Plaignant
M. Gérald R.
Scott
Mis en cause
La Voix de l’Est
[Granby] et M. Guy Crevier (éditeur)
Résumé de la plainte
Entre les mois
de février et de septembre 1986, La Voix de l’Est accorde un traitement
sensationnel et tendancieux aux événements entourant le suicide d’un détenu. Le
journal prend pour acquis qu’il y a eu faute professionnelle de la part du
médecin du pénitencier, le Dr Noël Monast, lequel a été accusé par certains
d’avoir suggéré au détenu de s’enlever la vie. L’éditeur de la Voix de l’Est,
M. Guy Crevier, autorise la publication d’une lettre ouverte préjudiciable au
Dr Monast, ce qui est contraire à la politique du journal.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Gérald R. Scott qui reprochait au
quotidien La Voix de l’Est de Granby et à son éditeur, monsieur Guy Crevier,
d’avoir accordé, entre février et septembre 1986, un traitement
sensationnaliste et tendancieux aux événements ayant entouré le suicide d’un
détenu et l’enquête du coroner qui avait suivi.
Référant le
Conseil à l’ensemble des articles, aux choix des titres et à l’emplacement qui
leur était réservé dans le journal, le plaignant considérait que le journaliste
et l’éditeur y prenaient pour acquis qu’il y avait eu faute professionnelle de
la part du médecin du pénitencier, le docteur Noël Monast, lequel avait été
accusé par certains témoins d’avoir suggéré au détenu de s’enlever la vie.
Selon le plaignant,
les articles traitant de cette affaire «contenaient à l’occasion des propos
tendancieux qui relevaient beaucoup plus du jugement porté par le journaliste
et de sa propre perception du cas que de l’information à fournir au public».
De plus, l’éditeur
n’aurait pas exercé «le leadership et le contrôle découlant normalement de
(ses) responsabilités», le désir de «vendre des journaux à coup de
pseudo-scandale» ayant pris le pas, selon monsieur Scott, sur l’objectivité.
Monsieur Scott
reprochait, par ailleurs, à l’éditeur d’avoir permis la publication, le 22 mars
1986, d’une lettre d’un lecteur défavorable au docteur Monast. Selon le
plaignant, en effet, le contenu de cette lettre contredirait la politique du
journal, telle qu’énoncée dans un texte paru dans l’édition du 24 mars sous la
signature de monsieur Crevier lui-même et dans lequel il était dit que La Voix
de l’Est ne publiait pas de lettres véhiculant des propos outranciers ou
insultants qui peuvent être préjudiciables à des personnes ou à des groupes.
NOTE: Avant de
déposer une plainte formelle pour l’ensemble du traitement accordé par La Voix
de l’Est à l’affaire Monast, le plaignant avait soumis, pour avis, cette lettre
d’un lecteur au secrétaire général du Conseil, maître Jean Baillargeon. Il
avait alors semblé à celui-ci «effectivement manifeste que La Voix de l’Est n’a
pas appliqué, dans le cas de la lettre d’un lecteur publiée le 22 mars, les
règles qu’elle dit appliquer dans son mot de l’éditeur». Monsieur Baillargeon
précisait qu’il s’agissait là de son avis personnel au vu des pièces qui lui
avaient été soumises et qu’il ne pouvait présumer de la décision que rendrait
le Conseil dans un tel cas.
Le plaignant
soutenait que monsieur Crevier aurait avoué «qu’un préjudice avait effectivement
été causé au docteur Monast par cette lettre» et qu’il se dissociait des propos
qui y étaient contenus, celle-ci ayant été publiée à cause d’une «erreur de
fonctionnement interne».
Monsieur Scott
reprochait alors à l’éditeur de n’avoir pas réparé cette erreur et d’être au
contraire revenu à la charge dans un éditorial publié le 9 août sous le titre
«Le coroner et le Dr Monast», lequel éditorial contenait, entre autres, la
phrase suivante: «Le professionnalisme du docteur Monast peut sûrement être mis
en doute». Selon le plaignant, bien que le dossier soit maintenant clos et que
le ministère de la Justice ait décidé de ne pas poursuivre le docteur Monast,
le traitement accordé à cette affaire laissera un doute sur son innocence.
