Plaignant
SOS Racisme
Canada
Représentant du plaignant
M. François
Loiselle (membre du comité juridique, SOS Racisme Canada) et M. Stewart Istvanffy
(secrétaire du conseil d’administration, SOS Racisme Canada)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Yvon Laprade (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Yvon Dubois
(rédacteur en chef, Le Journal de Montréal)
Résumé de la plainte
Le 24 juillet
1986, Le Journal de Montréal contribue à renforcer les préjugés raciaux en
coiffant un article du journaliste Yvon Laprade du titre «Dans le secteur
Snowdon : Un autre chauffeur agressé par 2 Noirs!».
Griefs du plaignant
Le Conseil a terminé
l’étude de la plainte du conseil d’administration de SOS Racisme Canada qui
reprochait au Journal de Montréal d’avoir violé la Charte québécoise des droits
et libertés de la personne et d’avoir contribué à renforcer les préjugés
raciaux, et indirectement le racisme qui sévit au Québec, en publiant, le 24
juillet 1986, un article intitulé «Dans le secteur Snowdon: Un autre chauffeur
agressé par 2 Noirs!»
Selon le
plaignant, monsieur François Loiselle, membre du Comité juridique de SOS
Racisme Canada, le titre à gros caractère ne pouvait passer inaperçu et le
message qu’il véhiculait était clair. D’abord le terme «autre» sous entendrait
qu’il y eut un précédent et le lecteur aura alors compris qu’il s’agissait
d’une deuxième agression sur un chauffeur perpétrée par des Noirs. Le point
d’exclamation suivant le titre viendrait pour sa part souligner et rappeler
l’indignation. Par ailleurs, le titre à la une qui renvoyait à cet article ne
contenait pourtant aucune mention quant à l’origine ethnique des protagonistes
de la nouvelle. Ainsi ce titre se lisait «STCUM, encore un chauffeur attaqué!»
Pourtant, à la page cinq où apparaissait l’article incriminé, la nouvelle
entourant l’agression d’une chauffeur devenait l’événement parce que deux Noirs
y sont impliqués.
Le plaignant se
demandait si le journaliste Yvon Laprade, signataire de l’article, mentionnait
la particularité physique ou raciale d’un individu qui «réussit» dans la
société. De s’interroger le plaignant, «les minorités ethniques sont-elles les
seules condamnées à être des citoyens «exemplaires» porteurs de drapeau et à ne
pas connaître les problèmes de délinquance, de désoeuvrement ou de mal de
survie qui mènent à des actes délictuels ou malheureux?»
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en
chef du Journal de Montréal, monsieur Yvon Dubois, estimait que, dans cette
affaire, le journal ne pouvait faire autrement que de donner la couleur des
individus recherchés parce que ce détail constituait une partie importante de
la description. Selon lui, l’article mentionnait de façon très précise que les
policiers étaient à la recherche de deux individus de couleur qui étaient aussi
les responsables d’un premier attentat. Le terme «autre» était donc utilisé
correctement et soulignait effectivement qu’il y avait eu un précédent
impliquant deux Noirs, de soutenir monsieur Dubois.
Enfin, monsieur
Dubois rappelait que le journaliste qui avait rédigé l’article n’avait rien à
voir avec le titrage de la page ou de la page cinq. Monsieur Dubois soulignait
également que le Journal de Montréal était très conscient des dangers du
racisme. Aussi des directives avaient-elles été fournies aux responsables de la
mise en pages afin «d’éviter toute mention raciste à moins qu’il s’agisse
d’éléments essentiels à la compréhension de la nouvelle».
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur François Loiselle ainsi que le secrétaire du conseil
d’administration de SOS Racisme, monsieur Stewart Istvanffy, soulignaient
d’abord «l’incompréhension profonde démontrée par la lettre de M. Dubois quant
aux prescriptions de professionnalisme qui doivent gouverner le traitement de
questions aussi sensibles que les relations raciales et le racisme».
