaignante, le journaliste déformait sciemment les faits pour les utiliser à sa
guise. A propos des confitures, madame de Vault affirmait qu’il n’y avait rien
là d’anormal puisqu’elle connaissait monsieur Giguère depuis quinze ans. il
était donc tendancieux et perfide de la part du journaliste d’insinuer que les
rapports entre la plaignante et le policier prouvaient que madame de Vault
donnait peut-être encore des renseignements à la police sur ce qui se passait
dans la salle de presse, ce que madame de Vault niait formellement.
Dans un
troisième temps, madame de Vault faisait grief au journaliste d’avoir
ridiculisé les descriptions qu’elle faisait des policiers impliqués dans
l’affaire en qualifiant, entre autres, la plaignante «d’Alice au pays des
merveilles» et en jugeant que ses descriptions frisaient la délirium tremens.
Enfin, de l’avis
de la plaignante, l’article de monsieur Morissette laissait entendre que ses
activités antérieures comme indicatrice de police lui auraient fait perdre
toute objectivité du moment que des policiers ou des délateurs sont en cause.
Ce qui est plus grave, de conclure madame de Vault, ce sont les allusions à
peine voilées du journaliste à l’effet que la plaignante agirait encore comme
indicatrice. Rien dans son livre et dans ses agissements ne justifie de telles
allégations, selon elle.
Commentaires du mis en cause
De son côté,
monsieur Louis Lesage, directeur du 30 soumettait que l’article de monsieur
Morissette relevait de la critique littéraire, ce genre lui permettant de jouir
d’une grande latitude pour exprimer ses opinions. Cet article était
effectivement une critique sévère du livre de madame de Vault et de monsieur
Desmarais et contestait plus particulièrement la façon dont les auteurs avaient
recueilli leurs informations.
Monsieur Lesage
affirmait que madame de Vault ne contestait pas les faits allégués par le
journaliste, mais se contentait d’en donner une interprétation différente. Le
magazine avait d’ailleurs publié intégralement une réplique de la plaignante
dans le numéro suivant la parution du premier article parce que la direction
croyait que ce débat pouvait «mener à une réflexion tout-à-fait pertinente,
concrète et intéressante sur l’utilisation des sources des journalistes, sur
leur identification ou non dans certaines circonstances, etc».
De plus, le
directeur du 30 estimait que le rappel du passé de la plaignante comme
indicatrice de police était très pertinent dans le contexte de l’article alors
que le livre raconte justement la vie d’un délateur et d’un informateur de
police. «Au surplus, de conclure monsieur Lesage, nous n’attachons à la
fonction d’indicateur aucune connotation morale ou diffamatoire».
Pour sa part,
monsieur Rodolphe Morissette précisait que la critique contenue dans son
article ne traitait que des aspects pouvant intéresser les lecteurs du 30 et ne
se voulait pas complète.
Monsieur
Morissette disait ainsi avoir voulu traiter plus spécialement de la façon dont
étaient perçus les chroniqueurs judiciaires dans le livre de madame de Vault:
«J’ai en effet la prétention de penser que lorsque de Vault parle des
chroniqueurs judiciaires de Montréal, elle ne nomme personne et met tout le
monde dans le même panier. De plus, ce qu’elle dit est très partiel et très
partial. Même si madame de Vault ne paraît pas en être consciente, elle ternit
la réputation des chroniqueurs judiciaires en les assimilant à des admirateurs
béats du délateur Lavoie».
En ce qui a
trait à la nécessité de nommer les sources que la plaignante cite dans son
livre (journaliste et badauds du Palais), monsieur Morissette soutenait que les
méthodes consistant à se fonder uniquement sur des articles de journaux de
l’époque pour rapporter les réactions du public dans la salle d’audience,
étaient approximatives sinon franchement malhonnêtes, en tout cas certainement
suspectes».
Au sujet de la
conversation téléphonique «de Vault/Julien Giguère/Donald Lavoie», monsieur
Morissette affirmait en avoir tu le motif pour deux raisons. Premièrement, ce
qui l’intéressait, ce n’était pas le motif mais bien la conversation même, «et
notamment le fait que de Vault donne à Lavoie du feedback sur le témoignage de
ce dernier». Monsieur Morissette estime que ces «feedbacks» semblent dans le
livre comprendre ceux des journalistes, comme en ferait foi la phrase: «Ceux à
qui j’en ai parlé te trouvent excellent». Monsieur Morissette rappelait que
madame de Vault était souvent présente à la salle de presse du Palais de
justice et qu’elle s’entretenait régulièrement avec les journalistes de ce qui
se passe tous les jours en cour. Monsieur Morissette disait d’ailleurs se
questionner sur la présence de madame de Vault qui «traîne» à la salle de
presse du Palais de justice. Elle disait préparer un livre sur l’administration
de la justice mais était la seule, aux dires du journaliste, à le faire dans la
salle réservée aux journalistes «avec la bénédiction du ministère de la
Justice».
La deuxième
raison pour taire le motif de la conversation résidait dans le dialogue même de
cette conversation telle qu’elle était relatée par la plaignante: – Giguère:
«Dites-donc madame, auriez-vous parlé à certains parents et/ou amis de Daniel
Lavoie, son père mis à part?» – de Vault: «Non» répond-elle.
