Plaignant
M. Claude Fortin
(avocat)
Mis en cause
CFLS-FM [NTR,
Lévis], M. Claude Moquin (collaborateur) et M. Pierre Picard (directeur
général)
Résumé de la plainte
Le 1er novembre 1985,
deux jours avant les élections municipales de Lévis, la station CFLS diffuse
une émission visant à discréditer M. Hugues Labrecque, candidat au poste de
maire. Malgré son caractère partisan et trompeur, cette émission se présente
comme une émission d’information impartiale basée sur la pseudo-expertise de
ses animateurs, M. Pierre Picard, directeur général de CFLS, et M. Claude
Moquin, consultant en communication. Ceux-ci divulguent les résultats d’un
sondage sans mentionner sa source, ni la méthodologie utilisée.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Claude Fortin, avocat, qui dénonçait
l’émission spéciale consacrée aux élections municipales de Lévis diffusée sur
les ondes de CFLS le 1er novembre 1985 animée par le directeur général de la
station, monsieur Pierre Picard, et monsieur Claude Moquin, consultant en
communication.
Le plaignant
dénonçait le caractère partisan et trompeur de l’émission en question diffusée
deux jours avant l’élection. D’une part, il soutenait que bien que présentée
comme une «émission spéciale d’informations sur le règne de monsieur Vincent F.
Chagnon des quatre dernières années», «le ton et le sarcasme» des animateurs,
leurs «révélations douteuses» et leurs «affirmations fausses» concernant l’opposant
au maire sortant, monsieur Hugues Labrecque, suffisaient à eux seuls à
convaincre l’auditeur que leur seul but était «de ridiculiser et de
discréditer» ce dernier ainsi que les conseillers qui l’appuyaient. D’autre
part, il reprochait aux animateurs présentés comme «experts» sans que ni «le
fondement ou la nature de leur expertise» ne soit précisé, d’avoir omis
d’informer leurs auditeurs de leurs «couleurs partisanes». Selon monsieur
Fortin, les animateurs étaient «des membres importants de l’organisation du
maire sortant» l’un deux, monsieur Picard, ayant même signé le bulletin de
présentation du maire Chagnon. Taire ce fait justifiait dès lors l’auditeur à
croire qu’il entendait «des propos objectifs et une analyse impartiale des
sujets traités» sans «aucune raison de filtrer la partialité de ces
pseudo-experts», étant persuadé de l’objectivité et de la véracité de leurs
propos.
Ce qui
apparaissait au plaignant «le plus grave» toutefois dans «toute cette émission
déguisée» c’était «la révélation d’un sondage en laissant croire qu’il fut
réalisé par la station radiophonique elle-même», sans mention ni de la source
ni de l’identité du ou des réalisateurs, sans «préciser la nature et la forme
de la ou des questions posées et de la ou du choix de réponses suggérées, bref
d’affirmer s’il s’agissait d’un sondage scientifique ou non». Impossible donc
de vérifier s’il s’agissait là d’un «sondage inventé» ou «tout simplement des
résultats du pointage effectué par l’organisation du maire Chagnon». Tout en se
déclarant partisan et organisateur du candidat Labrecque, le plaignant estimait
que la diffusion d’un tel sondage dont CFLS avait rappelé «les résultats à
plusieurs reprises sur ses ondes jusqu’au jour du scrutin», avait eu comme
résultat d’induire en erreur une partie importante de la population et
d’affecter les résultats du scrutin. Il concluait qu’au delà de sa préférence
pour un candidat, il ne pouvait accepter «qu’on manipule l’opinion de ses
concitoyens de façon aussi grossière».
Commentaires du mis en cause
Le directeur
général de CFLS, monsieur Pierre Picard, niait «vigoureusement» que son
collègue ou lui-même aient été des membres importants de l’organisation
électorale du maire Chagnon. Avoir signé le bulletin de présentation du maire
Chagnon n’était que l’expression d’une «saine démocratie». Ceci ne l’avait
d’ailleurs pas empêché de «critiquer sévèrement» l’administration de ce dernier
au cours de l’émission.
Monsieur Picard
attirait l’attention du Conseil sur le fait que durant les quinze jours
précédant l’élection, la station CFLS avait diffusé des émissions avec chacun
des candidats. Tous, sauf un, s’étaient alors prévalus de leur temps d’antenne.