N’entendant pas
entrer dans la polémique du débat sur la mention des origines raciales ou non
dans un article, les plaignants disaient tout de même croire qu’une telle
mention pouvait contribuer au développement des préjugés raciaux et qu’il
serait toujours important de considérer soigneusement l’opportunité de faire
une telle mention.
Quant à l’article
du 24 juillet faisant l’objet de la présente plainte, les plaignants
maintenaient toujours qu’il contribuait à créer une image négative de la
communauté noire aux yeux des lecteurs et qu’une telle attitude leur paraissait
inacceptable et contraire à la loi. Selon eux, la suggestion que les chauffeurs
de la STCUM soient plus souvent attaqués par des Noirs est non-fondée et le
Journal de Montréal rendrait un très mauvais service à la communauté
montréalaise et faisant de telles insinuations. A cet égard, les plaignants
référaient le Conseil au résultat d’une étude réalisée par un criminologue de
Montréal, monsieur André Normandeau, étude selon laquelle seulement 23 pour
cent des agresseurs dans le métro sont des Noirs; et il en irait sensiblement
de même dans le cas des agressions envers les chauffeurs d’autobus.
Les plaignants
soulignaient, par ailleurs, le fait que la communauté noire de Montréal avait
tenu une conférence de presse, le 20 août, pour dénoncer les agressions des
chauffeurs d’autobus à l’égard des Noirs et l’attitude raciste de certains
chauffeurs. Cette conférence aurait été rapportée de façon très laconique par
le quotidien La Presse, sans reprendre les demandes émises à l’effet, entre
autres, d’instituer une enquête au sein de la STCUM et du syndicat représentant
les chauffeurs, alors que The Gazette aurait informé ses lecteurs que la
présidente de la STCUM songeait à créer un poste d’ombudsman pour traiter les
plaintes des usagers ainsi qu’un programme d’accès à l’égalité pour engager des
personnes de minorités visibles. Le Journal de Montréal n’aurait pour sa part
rien rapporté et ses lecteurs auraient donc dû se contenter du traitement
«partiel, discriminatoire et tendancieux» du 24 juillet sans connaître le point
de vue de la communauté noire de Montréal.
Les plaignants
répétaient que ce genre de reportage tendancieux encourageait la haine et
l’incompréhension interraciale tout en disant accorder, pour le moment, le bénéfice
du doute au Journal de Montréal quant à l’intention de chercher ce résultat. Il
n’y aurait, selon eux, aucune justification ni excuse légitime pour ce type de
reportage «qui salit la réputation de toute une communauté de notre pays dans
un journal qui a déjà fait ses preuves comme le Journal de Montréal».
Analyse
En principe, le dévoilement de l’identité ethnique des personnes n’est pas nécessairement discriminatoire et n’a pas en soi comme effet de particulariser ces personnes ou les groupes auxquels elles appartiennent.
Cependant, une telle mention pouvant parfois contribuer à entretenir certains préjugés, les médias ne doivent y avoir recours que lorsque la cohérence du récit l’exige et lorsqu’elle constitue une condition essentielle à la compréhension de l’information diffusée.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que l’article rapportait l’événement de façon sobre et adéquate. Le fait, entre autres éléments d’information, d’y décrire des suspects recherchés en mentionnant leur âge présumé et leur race ne contribuait pas à entretenir les préjugés et ne constituait pas une pratique discriminatoire ou raciste. Il s’agissait là, d’une part, d’informations pertinentes dans la mesure où elles pouvaient permettre l’identification des personnes soupçonnées. D’autre part, le journaliste n’a pas présenté ces éléments de façon sensationnaliste et ne leur a pas accordé une importance démesurée par rapport à l’ensemble.
Par contre, le Conseil considère que le titre coiffant cet article était susceptible d’attiser les préjugés en insistant sur les seules caractéristiques raciales de ces individus et le Conseil déplore cet état de fait.
Analyse de la décision
- C18A Mention de l’appartenance