Plaignant
M. Jean Garon
(député provincial, comté de Lévis)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Claude-V. Marsolais (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Michel Roy
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son article
«Le mystère plane sur la toute dernière subvention de Garon», paru dans
l’édition du 14 décembre 1985 de La Presse, le journaliste Claude-V. Marsolais
insinue que le plaignant a instauré, alors qu’il était ministre de
l’Agriculture, une tradition de favoritisme à l’endroit d’une auberge de
Montmagny et de son propriétaire. Le texte en question regroupe une collection
de faussetés, de demi-vérités et de faits sans relation avec le sujet traité.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean Garon, député de Lévis
à l’Assemblée nationale du Québec, qui s’en prenait à l’article de monsieur
Claude-V. Marsolais publié en première page du journal La Presse, le samedi 14
décembre 1985, sous le titre: «Le mystère plane sur la toute dernière
subvention de Garon».
Selon le
plaignant, ce texte insinuait qu’il avait instauré, alors qu’il était ministre
de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, une «véritable tradition
de favoritisme» à l’endroit du «Manoir des Erables», auberge de Montmagny, et
de son propriétaire, monsieur Renaud Cyr. Cette politique devait même
atteindre, aux dires du journaliste, «un point culminant le 12 décembre 1985»
par l’annonce d’une subvention destinée à créer à Montmagny un centre de promotion
et de développement de la gastronomie régionale».
Selon monsieur
Garon, le journaliste aurait démontré «une fois de plus son manque de sérieux
et le peu de cas qu’il fait de l’éthique professionnelle» en signant ce texte
où se cotoyaient «des faussetés pures et simples, des demi-vérités et des faits
qui n’ont rien à voir avec son propos». Il lui reprochait en outre d’y aller de
formules du genre: «on dit que», «selon certaines sources», «on aurait», en
omettant de mentionner les raisons justifiant la subvention dont faisait état
un communiqué de presse émis par le ministre. De plus, le journaliste avait
pris la peine de contacter le porte-parole d’un organisme hostile à tout projet
de ce genre, l’Institut de tourisme et d’hôtellerie, en ne faisant aucun effort
pour obtenir son point de vue comme principal intéressé.
Contrairement
aux affirmations du journaliste, monsieur Garon notait que le Manoir des
Erables de Montmagny – et non de Montmorency – n’avait jamais été classé
monument historique. Il soutenait également que monsieur René Lévesque n’avait
jamais séjourné à cette auberge et n’y avait donc jamais eu de chambre réservée
en permanence. Il signalait aussi ne pas être allé à Francfort en 1985 et
n’avoir jamais effectué quelque voyage que ce soit avec le propriétaire de
l’auberge en question. Enfin, il notait que le Manoir des Erables n’avait servi
que «très rarement» à des réunions ou réceptions ministérielles, contrairement
aux dires du journaliste qui affirmait qu’il avait organisé «plusieurs réunions
ministérielles» à cet endroit.
En plus de ces
«faussetés», il relevait également certaines «insinuations malveillantes». Par
exemple, celle reliant de façon «subtile et perfide», une subvention accordée
au Manoir des Erables en 1983 par l’OPDQ à son amitié pour son propriétaire.
Or, il n’était pas celui qui décidait des subventions versées par l’OPDQ et ses
liens d’amitié avec ledit propriétaire étaient à l’image de ceux qu’il
entretenait «avec plusieurs grands chefs de cuisine du Québec» dans le cadre des
ses fonctions ministérielles.
Monsieur Garon
jugeait, d’autre part, que l’article pêchait «gravement par omission» en ne
glissant mot de la compétence dudit propriétaire et du renom de son
établissement «pourtant les deux critères à la base même du contrat de service
signé entre lui et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation». Il concluait en soulignant le tort immense que cet article,
abondamment repris par d’autres médias, avait causé à sa réputation et à celle
de l’entreprise impliquée.
Il voyait dans
un tel traitement «un certain désir de vengeance» de la part du journaliste et
du journal qui avaient déjà été contraints de se rétracter à la suite de la
publication, un an auparavant, d’une information inexacte le concernant. Le 15
décembre 1984, en effet, La Presse avait publié un article de monsieur
Marsolais qui, sans l’avoir aucunement contacté, l’avait relié à une affaire
d’écoute électronique à laquelle il n’était aucunement mêlé. Le journal avait
dû publier un rectificatif quelques jours plus tard.
Il était aussi
d’avis que le journal avait agi soit «par désir de sensationnalisme», soit pour
«régler certains comptes»; ayant été «un des premiers à dénoncer le projet
d’achat de Télé-Métropole par Power Corporation», ce que, selon lui, l’on «ne
semble pas oublier facilement à La Presse».
Commentaires du mis en cause
Monsieur
Marsolais soutenait pour sa part n’avoir «jamais accusé formellement M. Garon»
de favoritisme. Selon lui, l’article faisait plutôt état «de la pertinence de créer
un centre de promotion et de développement de la gastronomie régionale alors
qu’un organisme public, l’Institut du tourisme et d’hôtellerie du Québec, a
justement comme mandat de populariser le développement de la gastronomie
régionale». De plus, le moment choisi par monsieur Garon pour faire son
annonce, soit à quelques jours de la passation des pouvoirs, lui paraissait
«pour le moins téméraire».
Quant aux
«faussetés» que lui reprochait le plaignant, le journaliste considérait que ce
dernier avait «raison de relever quelques faits secondaires inexacts». «Mais
quel journaliste n’en fait pas alors qu’il est pressé par l’heure de tombée, se
demandait-il?»