Au cours de l’émission du 1er novembre, son collègue et lui-même avaient
critiqué des dossiers public traités lors des assemblées du conseil municipal
durant les quatre dernières années. Il était important, selon lui, de rappeler
aux Lévisiens que «de graves interrogations se posent quant à la gestion de
leur ville» et, comme les deux candidats à la mairie «n’avaient même pas
effleuré» ces problèmes, il était du devoir des animateurs de le faire. Il
rappelait d’ailleurs à ce sujet qu’un grand nombre de ces dossiers municipaux
avaient fait l’objet d’éditoriaux diffusés par la station en 1985.
En ce qui
concerne le sondage, monsieur Picard disait avoir l’intention de continuer à
employer des téléphonistes dans des locaux de la station «comme ce fut le cas
lors de l’élection de Lévis, afin de connaître le pouls de la population à
l’égard de leur station radiophonique, de leurs besoins et de ce qu’ils pensent
de leurs élus». Cette formule s’était d’autre part révélée efficace, puisque
les résultats diffusés au cours de l’émission du 1er novembre ne présentaient
qu’un écart de un pour cent avec les résultats de l’élection et 1.5 pour cent
avec un sondage réalisé par la firme BBM. Il affirmait en outre que le sondage
n’avait été diffusé qu’une seule fois, soit lors de l’émission du 1er novembre
et non à plusieurs reprises, tel que l’avait affirmé le plaignant.
Enfin, le
directeur général de la station signalait que son collègue, monsieur Moquin,
n’était pas un animateur attitré de CFLS, mais qu’il agissait comme chroniqueur
spécialiste à tous les matins et comme «spécialiste d’analyse à toutes les
élections». Ce dernier confirmait d’ailleurs être un consultant en
communication qui collaborait à la station comme commentateur et chroniqueur en
plus d’y proposer à l’occasion des textes de nature éditoriale.
Tout en
admettant jouer un rôle actif dans la municipalité et, partant, être amené «à
travailler périodiquement avec les élus en place» dont le maire Chagnon,
monsieur Moquin indiquait au Conseil, pour sa part, qu’il aurait aimé «savoir
avant la campagne» qu’il était un membre important de l’organisation électorale
de ce dernier, comme l’affirmait le plaignant.
Il maintenait
que les faits énoncés au cours de l’émission du 1er novembre étaient véridiques
et signalait avoir eu l’occasion de traiter en ondes de la plupart de ces
événements au cours des quatre dernières années. Il ajoutait que ses prévisions
personnelles des résultats des élections s’étaient avérées justes et qu’il
n’avait rencontré aucun journaliste de la région qui se soit attendu à une
défaite du maire Gagnon; tous cependant étaient d’accord pour prévoir une lutte
serrée.
Soulignant enfin
l’implication profonde et véritable du directeur de CFLS dans les dossiers
municipaux d’intérêts public, il disait voir en son collègue «un véritable
spécialiste de la chose municipale à Lévis». Ni ce dernier ni lui-même n’avaient
été animés par la partisanerie, bien qu’il ait signé le bulletin de
présentation de l’un des conseillers sortants tout simplement parce qu’il
croyait que ce candidat devait «bénéficier du droit de se présenter devant la
population». Il ne s’agissait donc que d’un «geste normal dans une démocratie»,
geste qui ne constituait pas pour autant un engagement à voter pour cette
personne.
Réplique du plaignant
Le plaignant
répliquait que les intimés tentaient de «noyer le poisson» en élargissant le débat
à une analyse de la politique municipale lévisienne ou au rôle de CFLS sur la
scène municipale depuis un an. Il rappelait que l’objet de sa plainte
concernant une émission précise et il soulignait que le Conseil de presse en
constituait pas «le forum approprié pour discuter les comportements, les faits
et gestes ou les décisions des élus municipaux de Lévis».
Analyse
Les émissions d’affaires publiques, comme celle mise en ondes par CFLS dans le présent cas, tout en étant assimilables à du reportage d’information, tiennent aussi de l’éditorial et du commentaire. Elles confèrent donc à leurs animateurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et la formulation de leurs jugements. Elles leur permettent même de faire appel à la polémique, ce qui les oblige d’autant plus à respecter les exigences de rigueur et d’exactitude qui s’imposent à tout professionnel de l’information.
Dans le présent cas, le Conseil est d’avis que ces exigences n’ont pas été respectées. Il blâme donc la station CFLS pour avoir permis la diffusion d’une émission qui, à l’écoute, s’avère carrément partisane et de nature éditoriale alors même que les animateurs la présentaient comme une émission d’information basée sur leur expertise impartiale, ce qui n’est manifestement pas le cas. Ce faisant CFLS a compromis, selon le Conseil, la crédibilité de son service d’information ainsi que l’intégrité de l’information.