Commentaires du mis en cause
Déplorant pour
sa part que monsieur Scott n’ait pas «épuisé tous les recours auxquels il avait
droit, dont le courrier des lecteurs, pour faire valoir son point de vue»,
l’éditeur de La Voix de l’Est disait par ailleurs s’objecter «aux propos
accusateurs et au ton diffamatoire de la lettre de M. Scott». Monsieur Crevier
considérait, à cet égard, démesurée et hors contexte, de la part d’une personne
qui lance un appel à la rigueur, l’accusation du plaignant relative au désir de
«vendre des journaux à coup de pseudo-scandale».
Monsieur Crevier
déplorait également «le manque de rigueur» du secrétaire général du Conseil à
qui il reprochait d’avoir rendu publiquement un jugement personnel sur l’un des
griefs du plaignant. L’éditeur de La Voix de l’Est s’objectait à cette façon de
procéder, laquelle relevait, selon lui, «davantage d’un tribunal expéditif» que
de l’action d’un organisme d’enquête chargé d’assurer la protection du droit à
l’information. Monsieur Crevier expliquait que les propos qu’il avait lui-même
tenus au plaignant au sujet de cette lettre visaient à convenir du fait que sa
publication «frisait la limite» des politiques éditoriales de La Voix de l’Est.
Bien qu’elle eût été plus complète si elle avait été rédigée après le
témoignage du docteur Monast, cette lettre faisait allusion «en tout légitimité
à des témoignages entendus les 24, 25 et 28 février» et l’auteur faisait appel
à la forme du conditionnel dans ses propos, de soutenir monsieur Crevier.
Quant au fond de
la plainte de monsieur Scott, monsieur Crevier expliquait d’abord que
l’administration de la justice étant publique, la décision de couvrir l’enquête
publique sur la mort du détenu «n’avait rien d’exceptionnel et était conforme
en tous points» au mandat d’informatrice de La Voix de l’Est ainsi qu’à la Loi
des coroners.
Quant à
l’importance accordée à cette affaire par le journal, monsieur Crevier
considérait qu’elle était largement justifiée par le fait qu’un médecin d’un
pénitencier ait à expliquer son comportement, par le fait qu’on dénote plusieurs
tentatives de suicide en milieu carcéral et par le fait que la qualité des
services offerts aux détenus fasse l’objet d’un large débat public depuis
plusieurs années.
Les titres
coiffant les textes lui apparaissaient, par ailleurs, «conformes en tous points
au faits et témoignages entendus» et dénués de sensationnalisme.
Monsieur Crevier
notait également que si le coroner chargé de l’enquête avait estimé que la
couverture du journal portait préjudice à un témoin, il aurait pu décréter une
ordonnance de non-publication, ce qui ne fut pas fait, et ce qui ne fut pas
requis non plus par le docteur Monast ou son avocat.
Selon l’éditeur
de La Voix de l’Est, bien qu’il faille réfléchir sur le rôle des médias en
regard de la couverture des affaires judiciaires, ceux-ci doivent conserver
leur liberté d’expression, et les responsabilités professionnelles doivent
demeurer objet de débat. C’était donc en ce sens qu’avait été écrit son
éditorial du 9 août, à la suite d’une enquête publique où avaient été entendus
des témoignages accablants et où «le coroner lui-même, dans une procédure
exceptionnelle, avait pris la peine d’imputer, à la dernière journée
d’audiences, un sérieux blâme au docteur Monast».
Monsieur Crevier
rappelait enfin l’importance que La Voix de l’Est accorde à son contenu
rédactionnel et le souci de ce journal de bien informer ses lecteurs sur
l’actualité locale et régionale, ce qui avait eu comme effet de faire augmenter
le tirage de façon continue sans que l’on s’y adonne à la recherche du sensationnalisme.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, le plaignant rappelait qu’il avait saisi le Conseil de cette
plainte non à cause de l’avis que lui avait transmis le secrétaire général du
Conseil, mais bien parce que l’éditeur de La Voix de l’Est n’avait pas voulu
rectifier le «préjudice causé au Dr Monast».
