Plaignant
Le Comité local
en prévention du suicide du Témiscamingue
Représentant du plaignant
M. Michel Rivest
(président, Comité local en prévention du suicide du Témiscamingue)
Mis en cause
CKVM-AM
[Télémédia/SRC, Ville-Marie] et M. Fernand St-Georges (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Yvon
Larivière (directeur général, CKVM-AM [Télémédia/SRC, Ville-Marie])
Résumé de la plainte
Le 27 mai 1986,
le journaliste Fernand St-Georges de la station CKVM rapporte que le Comité
local en prévention du suicide du Témiscamingue a commenté un cas de suicide,
alors que cet organisme offre un service d’écoute strictement confidentiel. Le
journaliste mentionne des détails issus d’une source qui en conteste la
véracité et manque de respect à l’égard de la famille concernée.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte du Comité local en prévention du suicide du
Témiscamingue qui reprochait au journaliste Fernand St-Georges d’avoir diffusé
une nouvelle inexacte sur les ondes de Radio-Témiscamingue.
En mai 1986, le
journaliste rapportait comme suit un cas de suicide récent: «Le Témiscamingue
connaît actuellement une recrudescence importante de suicides et de tentatives de
suicide. Un jeune homme de 21 ans de Guigues a mis fin à ses jours dans la nuit
de vendredi à samedi à l’aide d’une 22 tronçonnée. Au Comité de prévention
contre le suicide, on affirme que la personne en question avait lancé de
nombreux messages auparavant suite à une perte affective, mais sans
véritablement vouloir s’aider».
Selon le
président du Comité de prévention, monsieur Michel Rivest, cette façon de faire
dénotait «un manque de rigueur professionnelle flagrant qui a eu pour effet de
porter préjudice à notre organisme et aux objectifs poursuivis par notre
organisation».
Ainsi, aucun des
représentants du Comité opérant un service d’écoute confidentiel n’aurait rompu
cette confidentialité et indiqué au journaliste que le jeune suicidé était
connu du Comité; et à plus forte raison, personne n’aurait posé de jugement sur
les motifs de ce suicide. En mentionnant le Comité comme source de
renseignements dans cette affaire, le journaliste, outre de mentir
«effrontément», portait préjudice à cet organisme et le discréditait en
laissant entendre que son service n’était pas confidentiel.
Quant à la
recrudescence du nombre de suicides annoncée au début de la nouvelle, le
plaignant ne voyait là qu’un goût du sensationnalisme. Bien que l’on parle plus
souvent du suicide, monsieur Rivest ne voyait pas en effet comment le
journaliste pouvait affirmer qu’il y avait recrudescence importante.
Enfin, le
plaignant considérait que la famille du défunt était également lésée par la publication,
deux jours après l’inhumation du jeune homme, de cette nouvelle mentionnant des
détails qui seraient issus d’une source qui en contestait la véracité.
Commentaires du mis en cause
Invité à
commenter cette plainte, monsieur St-Georges expliquait d’abord que la nouvelle
du suicide du jeune homme avait fait le tour de la région avant même sa
diffusion. Aussi, après en avoir discuté avec l’agent de la Sûreté du Québec
responsable de ce dossier, il avait décidé de faire état du suicide sans
identifier la personne décédée. Selon lui en effet, plusieurs savaient déjà
qu’il y avait eu suicide, d’où l’impossibilité de parler de mort accidentelle.
Le fait de traiter ainsi la nouvelle permettait donc de «dire la vérité et de
parler du suicide en tant que réalité», ce qui serait par ailleurs conforme aux
conclusions auxquelles en étaient arrivés plusieurs groupes et intervenants du
milieu à l’effet de ne plus cacher le phénomène du suicide.
A la suggestion
du policier, le journaliste aurait alors contacté la personne attitrée à la
prévention du suicide du service de première ligne du Centre de santé
Saint-Famille, madame France Michaud, laquelle l’aurait entretenu des rapports
qu’elle avait eus avec la victime et du fait que cette personne «ne voulait
plus se soutenir elle-même».