Ainsi, il était
vrai, selon lui, que l’article mentionnait par erreur la ville de Montmorency,
mais comme Montmagny avait déjà été mentionnée au début du texte, «le lecteur a
dû corriger la faute».
Il disait, par
ailleurs, avoir «sans doute trop vite tiré une conclusion» en se fiant à une
déclaration d’un fonctionnaire voulant que le Manoir des Erables ait été
déclaré monument historique.
L’affirmation à
savoir que le premier ministre René Lévesque aurait eu une chambre réservée à
l’année au Manoir des Erables constituait «une caricature», dont même le propriétaire
de l’auberge s’en était «vanté à plusieurs reprises à plusieurs collègues
journalistes».
Le journaliste
disait accepter la version selon laquelle le plaignant n’avait pas participé
aux Olympiades culinaires de Francfort en 1985 «ni à aucune manifestation de ce
genre».
En ce qui a
trait aux liens d’amitié entre monsieur Garon et monsieur Renaud Cyr, le
journaliste se demandait s’il ne s’agissait pas plutôt de liens politiques,
puisque l’ex-ministre ne relevait pas cette autre affirmation voulant que
l’épouse de monsieur Cyr ait travaillé pour lui lors de sa campagne à la
présidence du Parti québécois.
Monsieur
Marsolais soulignait qu’il n’avait effectivement pas rejoint monsieur Garon
pour connaître sa version des faits, bien qu’il ait laissé un message à son
bureau du comté «puisqu’il était impossible de l’atteindre à l’Assemblée
nationale en raison du remue-ménage de la passation des pouvoirs».
Il affirmait mal
comprendre les allusions de monsieur Garon attribuant son article à «un désir
de vengeance», les erreurs contenues dans un article de décembre 1984 ayant
fait l’objet d’une rétractation avant même que ce dernier ne le demande
formellement.
Disant croire
que le public et la presse ont le droit et le devoir de s’interroger sur les
actes des élus, monsieur Marsolais concluait en soutenant que le projet à la
base de toute cette affaire avait été lancé sans débat public et qu’il s’était
agi «somme toute d’une décision politique». C’est pourquoi la plainte devait
«être jugée à ce niveau».
L’éditeur
adjoint de La Presse, monsieur Michel Roy, déplorait pour sa part les erreurs
contenues dans l’article en question et estimait que monsieur Marsolais aurait
dû prendre tous les moyens à sa disposition pour obtenir la version de monsieur
Garon. «Mais je porte à votre attention le fait que La Presse a publié le
rectificatif qui s’imposait en temps et lieu». Enfin, ajoutait-il, «La Presse
et ses journalistes, envers les hommes politiques comme à l’égard de tous les
citoyens, doivent toujours se montrer attentifs aux faits et aux témoignages
des personnes en cause».
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur Garon considérait qu’ils ne faisaient que «justifier
davantage une sanction» de la part du Conseil.
Selon lui, le
coeur de l’article n’était pas l’interrogation que le journaliste soulevait,
mais bien «les éléments de réponse qu’il suggère aux lecteurs, et qu’il admet
lui-même (le journaliste), sont faux». Loin d’être des «faits secondaires
inexacts», ces propos constituaient, à son avis, «le véritable message que le
journaliste voulait livrer».
En ce qui a
trait à l’argument du journaliste concernant le moment choisi pour l’annonce du
projet, soit la veille de la passation des pouvoirs, il soutenait avoir
«travaillé jusqu’au dernier moment» de son mandat de ministre. Il s’agissait
là, par ailleurs, de «l’aboutissement d’un dossier administratif normal», tel
que l’illustrait le communiqué de presse émis pour l’annoncer.
Il signalait,
par ailleurs, que si monsieur Marsolais avait tenté de le rejoindre le 12
décembre, «il ne s’est pas identifié et n’a pas laissé de message».
Enfin, il
considérait que les commentaires de monsieur Michel Roy, éditeur adjoint de La
Presse, constituaient «un aveu», en précisant que le rectificatif auquel ce dernier
faisait référence concernait bien le litige de 1984 et non la présente plainte.
Ce rectificatif n’avait été publié, par ailleurs, qu’après qu’il ait dénoncé La
Presse et son journaliste et menacé de les poursuivre.
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes. Ceux-ci doivent cependant se conformer à l’obligation et au devoir que leur impose leur rôle d’informateurs publics de livrer une information conforme aux faits et respectueuse des événements et des personnes.
Dans le cas présent, l’article dénoncé contenait des erreurs de fait que le journaliste et le journal admettent eux-mêmes ainsi que des insinuations propres à discréditer le plaignant aux yeux de l’opinion publique.
Le Conseil blâme donc le journaliste pour son manque de rigueur et il reproche à La Presse d’avoir publié un tel article où l’amalgame d’erreurs factuelles et d’insinuations est de nature à tromper le lecteur sur le sens et la portée véritables de l’événement.
Analyse de la décision
- C15H Insinuations
Date de l’appel
27 October 1986
Appelant
M. Claude-V.
Marsolais (journaliste, La Presse [Montréal])
Décision en appel
Le journaliste
Claude-V. Marsolais en appelle de cette décision. La Commission d’appel juge
que cet appel ne contient aucun élément ou fait nouveau dont le Comité des cas
n’aurait pu prendre connaissance et qui aurait alors été susceptible de
justifier la réouverture du dossier.
Les membres de
la Commission conviennent donc à l’unanimité de rejeter cet appel et de
maintenir la décision rendue par le Comité des cas.