Plaignant
Mme Linda
Maislin (ex-rédactrice en chef, The Hampstead Journal)
Mis en cause
The Hampstead
Journal, M. David Leonardo (éditeur) et M. Irving Adessky (maire, Hampstead)
Résumé de la plainte
Le Hampstead
Journal congédie la plaignante, alors rédactrice en chef, à la suite de
pressions exercées par le maire de Hampstead, M. Irving Adessky. La connivence
entre celui-ci et l’éditeur du journal, M. David Leonardo, a pour résultat de
subordonner l’information à des considérations commerciales.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Linda Maislin qui accusait
l’administration municipale de Hampstead et son ancien employeur, l’éditeur du
Hampstead Journal, monsieur David Leonardo, d’obstruction à la libre
circulation de l’information dans ce journal.
En évoquant son
congédiement sans préavis du journal, dont elle fut pendant près de deux ans la
rédactrice en chef et la seule journaliste, à la suite, soutenait-elle, de
pressions exercées par le maire de Hampstead, monsieur Irving Adessky, madame
Maislin alléguait collusion et conflits d’intérêts entre le journal et la
municipalité pour subordonner l’information à des considérations d’ordre publicitaire.
Elle invoquait,
d’une part, que le directeur du journal et le maire Adessky se seraient
entendus en novembre 1985 pour octroyer au journal un contrat d’impression à la
condition que ce dernier ne publie pas l’un de ses articles concernant les
déclarations d’un résident de la ville sur les liens d’affaires qu’entretenait
l’agence de sécurité Central BPG avec la municipalité et l’étude légale dont
fait partie monsieur Adessky.
Effectivement,
au cours des semaines qui suivirent, monsieur Leonardo avait constamment
reporté, sous de vagues prétextes, la publication de l’article en question.
D’autre part, le maire l’aurait menacée de la poursuivre, ainsi que le journal,
si ce dernier le publiait et il n’aurait jamais plus, par la suite, répondu à
ses appels.
Le 12 décembre
1985, le journal publiait l’article en question sous le titre «Bids to be
called for contract held by Central Security», après qu’un concurrent, The
Suburban, en ait traité. Selon madame Maislin, cette publication coïncidait
avec la décision de la municipalité de reporter l’octroi du contrat
d’impression promis au Hampstead Journal.
Ce dernier
publiait par la suite plusieurs autres articles sur la même affaire dont l’un
dans l’édition du 20 février 1986, où paraissaient quatre pages entières de
publicité payée par la ville d’Hampstead. Par la suite, le maire aurait ordonné
aux employés de la municipalité de ne plus acheter d’espaces publicitaires dans
le Hampstead Journal, ce que semble confirmer l’absence de publicité, pendant
quelques semaines, tant de la municipalité que de l’agence de sécurité BPG qui
ne réapparut qu’au printemps à la suite de la publication d’une série
d’articles favorables aux dirigeants de la municipalité.
Madame Maislin
signalait aussi au Conseil que l’année précédente, elle avait refusé d’écrire
un éditorial favorable à la position défendue par le maire lors d’un
référendum. Son patron, monsieur Leonardo, avait alors écrit l’éditorial, sans
le signer, en en envoyant des exemplaires au bureau du scrutin, le jour du
vote.
Enfin, à la
suite d’un article dans lequel elle faisait état des griefs d’un employé
suspendu du Service des incendies de la municipalité, elle affirmait que le
maire Adessky avait émis un avis ne permettant qu’aux seuls responsables du
service de s’adresser à la presse.
Commentaires du mis en cause
Dans leurs
commentaires, messieurs Leonardo et Adessky niaient le bien-fondé des
prétentions de la plaignante: Monsieur Leonardo l’accusant de se livrer à une
campagne de dénigrement contre son journal depuis son congédiement qu’il
attribuait, par ailleurs, à son incompétence. Le seul point sur lequel il
reconnaissait le bien-fondé des prétentions de madame Maislin, concernait les
enquêtes conduites par certains services gouvernementaux – Centre de
main-d’oeuvre du Canada, Commission des normes du travail – sur son entreprise
concernant de présumées irrégularités dans l’utilisation de programmes de
création d’emplois et d’arrérages salariaux qu’elle évoquait dans sa plainte.