Bien que CFLS fut parfaitement en droit de diffuser un sondage sur les élections, le Conseil reproche à la station de ne pas avoir fourni les éléments d’ordre méthodologique élémentaires – source, échantillonnage, méthode d’enquête, d’analyse, cueillette des données, etc – qui auraient permis aux auditeurs d’en vérifier la qualité et de formuler eux-mêmes leur propre jugement.
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
2 July 1986
Appelant
M. Pierre Picard
(directeur général, CFLS-FM [NTR, Lévis])
Décision en appel
M. Picard en
appelle de cette décision. Après étude de cette demande, la Commission a estimé
qu’il n’y avait pas lieu de changer la décision du Conseil et cela pour les
raisons suivantes:
1. La Commission
estime qu’il était de votre responsabilité de lui démontrer que l’émission en
question «remplaçait l’éditorial du jour» comme vous le prétendez maintenant.
Le Conseil ne croit pas avoir éludé, à cet égard, ce que vous appelez «la
question de fond» ou encore négligé le contexte de ladite émission. Comme le
révèle l’écoute, cette émission fut bel et bien présentée comme «une émission
d’information basée sur l’expertise impartiale des animateurs». Dans ce
contexte, il est loin d’être certain, contrairement à ce que vous affirmez, que
vos auditeurs ne se fussent mépris sur le caractère réel de l’émission.
2. Quant à votre
allégation à l’effet que la décision du Conseil ait atteint la crédibilité des
journalistes du service d’information de CFLS, il faut comprendre que cette
décision ne vise aucunement les journalistes qui travaillent dans le service,
mais la confusion des genres résultant de la présentation de l’émission comme
une émission d’information alors qu’elle en fut une éditoriale.
3. En ce qui a
trait aux sondages, le Conseil ne peut que répéter les exigences de la
publication des informations recueillies par cette voie dont il fait état dans
sa décision. A cet égard aussi, je vous reporte à la page 4 de la publication
que le Conseil rendait publique en 1983 sur les Droits et responsabilités de la
presse (ci-jointe) et où il précise que:
«il est
primordial que la qualité des informations recueillies par sondages soit
vérifiable. Pour formuler lui-même son propre jugement, en toute connaissance
de cause, sur l’information qui lui est transmise, le public doit posséder, en
même temps que les résultats des sondages, toutes les informations qui lui sont
nécessaires: commanditaires, auteurs, échantillonnages, méthodes de recherche,
d’enquête, d’analyse, de cueillette des données, etc.»
Ces données sont
pratiques courantes dans la presse et ont depuis longtemps fait l’objet de la
réflexion et des débats tant des experts en sondages que des médias et des
professionnels de l’information soucieux de garantir l’intégrité et la
crédibilité de l’information qu’ils recueillent sous cette forme. A ce sujet,
je joins, pour votre information, les déclarations publiques du Conseil du 17
mai 1979 et du 7 février 1980. Il vous intéressera peut-être aussi de consulter
les travaux du Comité des sondages de la Société canadienne de science
politique de l’université de Montréal ainsi qu’une étude de la Société
Radio-Canada «Les sondages d’opinion politique et leur utilisation par les mass
média» réalisée en juillet 1975. La FPJQ s’est prononcée sur ce sujet en 1971,
de même aussi la Commission des droits de la personne.
4. La décision
du Conseil ne porte pas non plus sur le contenu de l’émission en soi. Ce que
vous reproche le Conseil, est-il utile de le répéter, c’est d’avoir présenté
l’émission comme une émission d’information alors qu’elle en fut une de
caractère nettement éditorial et partisan. C’est encore une fois ce mélange des
genres qui fait dire au Conseil que par cette façon de faire votre station a
compromis la crédibilité de son service d’information ainsi que l’intégrité de
l’information.
5. Concernant
votre dernier commentaire, le Conseil, selon sa procédure habituelle, a envoyé
sa décision le 23 avril et l’a communiquée aux médias le 25. Peut-être
devrait-il étendre ces délais, comme vous lui suggérez. Cependant, le Conseil
comprend mal comment vous avez pu prendre connaissance de la décision par
l’intermédiaire de l’hebdomadaire Le Point. Vous dites l’avoir reçue le lundi
28 avril. Le jour de parution du journal étant le mardi, cette décision ne
pouvait être publiée que le 29 avril.