Le directeur
général de Radio-Témiscamingue, monsieur Yvon Larivière, considérait pour sa
part que les policiers et le Comité de prévention auraient dû insister sur
l’importance de la non-publication de cette nouvelle. Selon lui, en effet, ladite
nouvelle n’aurait pas dû être publiée en considération pour la famille
éprouvée.
Commentaires des tiers
Madame Michaud
confirmait au Conseil avoir été contactée par le journaliste et lui avoir
indiqué, à sa demande, les causes de suicide généralement reconnues. Le
journaliste lui avait également demandé si son service avait essayé d’aider le
jeune homme et madame Michaud avait répondu affirmativement. Celle-ci
expliquait cependant au Conseil avoir alors confondu ce jeune homme avec un
autre qui avait déjà refusé de l’aide du service de première ligne. De plus,
madame Michaud précisait qu’il n’avait jamais été question du Comité local en
prévention du suicide ou de l’utilisation d’une carabine tronçonnée à laquelle
le reportage faisait référence. Quoi qu’il en soit, madame Michaud aurait
demandé au journaliste de ne rien publier sans la contacter d’abord, ce qu’il
aurait accepté, mais n’aurait pas fait.
Dans l’ensemble,
outre de déplorer le non-respect de cet engagement, madame Michaud considérait donc
que le journaliste ne lui avait pas fait de mise en situation valable et qu’il
avait identifié à tort le Comité de prévention alors qu’il savait s’être
adressé au service de première ligne. De plus, les termes utilisés dans le
texte de la nouvelle, notamment la mention à un fusil tronçonné, étaient
«difficilement justifiables selon elle. Enfin, madame Michaud soutenait ne pas
avoir dit au journaliste qu’elle avait entretenu des rapports avec la personne
qu’elle croyait être la victime.
Analyse
La liberté de presse et le droit à l’information seraient compromis si les médias devaient s’interdire d’informer la population sur les drames humains ou s’ils devaient taire certains événements sous prétexte qu’ils sont l’objet de quelque tabou. Dans le cas présent, le Conseil ne saurait donc reprocher au journaliste d’avoir rapporté le suicide qui s’était produit dans la région.
A cause de leur caractère dramatique toutefois, de tels événements sont des sujets délicats qui doivent être traités et rapportés avec rigueur et discernement.
A ce niveau, le Conseil doit blâmer le journaliste pour le manque de rigueur qui a conduit à la publication des sérieuses inexactitudes qui ont entaché la dernière partie de son reportage.
Ainsi, la référence au Comité de prévention du suicide est erronée et susceptible de porter atteinte grave à la crédibilité de cet organisme, alors que l’affirmation à l’effet que la victime avait refusé de s’aider, bien que basée en partie sur une confusion regrettable, constitue un jugement aussi rapide qu’inutile eu égard aux circonstances de l’événement rapporté.
Enfin, le Conseil tient à signaler qu’il demeure attentif à toute réflexion relative à la pertinence et à la façon de rapporter les cas de suicide dans les médias et aux effets qu’a cette couverture sur l’évolution du phénomène.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C11B Information inexacte
Date de l’appel
11 February 1987
Appelant
M. Fernand
St-Georges (journaliste, CKVM-AM [Télémédia/SRC, Ville-Marie])
Décision en appel
Le journaliste
en appelle de cette décision. La Commission d’appel juge que cet appel ne
contient aucun élément ou fait nouveau dont le Comité des cas n’aurait pu
prendre connaissance et qui aurait alors été susceptible de justifier la
réouverture du dossier.
Les membres de
la Commission conviennent donc à l’unanimité de rejeter cet appel et de
maintenir la décision rendue par le Comité des cas.
Tiers
Mme France
Michaud (responsable de la prévention du suicide, Centre de santé
Saint-Famille)