Plaignant
Le groupe
Recherche action sur le racisme
Représentant du plaignant
M. Babakar P.
Touré (représentant, Recherche action sur le racisme)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. Régis Tremblay (éditorialiste)
Représentant du mis en cause
M. Alain
Guilbert (rédacteur en chef, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le billet du
journaliste Régis Tremblay intitulé «Des cadavres au dessert», paru dans
l’édition du 10 février 1985 du Soleil, contient des propos racistes et méprisants
envers les pays du Tiers-Monde et le peuple éthiopien en particulier. Faisant
appel à un humour de mauvais goût, le journaliste aborde la question de l’aide
accordée à ces pays et critique certains reportages traitant de la famine en
Ethiopie.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte du groupe Recherche action sur le
racisme (RAR), représenté par monsieur Babakar Pierre Touré, qui reprochait à
monsieur Régis Tremblay, journaliste au Soleil, d’avoir tenu des propos offensants,
racistes et méprisants envers les pays du Tiers-Monde et le peuple éthiopien en
particulier dans un «éditoriant» (billet humoristique) paru le 10 février 1985.
Ce billet, titré
«Des cadavres au dessert», traitait de l’aide jugée inefficace des pays riches
aux pays du Tiers-Monde ainsi que de certains bulletins de nouvelles relatant
la famine en Ethiopie qui tenaient beaucoup plus du spectacle, selon le
journaliste, que du reportage. Monsieur Tremblay concluait son billet
humoristique en soumettant que le seul moyen d’enrayer la famine et le
surpeuplement en Afrique était la télévision qui, en Occident, avait provoqué
une forte baisse de la natalité depuis son avènement. «De cette façon, écrivait
monsieur Tremblay, les autochtones penseront moins à la bagatelle, et
lorsqu’ils se verront aux nouvelles télévisées, ils se feront horreur et ils se
prendront en main».
Monsieur Touré
estimait que les propos du journaliste étaient outrageants pour les pays du
Tiers-Monde, qualifiés dans le billet de «pays en voie de dépérissement».
Monsieur Touré soumettait que l’utilisation répétée du démonstratif «ce» dans
les expressions «ces peuplades», «ces illettrés», «ces tribus» ne faisait que
renforcer le caractère déjà péjoratif de ces mots.
Enfin, le
plaignant jugeait discriminatoire le billet de monsieur Tremblay «pour ses
comparaisons douteuses avec le développement social et économique des
Israéliens, des Esquimaux et des Inuits, pour la description simpliste du drame
éthiopien, description qui pue le paternalisme et frise la désinformation et
pour l’outrage fait aux Ethiopiennes (et à toutes les femmes du Tiers-Monde),
qualifiées d’illettrées et d’analphabètes».
Le groupe RAR
estimait que la publication de nombreuses lettres de lecteurs mécontents ne
constituait pas une réparation des «préjudices causés par l’éditoriant». Tout
comme la «brève réponse cynique» de monsieur Tremblay au bas d’une page de ces
lettres et l’éditorial sur la famine signé par monsieur Jacques Dumais le 24
février 1985 ne pouvaient constituer «une justification ou une rectification».
Commentaires du mis en cause
Pour sa part,
monsieur Alain Guilbert soumettait que le texte de monsieur Tremblay se voulait
un billet humoristique plutôt qu’un «éditorial sérieux». Le texte, ainsi que la
caricature qui l’accompagnait, étaient encadrés et coiffés de la mention
«éditoriant», abréviation des mots «éditorial et riant». Le titre était
également imprimé en caractères italiques pour «bien montrer qu’il s’agit d’un
billet».
Dans les jours
qui ont suivi la publication du texte incriminé, Le Soleil avait publié au
moins six lettres différentes commentant les propos de monsieur Tremblay en
plus de résumer deux autres interventions qui allaient dans le même sens que la
majorité des intervenants. Dans ces circonstances, poursuivait monsieur
Guilbert, la plainte de monsieur Touré n’apportait pas d’éléments nouveaux dans
le débat «puisque les arguments qu’il invoquait avaient tous été soulevés par
d’autres intervenants».
Monsieur
Guilbert affirmait que la chronique d’humour était un genre difficile qui se
prêtait à toutes les interprétations de la part des lecteurs, ceux-ci voyant un
sens «que l’auteur n’a probablement jamais voulu donner à ses propos». Ce genre
avait cependant sa place, concluait-il, dans les pages du Soleil qui «tente de
faire place à toutes les formes journalistiques».
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, monsieur Touré estimait que l’argumentation de monsieur Guilbert
n’était pas nouvelle et correspondait aux propos qu’il avait tenus lors d’une
rencontre que les plaignants avaient eue avec lui à ce sujet. Monsieur Touré
soumettait de plus que le billet humoristique permettait sans doute à son
auteur une grande latitude d’expression, mais l’assujettissait tout de même au
respect de faits. «L’humoriste, selon monsieur Touré, ne saurait donc être
exempt de la rigueur et de l’intégrité intellectuelles qu’on exige des autres
chroniqueurs».
Analyse
Le billet, comme la caricature, a comme fonction première d’illustrer ou de présenter, en faisant appel à l’exagération du trait, un personnage, un fait ou un événement de façon satirique ou humoristique. Ce mode particulier d’expression constitue un véhicule d’opinions au même titre que l’éditorial.
Partant, si l’on doit reconnaître que ce genre journalistique laisse à son auteur une grande latitude d’expression, l’on est aussi en droit de s’attendre à ce que l’auteur d’un billet s’acquitte de sa tâche avec la même conscience, le même souci de la qualité et le même respect d’autrui qui sont exigés des autres professionnels de l’information.
Cette exigence est d’autant plus pressante qu’elle permet de maintenir une distinction minimale entre la presse d’information et la littérature humoristique, sans pour cela confiner la première aux seuls genres journalistiques traditionnels.
A ce sujet, le Conseil doit d’abord noter que le texte en question n’était pas assez clairement identifié comme billet. Le fait de le mettre en page éditorial en le titrant simplement «éditoriant» pouvait, en effet, amener le lecteur à confondre les genres journalistiques utilisés ici.
Par ailleurs, tout en reconnaissant que le billet demeure un véhicule d’opinions, le Conseil est d’avis que, telle que rédigée, cette tentative très discutable d’humour pouvait renforcer les préjugés occidentaux traditionnels à l’égard des peuples visés.
Analyse de la décision
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C20A Identification/confusion des genres