Plaignant
M. Jean Laurin
(avocat, [nd])
Représentant du plaignant
M. Emile Colas
(avocat, Colas 1/4 Associés)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et M. Claude Arpin (journaliste)
Résumé de la plainte
Le 28 mai 1985,
contrairement à une entente écrite signée par le journaliste Claude Arpin, The
Gazette publie l’article «Fraud alleged in Mulroney : endorsed water scheme»
sans l’avoir auparavant soumis au plaignant pour approbation. Le titre de
l’article s’avère tendancieux et ne reflète pas le sens de la nouvelle.
Finalement, le journaliste attribue au plaignant des propos qu’il n’a pas
tenus.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean Laurin, avocat de Montréal, qui
reprochait au journaliste Claude Arpin du journal The Gazette d’avoir abusé de
sa confiance et de lui avoir attribué des paroles qu’il n’avait pas dites.
Monsieur Laurin reprochait de plus à The Gazette le libellé du titre «Fraud
alleged in Mulroney – endorsed water scheme» accompagnant l’article de Monsieur
Arpin paru le 28 mai 1985. Pour Monsieur Laurin, ce titre était tendancieux et
ne reflètait pas le sens de la nouvelle publiée.
L’article relatait
les poursuites intentées par six personnes estimant avoir été trompées par un
promoteur projetant d’exporter de l’eau douce aux Emirats arabes unis. Me Jean
Laurin représentait les demandeurs dans cette cause.
Le plaignant
rappelait en premier lieu que le journaliste avait accepté de signer une
déclaration par laquelle il s’engageait à ne rien publier des informations
fournies par monsieur Laurin tant que ce dernier n’aurait pas vérifié le texte
de l’article et n’en n’aurait pas autorisé par écrit la publication. Monsieur
Laurin affirmait n’avoir jamais vu cet article tel que publié et n’avoir jamais
fourni d’autorisation écrite pour une telle publication. Il s’inscrivait de
plus en faux contre le dernier paragraphe de cet article dans lequel monsieur
Arpin faisait dire au plaignant qu’il avait l’intention de faire témoigner le
premier ministre Brian Mulroney dans cette cause parce que celui-ci avait
adressé au promoteur une lettre appuyant son projet.
Monsieur Laurin
affirmait que sa bonne foi avait été abusée et que le dernier paragraphe de
l’article lui avait causé des torts irréparables.
Commentaires du mis en cause
De son côté, le
journaliste Claude Arpin disait avoir accepté de signer la déclaration proposée
par le plaignant, procédure qu’il jugeait par ailleurs inhabituelle, parce que
les clients de monsieur Laurin «avaient déjà assez souffert comme ça». En
présentant son article à l’avance, il était ainsi possible de corriger
certaines erreurs et d’éviter des désagréments supplémentaires aux clients de Me
Laurin. Le plaignant demanda également au journaliste de taire l’identité de
ses clients pour les mêmes raisons. Monsieur Arpin notait que cette demande
était elle aussi «fort inhabituelle» mais qu’il l’avait tout de même acceptée.
Le jour
précédent la parution de l’article, le journaliste rencontra monsieur Laurin et
ce dernier effectua quelques corrections de faits et de terminologie légale.
Monsieur Arpin considérait alors avoir rempli son engagement face au plaignant.
A la fin de la rencontre, le journaliste demanda au plaignant s’il allait
sommer le premier ministre canadien à témoigner. Le plaignant lui aurait
répondu par l’affirmative en ajoutant qu’il était révoltant («shocking») pour
un premier ministre de permettre que son nom soit utilisé dans une affaire si
ténébreuse. Le journaliste ajouta cette déclaration à son article, estimant que
l’engagement qu’il avait signé n’était pas strict au point de l’obliger à
soumettre au plaignant tout texte émanant de ce que ce dernier pourrait lui
dire dans le futur. «Après tout, poursuivait-il, j’ai signé (l’engagement) pour
protéger ses clients et non pas pour protéger monsieur Laurin du cabinet du
premier ministre».
