Plaignant
Mme Suzanne
Blais-Grenier (députée fédérale, comté de Rosemont)
Représentant du plaignant
M. Luc Trottier
(mandataire, Mme Suzanne Blais-Grenier)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Michel Vastel (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Michel Roy
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
L’article
«L’affaire Gravel : Qui d’autre sera éclaboussé?», paru dans l’édition du 9
août 1986 de La Presse, laisse perfidement entendre que la plaignante se serait
livrée à des activités illicites alors qu’elle était ministre de
l’Environnement. La rectification publiée la semaine suivante ne compense
aucunement le tort causé par cet article, rédigé par le journaliste Michel
Vastel mais publié sans signature.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Suzanne Blais-Grenier, députée de
Rosemont à la Chambre des Communes, contre le journal La Presse concernant un article
publié le samedi 9 août 1986 sous le titre: «L’affaire Gravel: Qui d’autre sera
éclaboussé?».
Cet article, non
signé mais rédigé par monsieur Michel Vastel, référait à des procédures
judiciaires mettant en cause le député de Gamelin à Ottawa, monsieur Michel
Gravel, lequel était accusé de trafic d’influence. L’article contenait
notamment les passages suivants: «Le député de Gamelin a clairement indiqué son
intention d’impliquer deux ministre, celui des Travaux publics (Roch LaSalle)
et celui de l’Environnement (Mme Blais-Grenier)…». Après avoir ainsi
identifié la plaignante avec photo à l’appui, l’article poursuivait: «… or il
s’avère que les entreprises qui ont remis de l’argent au député son impliquées
dans (…) des études d’impact sur l’environnement (sous la responsabilité de
l’ancien ministre, Mme Blais-Grenier)».
Selon la
plaignante, le ton de l’article, son titre, sa situation dans le cahier B,
l’attribution d’une déclaration et d’intentions non vérifiables au député de
Gamelin, la juxtaposition des faits cités et la mise en parallèle avec une
autre enquête en cours ne visaient qu’un objectif, à savoir laisser entendre
que madame Blais-Grenier se serait livrée à des activités illicites alors
qu’elle était ministre de l’Environnement. D’ajouter madame Blais-Grenier,
«l’article en question est beaucoup plus perfide par ce qu’il laisse entendre
que par les informations qu’il prétend donner aux lecteurs».
Madame
Blais-Grenier jugeait par ailleurs insuffisante la rétractation publiée le
samedi suivant dans les pages du quotidien La Presse. Le texte de la
rétractation, signé par le directeur de l’information du journal, précisait que
le député Gravel n’avait jamais dit qu’il entraînerait avec lui d’autres
députés conservateurs, non plus qu’il n’avait clairement indiqué son intention
d’impliquer les deux ministres identifiés. La Presse disait regretter le tort
que ces affirmations avaient pu causer au député de Gamelin ainsi qu’à madame
Suzanne Blais-Grenier et à monsieur Roch LaSalle.
Madame Blais-Grenier
voyait là une disproportion considérable entre un article «à titre ronflant
avec photo sur la première page du cahier B de « La Presse »» et un
rectificatif «tout au bas de la page 2 du cahier A». Madame Blais-Grenier
ajoutait que le fait qu’on ait cité comme des évidences des paroles que
monsieur Gravel, député de Gamelin, n’avaient jamais prononcées et que cette
fausse information référait à une cause qui était alors pendante au criminel,
ajoutait à l’ignominie d’un tel procédé.
Commentaires du mis en cause
L’éditeur
adjoint de La Presse, monsieur Michel Roy, expliquait pour sa part que La
Presse s’était empressée de faire paraître une rétractation «très lisible et
explicite dans son contenu» dès que la direction du journal avait reconnu, «en
partie du moins», le bien-fondé du grief de madame Blais-Grenier. Monsieur Roy
soutenait que telle était la procédure normalement employée par un quotidien
d’information lorsque celui-ci reconnaissait avoir commis une erreur
susceptible d’avoir causé du tort à une personne publique et, selon lui, le
rectificatif avait joui d’une diffusion égale à l’article qui l’avait suscité.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, le mandataire de madame Blais-Grenier, monsieur Luc Trottier,
soutenait que la hâte du journal à rectifier «son erreur» à l’endroit de madame
Blais-Grenier tenait au fait qu’une action en diffamation avait été intentée au
journal par les procureurs de monsieur Michel Gravel. Il lui semblait donc
évident que l’empressement de La Presse visait principalement à faire amende
honorable vis-à-vis les procureurs de monsieur Gravel tout en s’excusant «pour
ainsi dire du bout des lèvres» envers les autres personnes mentionnées dans
l’article.
Selon lui, ce
rectificatif n’attirait à peu près pas le regard du lecteur alors que le gros
titre et les photos de l’article «diffamatoire à l’endroit de madame
Blais-Grenier» accrochaient l’attention immédiatement. Monsieur Trottier disait
donc continuer de croire de croire que tout cet exercice ne visait qu’à créer
un scandale «en salissant la réputation de madame Blais-Grenier». Par ailleurs,
ce rectificatif ne rectifiait rien du tout, selon monsieur Trottier, la phrase
suivante laissant planer un doute dans l’esprit du lecteur: «… non plus qu’il
(monsieur Gravel) n’a clairement indiqué son intention d’impliquer ces deux
ministres». De s’interroger monsieur Trottier, «Est-ce à dire que l’intention
de monsieur Gravel, quoiqu’il ne l’ait pas indiqué clairement, était bien
d’impliquer ces deux ministres?» Monsieur Trottier concluait en disant croire
qu’il y avait là «un manque d’éthique évident de la part du journaliste et du
journal «La Presse».
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes. Les professionnels de l’information doivent cependant se conformer à l’obligation et au devoir que leur impose leur rôle d’informateurs publics de livrer une information équilibrée, conforme aux faits et aux événements, et respectueuse des personnes mises en cause.
Dans le cas présent, l’information diffusée par La Presse au sujet de la plaignante était susceptible d’atteindre à sa réputation. La Presse a d’ailleurs reconnu qu’il y avait certaines inexactitudes dans le texte et a publié une rétractation visant à rétablir les faits.
Bien que nécessaire, il est regrettable qu’une telle rétractation n’ait cependant pas réparé pleinement le tort causé à la plaignante. En effet, le Conseil considère que le libellé et le ton de cette rétractation, laissaient encore planer un doute dans l’esprit du lecteur, notamment lorsqu’il y est dit: «… non plus qu’il (le député) n’a clairement indiqué son intention d’impliquer ces deux ministres».
Analyse de la décision
- C17A Diffamation
- C19B Rectification insatisfaisante