Plaignant
M. Yves Ménard (maire, Carignan) et la
Chambre de commerce de Chambly-Carignan
Représentant du plaignant
M. Christian Dufour (secrétaire, Chambre de
commerce de Chambly-Carignan)
Mis en cause
Le Journal de Chambly
Représentant du mis en cause
M. Daniel Noiseux (directeur général, Le
Journal de Chambly)
Résumé de la plainte
Les 4 mars, 18 mars et 1er avril 1986, Le
Journal de Chambly publie, sous la signature «Trium Verrat», des chroniques
satiriques intitulées respectivement «Le sommet inter-municipal dit le sommet
inversé», «On sait toujours « toute » d’avance» et «Allô j’écoute». Ces
textes présentent des positions fort discutables. Leurs véritables auteurs ne
sont pas identifiés, alors que le population avait le droit de connaître les
noms de ceux qui tiennent de tels propos.
Griefs du plaignant
Le Conseil a terminé l’étude de la plainte du
maire de la ville de Carignan, monsieur Yves Ménard, et de la Chambre de
commerce de Chambly-Carignan qui reprochaient au Journal de Chambly d’avoir
publié des textes dont les véritables auteurs n’étaient pas identifiés.
Monsieur Ménard s’en prenait à deux textes
publiés les 4 et 18 mars 1986 sous les titres respectifs de «Le sommet
inter-municipal dit le sommet inversé» et «On sait toujours « toute »
d’avance», signés «Trium Verrat». Selon lui, ces articles avaient «l’effet de lettres
anonymes»; de plus, la population serait «en droit de connaître les noms de
ceux ou celles qui salissent et déblatèrent sur les associations et leurs
institutions démocratiques».
La Chambre de commerce de Chambly-Carignan se
plaignait également du texte du 4 mars, ainsi que d’un autre de «Trium Verrat»
publié le 1er avril 1986 sous le titre «Allô j’écoute». Selon le secrétaire de
la Chambre de commerce, monsieur Christian Dufour, il était «inadmissible de
laisser écrire des sottises alors que le signataire de ces propos n’ose pas se
faire connaître publiquement». Et les propos de «Trium Verrat» étaient d’autant
plus choquants qu’ils prenaient «partie pour une version politique des faits à
l’encontre des gens qui travaillent souvent d’une façon bénévole au bénéfice de
leur région et qui eux n’ont pas peur de s’afficher».
Commentaires du mis en cause
Le directeur général du Journal de Chambly,
monsieur Daniel Noiseux, disait pour sa part ne pas croire que toute personne
qui écrit dans un journal doit nécessairement signer sous son vrai nom.
L’utilisation d’un pseudonyme, pratique relativement courante dans la presse
écrite et la littérature en général, permettrait selon lui «d’assurer une
certaine protection de l’identité pour l’auteur d’une chronique»,
particulièrement dans un média régional où «la petitesse du milieu (…) tend à
homogénéiser toute forme de réflexion». «En permettant l’utilisation d’un
pseudonyme, ajoutait-il, un journal régional peut justement permettre la
diffusion de ces idées, souvent minoritaires, mais qui peuvent être utiles à
une communauté».
Cela dit, il tenait aussi à préciser n’avoir
jamais caché la véritable identité des auteurs de «Trium Verrat, une entente
avec ceux-ci spécifiant que le journal pouvait, sur demande, «dévoiler leur
identité à toute personne qui le désire».
Il indiquait également que les textes
dénoncés étaient bien des chroniques, et non des articles. Et, selon lui, ces
chroniques comportaient une identification propre, très visible, encadrée et se
remarquant par une disposition graphique différente des autres textes. De plus,
les lecteurs étaient mis en garde «de façon claire et non équivoque» par une
mention publiée avec chacune des chroniques et se lisant comme suit: «Trium
Verrat» est, on vous le rappelle, une ou plusieurs personnes spécialisées dans
la désinformation, le sarcasme et le cynisme». Enfin, la chronique était
délibérément détachée «de l’espace réservé au traitement factuel ou éditorial
de l’actualité pour éviter de confondre le lecteur» et les textes signés Trium Verrat
étaient placés vers le centre du journal alors que le traitement de l’actualité
se fait généralement à l’intérieur des premières pages.
Monsieur Noiseux disait comprendre que les
plaignants puissent être en désaccord avec les propos contenus dans les trois
chroniques, dont les auteurs «adoptaient vraisemblablement le style caricatural
et en ce sens (reflétaient) une opinion ou à tout le moins une appréciation des
auteurs d’une réalité». Partant, le journal aurait offert aux plaignants de
répliquer par une lettre publiée dans la rubrique «Opinion du lecteur», mais
ceux-ci n’auraient «pas daigné utiliser ce moyen». Toutes les précautions
nécessaires avaient donc été prises pour concilier «la liberté d’opinion du
chroniqueur» et «le droit du public à l’information».
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, monsieur Ménard affirmait
que lui et son équipe ne s’étaient jamais opposés «ni à la caricature sous
toutes ses formes, ni à l’humour». Notant cependant que l’humour n’est pas
sarcasme, et se disant «tout à fait d’accord» avec le droit du public à
l’information, il affirmait cependant être «tout à fait en désaccord» avec
l’utilisation d’un journal à des fins de désinformation, de sarcasme et de cynisme,
tel que précisé dans les chroniques de «Trium Verrat». Selon lui, en effet, «la
désinformation est une information déformée, fausse et mensongère», ne visant
«qu’à manipuler le public, parfois sous couvert d’humour, mais toujours dans un
but précis et rarement avouable. Et à cela, «personne ne peut souscrire».
Enfin, il informait le Conseil qu’il était
prêt à retirer sa plainte s’il pouvait prendre entente avec le journal, mais
comme celui-ci ne semblait pas vouloir admettre «publiquement ses torts», il
demandait au Conseil de statuer sur ce cas.
Analyse
Les chroniques humoristiques dont il s’agit ici présentent un cas particulier. Bien sûr, elles ne sauraient en aucune façon être confondues avec des articles d’information. Les auteurs prennent d’ailleurs la peine d’avertir leurs lecteurs qu’il s’agit d’articles de «désinformation, de sarcasme et de cynisme». Elles ne sauraient donc méprendre le lecteur sur l’information qu’il croit en tirer. A ce titre, elles s’apparentent à la caricature dont la fonction première est d’illustrer ou de présenter un trait, un personnage, un fait, un événement en faisant appel à la satire et à l’exagération ce qui laisse à leurs auteurs une grande latitude d’expression.
Ces chroniques ne sauraient être mesurées à l’aune des articles d’information qui se doivent à la plus grande rigueur et au respect le plus strict des faits, des personnes et des événements. Ils font appel au sens de l’humour de ceux qui les lisent.
Par ailleurs, l’utilisation d’un pseudonyme est une pratique journalistique reconnue, sinon courante. Dans le présent cas, le Conseil signale en outre au plaignant que le journal s’est engagé à divulguer la véritable identité des auteurs à toute personne qui en fait la demande.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C04B Usage d’un pseudonyme