Après la
parution de l’article, le journaliste apprit les démentis publics du plaignant
concernant sa volonté de faire témoigner monsieur Mulroney. Rejoint au
téléphone, le plaignant lui aurait déclaré: «Vous n’avez pas idée de ce que
j’ai pu traversé aujourd’hui. J’ai été littéralement mitraillé par Bernard Roy
(du bureau du Premier ministre)…». Le journaliste lui rappelant qu’il avait
lui-même déclaré qu’il voulait faire témoigner monsieur Mulroney, le plaignant
aurait rajouté: «Même si je pouvais me rappeler avoir dit ça, je n’en aurais
jamais autorisé la publication. Je ne peux me permettre que de tels propos me
soient attribués. Votre journal doit se rétracter». Le journaliste lui fit
cependant remarquer qu’il n’avait pas à se rétracter pour la seule raison de
redorer l’image du plaignant face au bureau du premier ministre.
Un peu plus tard,
après avoir été menacé de poursuite par monsieur Laurin, le journaliste
rencontra à nouveau ce dernier qui lui aurait déclaré: «Ne vous en faites pas
pour cette lettre d’avocat (mise en demeure). J’avais à faire cela afin de
satisfaire le bureau de Mulroney. Soyez assuré qu’aucune action ne sera prise
contre vous…».
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, monsieur Laurin niait avoir exigé du journaliste un engagement écrit
pour ne pas causer d’autres désagréments à clients, mais plutôt pour
«rencontrer les termes de la règle du sub judice». Monsieur Laurin niait
également avoir autorisé la publication de l’article du journaliste lors de la
première rencontre puisqu’il n’avait pas vu cet article une fois apportées les
corrections demandées.
Le plaignant
infirmait en outre avoir déclaré au journaliste qu’il avait l’intention de
faire témoigner Brian Mulroney. Il aurait d’ailleurs affirmé à monsieur Arpin
qu’il était inutile de recourir à un tel procédé, les clients de monsieur
Laurin ayant investi dans le projet d’exportation d’eau bien avant que la
lettre de monsieur Mulroney ne soit écrite.
Monsieur Laurin
estimait également que monsieur Arpin était bel et bien lié à son engagement
tant et aussi longtemps que prévalait la règle du sub judice.
Enfin, pour monsieur
Laurin, il serait raisonnable d’exiger que le journal The Gazette et/ou son
journaliste confirment au cabinet de monsieur Mulroney que les propos contenus
dans l’article de monsieur Arpin ont été le fruit d’une interprétation
journalistique et en tout état de cause n’auraient jamais dû être écrits.
Analyse
Le Conseil considère qu’effectivement, il est pour le moins inhabituel qu’un journaliste et/ou une entreprise de presse s’engagent, de façon aussi contraignante et limitative que dans le présent cas, à soumettre à l’approbation de leurs sources les textes devant faire l’objet de publication.
Une telle pratique constitue un danger potentiel de censure de la presse et limite grandement l’autonomie rédactionnelle des professionnels de l’information.
Rien dans le cas soumis au Conseil ne justifiait la proposition et la signature d’une telle entente. Aussi, dans la mesure ou l’entente même n’avait pas, de l’avis du conseil, sa raison d’être, il ne saurait être question pour le Conseil de statuer sur le respect ou le non respect de ladite entente.
Par ailleurs, en ce qui a trait aux déclarations prêtées au plaignant et niées par lui sur l’implication du Premier ministre Mulroney dans cette affaire, le Conseil est en présence de versions tout à fait contradictoires et il ne peut donc pas trancher.
Enfin, le Conseil est d’avis que le titre coiffant l’article de monsieur Arpin reflète honnêtement le contenu dudit article et ne verse nullement dans le sensationnalisme.
Analyse de la décision
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C23F Faire voir un texte avant publication