Plaignant
M. Bernard
Courte (rédacteur en chef, magazine Sortie [Montréal])
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et M. Douglas Janoff (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Mark Harrison
(rédacteur en chef, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son article
intitulé «Gay hangouts thrive despite AIDS scare», publié le 18 janvier 1986
par The Gazette, le journaliste Douglas Janoff semble plus préoccupé
d’entretenir la panique sur le SIDA que d’informer le lecteur. Le titre de
l’article et la photographie qui l’accompagne présentent un caractère
discriminatoire et sensationnaliste. Le titre d’un second article publié le 20
janvier, «Harness racing is « an industry with AIDS »», démontre le
mauvais goût du journal et sa soif de sensationnalisme.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Bernard Courte, réacteur en chef du
magazine Sortie, concernant deux articles publiés dans le quotidien The Gazette
les 18 et 20 janvier 1986 et intitulés, respectivement, «Gay hangouts thrive
despite AIDS scare» et «Harness racing is « an industry with AIDS »».
Le plaignant
s’en prenait au «caractère discriminatoire et sensationnaliste du titre» du premier
article – qui, selon le Conseil, pourrait se traduire ainsi: «Les repaires gais
prospèrent malgré la peur du SIDA» – ainsi que la photo illustrant cet article.
Cette photo représentait un bar gai offrant des spectacles de danse et elle
était accompagnée de la vignette suivante: «Bars and bathhouse catering to gay
community are booming as customers take detached attitude toward AIDS» – «Les
bars et saunas qui desservent la communauté gaie se développent alors que les
clients adoptent une attitude désinvolte à l’égard du SIDA».
Rappelant que la
Charte québécoise des droits de la personne interdit la discrimination contre
les gais, le plaignant se demandait alors comment le journal pouvait se
permettre de qualifier les établissements gais de «hangouts» («repaires»),
terme qu’il considérait comme «péjoratif». Pourquoi ne devraient-ils pas
«prospérer» («thrive»)? Et pourquoi ces établissements qui «desservent» («cater
to») une communauté représentant de 10 à 16 p. cent de la population ne
devraient-ils exister? Enfin, ajoutait-il, qu’est-ce que les termes «AIDS
scare» ont à voir avec le droit de réunion des membres de la communauté gaie?
Pourquoi les avoir utilisés dans le titre, alors même que l’article concluait
que la peur du SIDA n’existait pas?
Soutenant qu’il
n’y avait aucun lien entre les saunas, où se déroule une activité sexuelle, et
un bar gai qui offre des spectacles de danse, le plaignant se demandait comment
le journal pouvait insinuer, par la photo et la vignette illustrant l’article,
que les homosexuels ne devraient pas avoir leurs endroits de rencontre ou de
divertissement à cause du SIDA?
Monsieur Courte
se disait également déçu par l’auteur de l’article, monsieur Douglas Janoff,
plus préoccupé, selon lui, d’entretenir la panique sur le SIDA que d’informer
le lecteur sur les moyens de prévenir la maladie. La revue qu’il dirigeait de
même que The Body Politic de Toronto avaient même refusé un article semblable à
cause de son manque de rigueur et parce qu’il ne servait qu’à donner de la crédibilité
au discours anti-gai. Une telle façon de faire avait pour effet, selon lui, de
favoriser la discrimination contre un groupe minoritaire plutôt que de mettre
l’accent sur les mesures de contrôle de la maladie; The Gazette ne répugnant
aucunement, par ailleurs, à publier ce genre d’écrits sous le couvert
d’articles touchant la prévention.
Le plaignant
signalait en outre que cet article ignorait tout de l’attitude des francophones
et de la presse francophone vis-à-vis le SIDA et qu’à cet égard, il était non
seulement discriminatoire envers les gais, mais aussi envers les francophones.
Au Québec, comme le démontrent les statistiques, le SIDA n’est pas une maladie
homosexuelle et n’est pas considéré comme telle, soutenait-il. De plus, dans
son ensemble, la presse francophone, plutôt que de céder à l’hystérie à ce
sujet, avait adoptée une attitude non alarmiste et non sensationnaliste.
D’autre part, conclure que les francophones, contrairement aux anglophones, se
soucient peu des conséquences de la maladie et de sa prévention dénotait une
attitude quelque peu raciste.
Il estimait
enfin que le titre de l’article du 20 janvier de monsieur Paul Delean
concernant les difficultés de l’industrie des courses de chevaux et qu’on
pourrait traduire comme suit: «Les courses sous harnais constituent une
« industrie malade du SIDA »», démontrait non seulement le mauvais goût
du journal, mais également sa soif de sensationnalisme.
Commentaires du mis en cause
Affirmant tout
d’abord que le mauvais goût était une affaire de jugement personnel, le
rédacteur en chef de The Gazette, monsieur Mark Harrison, sans vouloir entrer
dans un débat sur la pertinence des endroits de rencontre pour les homosexuels,
disait ne rien trouver dans l’article de monsieur Janoff qui puisse constituer
une approbation ou une désapprobation quelconque de tels endroits. Selon lui,
il s’agissait là d’un reportage factuel ne comportant aucun jugement moral.