Le maire Adessky
fournissait pour sa part un compte rendu des événements différent de celui de
madame Maislin.
Selon lui,
madame Maislin l’aurait contacté en novembre 1985 pour lui demander ses
commentaires sur une déclaration assermentée d’un contribuable de la
municipalité concernant les liens existant entre la municipalité et l’agence de
sécurité BPG pour les fins d’un article qu’elle rédigeait sur le sujet. Elle
lui aurait lu des extraits de cette déclaration qu’il aurait déclaré non fondés
et libelleux.
A sa demande, la
journaliste aurait promis de lui envoyer copie pour fin de réplique. N’ayant
pas reçu cette copie, il avait téléphoné à l’éditeur du journal qui, après
avoir fouillé l’affaire, lui aurait confirmé n’avoir trouvé aucun affidavit
certifiant ladite déclaration, la journaliste n’ayant en sa possession que des
notes manuscrites de son interview avec le contribuable en question. C’est
ainsi que lorsque la journaliste l’a rappelé, il lui aurait déclaré que lui
ayant menti, il ne lui accorderait plus aucune entrevue au téléphone.
Monsieur Adessky
niait aussi fermement l’existence d’une entente entre lui et monsieur Leonardo
concernant un éventuel contrat d’impression si le journal taisait l’affaire de
l’agence de sécurité Central BPG. Quant aux achats de publicité, il soutenait
que la municipalité les partageait autant que possible entre le Suburban et le
Hampstead Journal, les appels d’offres étant pour leur part habituellement
annoncés dans les quotidiens, tels La Presse et The Gazette.
Monsieur Adessky
niait enfin tout fondement à l’accusation concernant les tentatives du gérant
de la municipalité pour faire congédier madame Maislin.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, cette dernière maintenait sa version des faits affirmant toutefois ne
pas pouvoir démontrer que la raison invoquée de son congédiement ait pu être
son incompétence. Elle évoquait à sa décharge les nombreux compliments,
promotions et augmentations régulières pour la qualité de son travail qu’elle
avait reçus de monsieur Leonardo. Ce n’est qu’au cours des semaines précédant
son congédiement que ce dernier lui aurait fait des réprimandes qu’elle
considérait toutefois, ainsi que ses collègues, comme farfelues et non fondées.
Elle ajoutait douter que les coupures budgétaires en fussent aussi la vrais
raison, puisqu’elle ne produisait plus qu’un seul article par semaine pour
lequel elle était payée 10$. De plus, elle aurait appris que les étudiants en
journalisme qui l’avaient remplacée étaient payés pour leurs articles.
Au sujet de la
présumée vindicte personnelle dont l’accusait monsieur Leonardo, elle
soulignait que plusieurs autres employés et ex-employés s’étaient plaints du
comportement de ce dernier, comme le démontrait les nombreuses lettres et mémos
qu’ils avaient adressés à divers services gouvernementaux et dont elle a
transmis copies au Conseil.
Elle signalait
aussi qu’à la suite de son départ du journal, celui-ci publiait des annonces de
la municipalité à chaque semaine, fréquence jamais atteinte, selon elle, tout
au long des deux ans où elle y avait travaillé.
Elle réfutait
également la version du maire en maintenant avoir eu effectivement en sa
possession une déclaration assermentée du contribuable à l’origine de l’affaire
de l’agence de sécurité BPG, dont elle fournissait une copie au Conseil, copie
qu’elle n’avait pas fournie à monsieur Adessky parce qu’il ne lui avait pas
demandé. Enfin, elle niait avoir eu d’autres conversations avec lui, puisqu’il
ne retournait plus ses appels.