Monsieur Scott
soulignait également que la loi des coroners ne faisait pas de cas «de l’impact
accru en région d’une nouvelle à sensation» d’où l’importance pour un journal comme
La Voix de l’Est, en «situation monopolistique», d’agir avec discernement et
grande rigueur intellectuelle lorsqu’il traite l’information.
Et dans ce
contexte, le plaignant considérait toujours qu’il y avait eu sensationnalisme,
notamment au niveau des titres suivants parus en première page: «Arrête de le
dire et fais-le, aurait lancé le médecin du pénitencier» et «Témoignage
accablant contre le médecin du pénitencier».
Quant à la
lettre d’un lecteur publiée le 22 mars, monsieur Scott maintenait que l’éditeur
lui avait affirmé que cette lettre causait un préjudice au docteur Monast.
Contestant le
bien-fondé des allégations de monsieur Crevier au sujet du contenu rédactionnel
de La Voix de l’Est et des raisons motivant l’augmentation du tirage de ce journal,
monsieur Scott expliquait par ailleurs n’être pas seul à déplorer l’orientation
choisie par le journal, et il référait le Conseil aux propos contenus dans une
publicité payée par un lecteur qui contestait le type de direction de
l’éditeur, et à une lettre d’un lecteur mécontent de certains reportages de
l’une des journalistes de La Voix de l’Est.
Concernant
l’affaire Monast, monsieur Scott considérait toujours que le journal avait
«fait oeuvre de destruction auprès d’un honnête homme», soit le docteur Monast.
Et si celui-ci était irréprochablement innocent, de s’interroger le plaignant,
est-ce l’impression que laisseraient la lecture des articles, le choix et
l’importance donnés aux titres par La Voix de l’Est? Se demandant également si
on avait laissé suffisamment entrevoir «qu’un accusé est innocent jusqu’à
preuve du contraire et à fortiori qu’il est innocent jusqu’à ce qu’on porte un
accusation?», le plaignant disait n’avoir rien trouvé de tel dans le traitement
donné par La Voix de l’Est à cette affaire.
Monsieur Scott
expliquait enfin ne pas avoir utilisé le courrier des lecteurs pour faire
valoir ses griefs parce qu’il ne voulait pas causer de préjudice à l’éditeur ni
au journal si toutefois il avait eu tort, et parce que son seul souhait n’était
pas d’avoir raison, «mais d’avoir un meilleur journal». De plus, le plaignant
soutenait qu’à sa connaissance, les journalistes utilisent toujours leur droit
de réplique dans ce type de lettre et font alors passer leur interlocuteur
«pour un parfait imbécile». Disant douter souvent de l’objectivité des
journalistes, il affirmait ne pas y croire du tout quand ceux-ci sont
concernés.
Analyse
La presse doit faire preuve de circonspection lorsqu’elle rend compte de l’actualité judiciaire à cause des conséquences qui peuvent résulter d’une information mal rapportée.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que La Voix de l’Est s’est acquittée de cette tâche avec la rigueur et le discernement requis, tant au niveau du contenu des textes qu’en ce qui concerne le choix des illustrations les accompagnant.
Cela vaut également en ce qui a trait au choix des titres, à l’exception toutefois de celui qui, à la une, qualifiait «d’accablant» pour le médecin l’un des témoignages entendus au cours de l’enquête. Le Conseil estime en effet qu’il s’agit là d’un jugement qui peut être perçu comme excessif eu égard au contenu de l’article auquel ce titre fait référence.
Dans l’ensemble donc, et mise à part cette question de titre, les responsables du journal et les journalistes affectés à la couverture de l’enquête du coroner n’ont pas outrepassé leur latitude rédactionnelle dans le cadre des choix qu’ils ont été appelés à faire quant au niveau d’intérêt public de cette affaire.
Le Conseil n’a pas décelé non plus de confusion entre information et opinion, les prises de position de nature éditoriale étant clairement identifiées comme telles.
Cependant, le Conseil considère que la lettre d’un lecteur publiée le 22 mars 1986 n’aurait pas dû l’être, ce texte étant porteur de propos préjudiciables au médecin impliqué dans cette affaire, lequel n’était considéré, à ce stade des procédures judiciaires, que comme témoin à l’enquête du coroner.
Analyse de la décision
- C08H Lettres diffamatoires
- C17H Procès par les médias
- C20A Identification/confusion des genres