Plaignant
Les Entreprises
Marguerite et Soleil
Représentant du plaignant
Mme Marguerite
Bilodeau (présidente, Entreprises Marguerite et Soleil)
Mis en cause
Nursing Québec
[Montréal] et Mme Nicole Rodrigue (rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
La revue Nursing
Québec refuse de publier une annonce concernant un disque produit à l’occasion
de l’Année internationale de la paix. Cette décision discriminatoire empêche la
plaignante de livrer un message principalement destiné aux infirmières, alors
que la revue accepte de publier des annonces qui ne sont pas directement
reliées à cette profession.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Marguerite Bilodeau, présidente des
Entreprises Marguerite et Soleil, qui se jugeait victime de discrimination de
la part de la revue Nursing Québec, publiée par l’Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec.
En novembre
1985, la plaignante, qui est également infirmière, avait réservé un espace publicitaire
dans la revue pour y annoncer le disque qu’elle avait produit à l’occasion de
l’Année internationale de la paix. La rédactrice en chef de la revue, madame
Nicole Rodrigue, lui aurait alors dit qu’elle ferait le nécessaire pour que
l’annonce soit publiée dans l’édition de janvier 1986. «Tout semblait conclu»
jusqu’au jour de décembre où elle apprit de madame Rodrigue que l’annonce ne
serait pas publiée.
Madame Bilodeau
considérait ce refus comme discriminatoire, l’empêchant de livrer son message
destiné principalement aux infirmières comme le démontrait la coiffe y
apparaissant, alors que la revue publie volontiers d’autres annonces qui «ne
sont pas strictement reliées à la profession». Et comme elle n’avait pas reçu
de réponse à ses demandes d’explication, elle voyait là «de la négligence et de
l’ignorance» face à la cause de la paix.
Commentaires du mis en cause
La rédactrice en
chef de la revue expliquait pour sa part que madame Bilodeau était bien venue
la rencontrer pour lui laisser son matériel publicitaire en novembre. Elle lui
aurait alors indiqué, comme «à toute personne désireuse d’annoncer» dans
Nursing Québec, la façon de procéder, les délais et les prix, etc.
Elle ajoutait
que si la plaignante avait téléphoné en décembre pour s’enquérir des suites,
c’est que cette dernière se doutait que son annonce ne passerait pas «puisque
ce n’est pas la première fois qu’elle entreprend pareille démarche de
publication». Elle l’aurait aussi informée que son annonce ne serait pas
publiée parce qu’elle ne cadrait pas avec les politiques de la revue. Cette
dernière privilégie «toute publicité de nature culturelle, socio-économique et
éducative qui informe et renseigne les membres de l’OIIQ» en autant toutefois,
comme cela est indiqué sur sa carte des tarifs, elle ne soit pas «contraire aux
intérêts et préoccupations professionnelles des infirmières». Enfin, elle
ajoutait qu’en tout temps «l’éditeur se réserve le droit d’approuver les textes
publicitaires».
C’est donc sur
ces bases que la rédactrice en chef de Nursing Québec aurait refusé l’annonce
publicitaire en question, considérant que le message qu’elle contient, si
«humanitaire» soit-il, véhiculait «un état d’esprit qui va à l’encontre de la
réalité des intérêts et des aspirations mêmes» des infirmières. Ainsi,
l’infirmière y est encore représentée avec sa coiffe, «campée dans un rôle de
« missionnaire dépassée », ayant à la bouche des paroles doucereuses et
des chansons de jeunes collégiennes des années 30». «Alléguer que notre refus
entrave l’oeuvre de paix à laquelle elle entend se dévouer en cette année
consacrée, est pure fantaisie. Je crois davantage qu’elle crie à l’injustice
parce que la vente de ses cassettes n’est pas facilitée par Nursing Québec. En
tant qu’éditeur, Nursing Québec exerce un droit à une sélection normale, saine
et souhaitable, sans pour autant créer une injustice envers la compagnie qui
essuie un refus».
Réplique du plaignant
La plaignante
considérait que les propos de madame Rodrigue concernant ses démarches
initiales reflétaient la réalité, bien que cette dernière, indiquait-elle,
n’ait pas su préciser à ce moment en quoi l’annonce ne cadrait avec les
politiques publicitaires de la revue. Au contraire, soutenait-elle, son annonce
répondait adéquatement à ces politiques.