Madame Maislin
maintenait aussi sa version des faits sur le boycott publicitaire du journal et
sur les pressions du gérant de la ville pour son congédiement. Elle fournissait
au Conseil des copies d’articles et d’éditoriaux rapportant certaines déclarations
du maire à son endroit et à celui d’un collègue du Suburban, de même que de sa
décision de ne permettre qu’aux responsables du service de s’adresser à la
presse: tout ceci démontrant, selon elle, l’absence de volonté de
l’administration municipale à collaborer avec les médias, de même que la
volonté des autorités de la municipalité de Hampstead de contrôler la presse.
Analyse
Même si au moment de rendre sa décision, le Conseil apprend que le Hampstead Journal vient de cesser d’être publié, il estime devoir quand même, à cause des principes d’éthique que soulève le présent cas, présenter les conclusions auxquelles il en est arrivé.
Le Conseil veut d’abord rappeler que les pouvoirs publics, comme mandataires de la population, ont le devoir strict de rendre leur administration aussi transparente que possible et d’informer les citoyens complètement et correctement. Il est intolérable à cet égard que des dirigeants empêchent les médias et les journalistes d’exercer librement leur fonction.
De plus, la diffusion de l’information sous toutes ses formes qui émanent des administrations publiques, y compris le matériel publicitaire, parce qu’elle est d’intérêt public, doit se faire non pas en considération d’options partisanes, mais en vertu de critères connus et conformes au respect de droit du citoyen à être informé. Il n’appartient effectivement pas aux pouvoirs publics de récompenser ou de priver un organe d’information à cause de sa politique éditoriale. Agir ainsi constitue une entrave sérieuse à l’autonomie rédactionnelle des médias et des professionnels de l’information et une violation du principe de la liberté de presse.
Les médias ont également une responsabilité à cet égard en ce qu’ils ne doivent en aucun temps laisser les considérations d’ordre publicitaire influencer leur contenu rédactionnel. Il est en effet essentiel que les entreprises de presse respectent l’autonomie et l’indépendance de leur service de l’information par rapport à leur service de publicité et établissent une franche distinction entre ces deux activités pour assurer l’intégrité et la crédibilité de l’information.
En examinant le présent cas à la lumière de ces principes, le Conseil ne peut que faire état de son étonnement sur les pratiques dénoncées par la plaignante.
Le Conseil demeure perplexe sur les raisons qui ont pu motiver le long délai de publication du premier article de madame Maislin sur l’agence de sécurité BPG, alors que le caractère d’intérêt public des informations qu’il contenait n’a jamais été nié par l’éditeur du journal.
Le Conseil est aussi frappé par la coïncidence du mouvement du volume de publicité achetée par la municipalité d’Hampstead par rapport au genre d’information livré par le journal sur cette dernière. Il est en effet curieux de constater l’abondance de la publicité en provenance de l’administration municipale dans les pages du journal alors que celui-ci publiait une série d’articles-portraits favorables à ses édiles et, en revanche, la baisse qui a suivi la publication de la série d’articles de madame Maislin sur l’agence BPG.
Même si le Conseil ne peut conclure avec une certitude absolue à l’existence des pressions dénoncées qui ont eu pour résultat d’influencer le contenu rédactionnel du journal ou encore de provoquer le congédiement de la plaignante, il est en possession de suffisamment d’indices qui jettent un doute sur le comportement de la municipalité et du journal dans ce cas. Aussi invite-t-il instamment les pouvoirs publics et les médias à observer une plus grande rigueur et une plus grande intégrité à ces égards afin de préserver le droit du public à l’information et de faire en sorte que les professionnels de l’information n’aient pas à subir l’odieux de situations qui les entravent dans l’exercice de leur fonction.
Analyse de la décision
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux
- C21F Pressions/représailles contre un média