Plaignant
La Lucarne
Représentant du plaignant
Pierre Lévêque
(chef-propriétaire, La Lucarne)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et Mme Nicole Savoie (collaboratrice)
Représentant du mis en cause
M. Philippe
Gélinas (procureur, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Mme Nicole
Savoie, collaboratrice au Devoir dans le cadre de la rubrique «La bonne table»,
se place en situation de conflit d’intérêts en signant, dans l’édition du 12
octobre 1985, le texte «La Lucarne est bien à sa place avenue Laurier ouest».
Le Devoir aurait dû s’assurer de l’intégrité de Mme Savoie, qui est affiliée à
un restaurant concurrent de celui qu’elle critique.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Pierre Lévêque, chef-propriétaire du
restaurant La Lucarne de Montréal, qui s’en prenait à l’article paru dans Le Devoir
du 12 octobre 1985 sous la rubrique «La bonne table» sous le titre «La Lucarne
est bien à sa place avenue Laurier ouest». Cet article était signé par madame
Nicole Savoie.
Monsieur Lévêque
dénonçait «le manque d’éthique professionnelle évident et le conflit d’intérêts
de la signataire de l’article en question qui, en tant que
secrétaire-trésorière du restaurant compétiteur, le restaurant L’Auvergnat
Inc., était «à la fois juge et partie pour rechercher à ses fins personnelles,
par le biais de cette critique, un bassin de clientèle situé dans le même
district».
Il s’étonnait
aussi au plus haut point que la «rédaction d’un journal ayant pour devise
« Fais ce que dois » puisse permettre la parution d’une critique
culinaire sans préalablement s’assurer de l’intégrité intellectuelle de
l’auteur».
Commentaires du mis en cause
Contestant
d’abord la prétention du plaignant à l’effet que les deux restaurants en
question fussent situés «dans le même district», ceux-ci résidant plutôt dans
deux quartiers différents bien que voisins, le procureur du journal Le Devoir,
monsieur Philippe Gélinas, soutenait que l’ignorance du Devoir n’était
imputable «ni à la négligence ni à un aveuglement volontaire». Il était
impossible de savoir que la signataire de l’article avait un intérêt dans un
commerce concurrent à moins qu’elle n’ait donné elle-même ce renseignement. Ses
recherches personnelles confirmaient d’ailleurs que madame Savoie n’était pas
inscrite sous son nom dans l’acte corporatif du restaurant L’Auvergnat, mais
plutôt sous le nom de famille de son mari.
En dépit de cela
et compte tenu des circonstances, Le Devoir aurait toutefois décidé de faire
paraître un nouvel article concernant La Lucarne, rédigé cette fois par «une
personne n’ayant aucun lien avec l’industrie de la restauration». Cet article,
publié le 30 novembre 1985 sous la signature de monsieur Pierre-Louis Gélinas
était précédé d’une note de la rédaction informant les lecteurs du fait que le
premier texte avait été rédigé par une personne dont Le Devoir ignorait qu’elle
se trouvait en conflit d’intérêts.
Analyse
Comme il l’a répété à plusieurs occasions, le Conseil estime que les entreprises de presse et leurs collaborateurs doivent éviter tout conflit d’intérêts et toute situation qui risque de les faire apparaître en de tels conflits. Cette exigence a comme objectif d’empêcher ces derniers de compromettre leur crédibilité professionnelle de même que l’intégrité de l’information.
Les médias ont une responsabilité spéciale à cet égard de veiller à ce que leurs collaborateurs ne se retrouvent pas dans de telles situations.
Or, dans le présent cas, la signataire de l’article en question était nettement en conflit d’intérêts. Elle aurait dû, d’une part, avertir le journal qu’elle était secrétaire-trésorière d’un restaurant concurrent de celui sur lequel portait son article. D’autre part, Le Devoir a manqué de vigilance et de la prudence élémentaire qui devrait au moins permettre aux médias de savoir qui sont leurs collaborateurs.
Le Conseil considère que la note explicative chapeautant le second article a eu au moins le mérite d’informer les lecteurs de l’irrégularité du premier. Cependant, en faisant appel au frère de son procureur pour rédiger le second article, Le Devoir se replace en situation de conflit d’intérêts. Comment, en effet, ce second article peut-il être plus crédible que le premier puisque, indépendamment de son contenu, il semble n’avoir d’autre objectif que de défendre les intérêts du Devoir au détriment de l’intégrité de l’information?
Analyse de la décision
- C22E Travail extérieur incompatible
- C22F Liens personnels