Enfin, il signalait que le journal avait publié de larges extraits de la lettre
de plainte de monsieur Courte.
Monsieur Douglas
Janoff soulignait pour sa part que le verbe «to hang out» était un mot d’argot
signifiant «résider» («to reside») et «thrive» signifie prospérer, se
développer («to prosper or flourish»). De là, le titre de l’article qui n’était
qu’une observation à l’effet que ce type d’établissement prospérait à Montréal
comparativement à la situation qui prévaut à New York ou à San Francisco.
En ce qui
concerne la photo illustrant l’article, il contestait l’affirmation du
plaignant selon laquelle il s’agirait d’une tentative de confondre inopinément
bars et saunas. Le but de l’article était d’informer sur les divers endroits et
occasions où les gais se rencontrent, se rassemblent et ont des relations
sexuelles. C’est également pour cette raison que son article faisait référence
à la drague sur le Mont-Royal, à la prostitution homosexuelle et aux pratiques
sexuelles alternatives.
Par ailleurs,
monsieur Janoff affirmait que s’il avait voulu attiser la panique au sujet du
SIDA plutôt que d’informer sur sa prévention, comme le prétendait le plaignant,
il n’aurait pas pris la peine d’interviewer des responsables du Comité
SIDA-AIDS Montréal. De même, ne se serait-il pas soucié de vérifier la
disponibilité des condoms dans les saunas.
Il soulignait en
outre que si son article ne faisait pas plus état de points de vue de
francophones, le plaignant n’avait qu’à s’en prendre à lui-même qui, comme
rédacteur en chef d’un magazine gai influent, avait refusé d’être cité. Comment
espérer alors que d’autres membres de la communauté gaie se prononcent
publiquement sur un sujet aussi controversé? Quant au grief selon lequel des
anglophones peu familiers avec le milieu francophone se mêleraient de critiquer
à tort et à travers l’information qui s’y faisait, il rappelait avoir cité dans
son article monsieur Richard Burzinski qui, à son avis, est tout à fait
familier avec ce milieu.
Convenant avec
le plaignant que le SIDA n’était pas une maladie homosexuelle, monsieur Janoff
soutenait que son article tenait compte des différences statistiques existant
entre le Québec et le reste de l’Amérique du Nord en ce domaine. Il citait à
cet égard des passages de son texte où il était dit que le moins grand nombre
de cas de SIDA ici rendait d’autant plus pertinents et urgents des programmes
de prévention.
En signalant que
son article en avait fait un paria au sein de la communauté gaie, tel qu’en
faisait foi la chronique «Johny Walker» publiée dans Sortie, monsieur Janoff
concluait que si un reportage sur une minorité victime de discrimination comme
la communauté gaie devait, à son avis, s’efforcer de rendre compte de plus
grand nombre de points de vue possible, on devait toutefois tenir compte des
limites qu’imposait nécessairement le refus de collaborer qui, en l’occurrence,
lui fut opposé par certains membres de cette communauté.
Réplique du plaignant
Enfin, le
plaignant convenait que l’article paru dans Sortie concernant monsieur Janoff
n’aurait pas dû être publié. Il disait regretter d’avoir «laisser passer» un
tel texte.
Analyse
L’attention que décide de porter la presse à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix du sujet de même que la façon de le traiter appartiennent en propre aux médias et aux journalistes qui doivent respecter l’exactitude des faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle.
La liberté de la presse et, partant, le droit du public à l’information, seraient gravement compromis si la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements ou si l’on pouvait exiger d’elle qu’elle véhicule des messages qui épousent l’image ou le sens que veulent donner à leur action des personnes ou des groupes.
Dans le présent cas, le Conseil ne retient aucun blâme contre monsieur Janoff. Il n’estime pas que le contenu de son article ait eu pour effet d’entretenir les préjugés, comme le prétend le plaignant.
Le Conseil n’estime pas non plus que les titres dénoncés soient discriminatoires, mis à part l’utilisation du terme «hangouts», qui peut avoir une certaine connotation péjorative.
Il en est de même pour la photo et la vignette accompagnant l’article qui, de l’avis du Conseil, ne sont ni trompeuses ni discriminatoires. Elles ne dénaturent pas non plus le contenu de l’article.
Le Conseil considère qu’en publiant des extraits de la lettre du plaignant, The Gazette a permis à ses lecteurs de prendre convenablement connaissance du point de vue de ce dernier.
Enfin, le Conseil estime que l’article paru dans Sortie concernant monsieur Janoff n’aurait pas dû être publié. Il prend aussi bonne note du regret exprimé par le plaignant à cet égard.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C17E Attaques personnelles
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination