Plaignant
Mme Gisèle
Lalande (journaliste, Société Radio-Canada [Montréal])
Mis en cause
La Société
Radio-Canada [Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Pierre O’Neil
(directeur du service de l’information, Société Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
La Société
Radio-Canada refuse la permission à sa journaliste Gisèle Lalande d’animer un débat
organisé par le mouvement des «Femmes regroupées pour l’accessibilité au
pouvoir politique et économique». Pourtant, la journaliste ne risquait pas de
se retrouver en situation de conflit d’intérêts puisque ce mouvement, qui
défend ni parti ni idéologie en particulier, a fait appel à elle à titre
personnel et non comme représentante de la Société Radio-Canada.
Griefs du plaignant
Madame Gisèle
Lalande, journaliste à la Société Radio-Canada, demandait l’avis du Conseil de
presse sur le différend qui l’avait opposé a la Société concernant sa
participation à un «panel» organisé par le mouvement des Femmes regroupées pour
l’accessibilité au pouvoir politique et économique (FRAPPE) avec les principaux
chefs de partis au cours de la dernière campagne électorale.
Madame Lalande
soutenait que bien que le FRAPPE ait fait appel à ses bons offices à titre
personnel et non comme représentante de la Société, la direction de
l’information lui avait interdit d’y prêter son concours en invoquant un danger
possible de conflit d’intérêts susceptible de nuire à sa crédibilité ainsi qu’à
celle de la Société.
Il n’en était
rien, selon madame Lalande, puisque le mouvement en question est un organisme
non partisan, qui n’appuie aucun parti politique et ne défend aucune idéologie
particulière. D’autre part, n’étant aucunement à l’emploi de ce mouvement et
aucun cachet n’étant attaché à sa participation, son rôle aurait été celui
qu’elle assume tous les jours dans son métier, soit questionner les politiciens
sur leurs politiques. Elle avait d’ailleurs pris la peine de s’assurer
elle-même que ce projet comportait toutes les garanties professionnelles.
Commentaires du mis en cause
Le directeur du
service de l’information de Radio-Canada, monsieur Pierre O’Neil, refusait pour
sa part de commenter la plainte, en invoquant que la décision de la direction
de l’information était sans effet dans la mesure où le débat n’avait pas eu
lieu. Il précisait également que la Société Radio-Canada n’avait pas invoqué le
conflit d’intérêts, mais bien la crédibilité de la journaliste. Enfin, il
maintenait que cette décision en était une de régie interne et qu’elle ne
relevait pas du Conseil de presse, puisqu’il s’agissait de l’application des
politiques et des règles journalistiques de la Société Radio-Canada.
Madame Lalande
répliquait que la question de principe demeurait même si l’événement n’avait
pas eu lieu. Il importait en effet, selon elle, que le Conseil de presse tente
de cerner le plus près possible la définition du conflit d’intérêts et prenne
position sur le principe en jeu afin de créer ou de confirmer une jurisprudence
dans ce domaine. Quant à savoir si la raison invoquée était le conflit
d’intérêts la crédibilité, cette distinction lui semblait «bien subtile,
d’autant plus que son supérieur immédiat, monsieur André Béliveau, avait bel et
bien invoqué le conflit d’intérêts. Enfin, elle s’interrogeait sur les raisons
de la participation de Radio-Canada au Conseil de presse si la Société ne
reconnaissait pas la compétence de ce dernier en la matière.
Analyse
Le Conseil ne voit pas comment la notion de conflit d’intérêts peut être invoquée dans le présent cas. L’interprétation étroite qui lui est donnée ici constitue même, à son sens, un précédent dangereux pour l’exercice des libertés fondamentales dont jouissent, comme toute personne, les journalistes.
Le Conseil rappelle les principes qui ont guidé sa réflexion sur la notion de conflits d’intérêts en matière d’information.
Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais aussi toute situation qui risque de les faire paraître en de tels conflits ou sembler avoir partie liée avec quelque pouvoir politique, financier ou autre.
Cela dit, le Conseil estime que les garanties que doivent à cet égard se donner, et donner au public, les médias et les professionnels de l’information concernent la fonction d’informer, l’exercice du métier, et non pas les activités qu’en vertu ou en dépit de leurs qualités et de leur statut professionnels, ils sont appelés, comme dans le présent cas, à exercer à titre personnel.
Si un professionnel de l’information jouit comme toute personne des libertés d’expression, d’opinion et d’association, s’il est libre de ses appartenances et de ses engagements, pourquoi devrait-il, du fait de l’exercice de ces libertés, subir des sanctions? Pourquoi un média pourrait-il exiger de lui, ailleurs que dans l’exercice de sa fonction d’informer, la neutralité qui convient à cette fonction?
Cette distinction apparaît comme fondamentale au Conseil, l’essentiel de la notion de conflit d’intérêts, en matière d’information, étant de préserver, d’une façon stricte et rigoureuse, l’intégrité de l’information.
Or dans le présent cas, le recours à la notion de conflit d’intérêts ne concerne ni l’exercice de la fonction d’informer de la journaliste non plus qu’elle ne met en cause l’intégrité de l’information.
C’est à titre personnel et à cause de ses qualités et de sa compétence professionnelles que la journaliste fut invitée à participer au panel en question, et non pas au nom de Radio-Canada. A ce titre, elle avait parfaitement le droit d’y assister selon son bon jugement. Bien sûr, si sa présence avait été requise en tant que représentante de la Société Radio-Canada, cette dernière aurait été parfaitement justifiée de lui accorder ou non son autorisation. De plus, dans sa crainte qu’on ne confonde la journaliste à la Société et que sa présence compromette sa crédibilité ou celle de la Société, cette dernière aurait pu lui demander d’établir clairement qu’elle assistait au panel en question à titre personnel.
Une telle attitude, sans doute plus ouverte et plus flexible, aurait l’avantage de permettre une meilleure appréciation de l’essence de la notion de conflit d’intérêts en matière d’information. Elle permettrait aussi de mesurer à leur juste titre les craintes des médias quant aux atteintes possibles à leur crédibilité ainsi qu’à celle de leurs collaborateurs sans que ces appréhensions ne deviennent des motifs propres à compromettre l’exercice des libertés individuelles des journalistes.
Le Conseil invite les médias à réfléchir sur ces questions et à trouver des modus vivendi plus souples et plus précis dans l’adoption et l’interprétation de politiques et de règles journalistiques en sorte de mieux concilier à la fois la prudence à laquelle ils se doivent et l’exercice des libertés de leurs collaborateurs.
Analyse de la décision
- C22D Engagement social
Date de l’appel
21 July 1986
Appelant
La Société
Radio-Canada [Montréal]
Décision en appel
Radio-Canada en
appelle de cette décision. La Commission d’appel juge que cet appel ne contient
aucun élément ou fait nouveau dont le Comité des cas n’aurait pu prendre
connaissance et qui aurait alors été susceptible de justifier la réouverture du
dossier.
Les membres de
la Commission conviennent donc à l’unanimité de rejeter cet appel et de maintenir
la décision rendue par le Comité des cas.
Commentaires des dissidents à propos de la décision
Dissidence de
messieurs Mario Fontaine et Pierre Vigneault:
A notre avis, le
Conseil n’a pas à se prononcer sur cette question, puisqu’elle se situe à
l’extérieur de la fonction d’informer. Elle relève plutôt du domaine des
relations du travail ou de celui du respects des droits de la personne.
Dissidents
M. Mario
Fontaine et M. Pierre Vigneault