Ainsi, son
produit, des chansons, était un phénomène culturel et la forme de l’annonce
était artistique tel que démontré par l’annonce publiée dans la revue
L’Infirmière canadienne. De plus, la chanson «être une infirmière» était, par
exemple, «un reflet typique de notre culture», et le design de l’ensemble
démontrait bien «l’harmonie existant entre le rôle de l’infirmière et celui
d’un artisan ou artiste pour la paix».
De même en
était-il du facteur socio-économique selon elle, vu l’impact des coûts du
budget de la défense nationale et de l’accident nucléaire de Tchernobyl sur
l’économie et la qualité de vie.
Enfin, ses
oeuvres étaient éducatives en ce qu’elles favorisaient une prise de conscience
des questions nucléaires et faisait appel «à l’intelligence et au coeur des
hommes». De plus, elles seraient «mélodieuses et diversifiantes», tentant
«d’inspirer à la réflexion, à l’action et à la joie de vivre». Et elles
seraient éducatives aussi en ce qui concerne la profession d’infirmière.
Madame Bilodeau
contestait d’ailleurs l’argument voulant que sa publicité soit contraire aux
intérêts et préoccupations professionnelles des infirmières. Selon elle, les
objectifs de sa publicité «sont humanitaires, et visent comme clientèle cible
les infirmières, les artisans pour la paix, et les moins convaincus. Ils visent
aussi à favoriser la sauvegarde de la vie humaine. (…) La question nucléaire,
la question de la paix sont des questions de SANTE! Décrire et faire connaître
le rôle de l’infirmière dans notre société est un rôle social. La prévention,
un des premiers rôles de l’infirmière, est aussi le but de cette oeuvre.
(…)».
La plaignante se
demandait donc pourquoi la revue avait ainsi boycotté son initiative «sans
avoir écouté le produit qui n’était pas sorti lors de la première rencontre en
novembre 1985».
Concernant le
logo et le design de la publicité, madame Bilodeau expliquait ainsi le choix de
la «coiffe qui s’envole»: s’il était vrai qu’au Québec la coiffe n’était plus
portée, elle l’était ailleurs et cette image se voulait internationale, non
seulement locale. De plus, elle signalait que, dans son édition de mars-avril
1986, Nursing Québec publiait sur la couverture arrière une photo de trois
infirmières portant la coiffe; et pourtant cette annonce «n’a pas été refusée!»
Le design représentant «l’infirmière zélée» s’expliquait pour sa part par le
fait qu’il «faut souvent être zélée pour donner un bon rendement, faire un
travail satisfaisant et exigeant».
Quant aux
«paroles doucereuses» qui lui étaient reprochées, la plaignante soutenait que
«le contraire serait loin d’être efficace et thérapeutique!» «Et depuis quand,
s’interrogeait-elle, une rédactrice se porte juge d’un produit! Ce n’est pas
son rôle. Laissons les auditeurs décider!»
Pour toutes ces
raisons, madame Bilodeau maintenait avoir été victime de discrimination. Elle
citait notamment à titre d’exemple une publicité parue dans la revue en
septembre-octobre 1985 et annonçant une cassette d’apprentissage de l’anglais,
ainsi qu’une autre publicité annonçant, en mars-avril 1985, un «club
d’investisseurs» sans identification ni adresse, ce qui serait contraire aux
politiques de la revue. Le comportement de Nursing Québec aurait donc entravé
son oeuvre de paix et de promotion de l’infirmière, d’autant plus qu’en tant
qu’organe officiel de l’OIIQ, distribué automatiquement à ses quelques 55 000
membres, la revue est en situation de monopole.
Elle exigeait
donc des excuses, une rétractation et l’acceptation par Nursing Québec d’une publicité
gratuite «en guise de compensation pour le tort» qui lui avait été causé.
Analyse
C’est la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité. Cette prérogative découle de sa liberté d’opinion et d’expression et lui confère une grande latitude dans son choix des contenus publicitaires. Si grande soit-elle toutefois, cette latitude n’est pas absolue. Les jugements d’appréciation de l’éditeur en cette matière doivent en effet reposer sur des critères connus qui ne se limitent pas à ses seuls préjugés ou convictions. De plus, ces critères doivent concilier aussi objectivement que possible la responsabilité rédactionnelle de l’éditeur et les exigences du droit du public à l’information.
Dans le présent cas, le Conseil estime que la rédactrice en chef de la revue Nursing Québec a exercé son choix rédactionnel conformément à sa prérogative. Son choix comporte nécessairement une base de subjectivité qui ne permet toutefois pas au Conseil de conclure qu’il soit entaché d’un esprit de discrimination envers la plaignante.
Analyse de la décision
- C10D Refus de publier