Pour quiconque
connaît le policier Giguère, d’affirmer monsieur Morissette, «il est absolument
invraisemblable qu’il ait même tenté de prononcé cette phrase tarabiscotée que
de Vault lui met dans la bouche». Monsieur Morissette estimait en effet que
pour n’importe quel critique littéraire, ce dialogue est prima facie
inauthentique.
Quant aux
descriptions que faisait madame de Vault des policiers, monsieur Morissette les
jugeait toujours idylliques, ridicules et infantiles. Les passages cités dans
son article à ce sujet mettent d’emblée en doute la crédibilité de l’auteure,
selon lui.
Le problème
fondamental, pour monsieur Morissette, résidait dans le rappel du passé de la
plaignante. Selon monsieur Morissette, «il n’y a rien d’illégal à agir comme
indic ni à faire de la politique active. Mais si un homme public, naguère
engagé dans la politique partisane, entreprend plus tard de faire de
l’information, il ne faut pas se surprendre que des critiques passent sa
crédibilité au crible. La même remarque vaut pour les ex-indics».
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, madame de Vault affirmait que l’article ne tenait pas du tout de la
critique littéraire, comme le prétendait le directeur du 30, mais était «une
mise au pilori» d’un des auteurs du livre. Madame de Vault estimait que le
magazine avait eu raison de publier sa plainte dans l’espoir, disait-elle, que
cela «poussera les journalistes à aller au fond des choses avant de s’en
prendre à une personne et de ne pas se servir d’une couverture ronflante, celle
de la critique littéraire, pour démolir la crédibilité, la réputation d’un
citoyen et violer son droit au travail qu’il s’est choisi».
Madame de Vault
estimait également que ce n’était pas le rappel même de son passé qu’elle
reprochait au journaliste mais bien les allusions qu’elle serait encore
indicatrice de police. De plus, s’il s’agissait bien d’une critique littéraire,
comment se faisait-il que le co-auteur ne soit aucunement mis en question? Pour
la plaignante, cette omission prouvait que l’article de monsieur Morissette
était une attaque personnelle à son endroit et relevait du conflit de
personnalité.
La plaignante
demandait comment son livre avait pu ternir la réputation des chroniqueurs
judiciaires de l’époque d’autant plus que personne n’était nommé dans son
livre. Elle ne voyait d’ailleurs pas du tout la nécessité de préciser que les
opinions des journalistes concernant Lavoie avaient changé depuis ses
témoignages.
Quant aux
raisons données par monsieur Morissette pour expliquer son silence sur les
motifs de l’appel téléphonique du policier Giguère, elles laissaient la
plaignante «baba, béate et bouche bée». Ainsi, insister sur un détail
accessoire de la conversation, à savoir la question de Donald Lavoie concernant
ses témoignages et taire les vrais motifs de cette conversation relevait de la
mauvaise volonté, selon la plaignante.
Madame de Vault
notait que la brigade anti-gang avait sûrement plus à faire que de s’occuper
des opinions des chroniqueurs judiciaires sur leur témoin-vedette. De plus,
madame de Vault se demandait si la mise en relief de ce détail de la
conversation justifiait le qualificatif de «panier percé» et l’allusion qu’elle
travaillerait encore à la solde policière.
Ce qui étonnait encore
plus madame de Vault, c’était la deuxième raison donnée par le journaliste pour
taire les motifs de la conversation téléphonique, à savoir l’inauthenticité
probable des propos tenus par le policier Giguère. Madame de Vault disait
connaître suffisamment monsieur Giguère pour ne pas lui prêter des paroles
qu’il n’avait pas dites et notait que monsieur Morissette ne connaissait le
policier que par ouï-dire. Comment peut-on alors maintenir que les paroles du
policier étaient «tarabiscotées»? Il aurait été plus sage, de conclure la
plaignante, que monsieur Morissette téléphone au policier afin de vérifier
l’authenticité de la conversation.
Enfin, madame de
Vault précisait qu’elle ne «traînait» pas au Palais de justice mais y
travaillait à la préparation d’un livre qui n’avait d’ailleurs rien à voir avec
l’administration de la justice, comme le prétendait le journaliste. Madame de
Vault tenait de plus à préciser que la salle de presse du Palais de justice
n’accueillait pas seulement des journalistes; des avocats et un officier de
liaison la fréquentaient également. Au nom de quelle idéologie devrait-on
mettre la plaignante à la porte, demandait-elle: parce qu’elle a été
indicatrice de police? parce que monsieur Morissette souffre de paranoïa?
Analyse
Le chroniqueur jouit, de par le genre journalistique particulier que constitue la critique littéraire, d’une grande latitude dans la formulation de ses jugements et dans l’expression de ses points de vue et critiques. Cette discrétion et cette latitude ne sauraient s’exercer, bien sûr, de façon absolue. Même par le truchement d’une chronique, le journaliste ne saurait se soustraire aux exigences de rigueur, d’exactitude, d’honnêteté ou d’intégrité qui s’imposent à tous les professionnels de l’information.
Dans le présent cas, le Conseil estime que le journaliste a respecté les normes déontologiques en vigueur. Le ton employé dans l’article ainsi que les termes choisis ne faisaient que témoigner de la sévérité des critiques exprimées par le journaliste.
Le Conseil est également d’avis que la publication intégrale de la plainte de madame de Vault dans l’édition suivante du 30 a permis aux lecteurs de connaître un autre point de vue et de porter leur propre jugement sur l’affaire en question.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C09A Refus d’un droit de réponse