Plaignant
M. Robert Demers
(membre du conseil d’administration, Société générale du Cinéma)
Représentant du plaignant
M. Marc Talbot
(avocat, Lapointe, Schachter, Champagne 1/4 Talbot)
Mis en cause
La Presse
Canadienne [Montréal], Le Devoir [Montréal], The Gazette [Montréal] et La
Presse [Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Guy Rondeau
(chef de bureau, Presse Canadienne [Montréal]), M. Benoît Lauzière (directeur,
Le Devoir [Montréal]), M. Clair Balfour (ombudsman, The Gazette [Montréal]) et
M. Michel Roy (éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Une dépêche de
la Presse Canadienne, reproduite le 28 juillet 1986 par La Presse, The Gazette
et Le Devoir, affirme que le curriculum vitae de personnes récemment nommées
par le gouvernement québécois contient des omissions qui masquent le caractère
partisan de certaines nominations. Cette dépêche porte atteinte à la réputation
des personnes concernées, dont le plaignant, et témoigne d’une ignorance de la
pratique courante dans ce domaine.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Robert Demers qui, par la voie de son
procureur, maître Marc Talbot, s’en prenait au contenu d’une dépêche de la
Presse canadienne publiée par divers quotidiens montréalais le 28 juillet 1986.
Reproduite sous
les titres «Bourassa a multiplié les nominations partisanes» (La Presse),
«Liberal Stalwarts named to Quebec posts» (The Gazette) et «Les libéraux ont
déjà plus de 40 nominations partisanes en sept mois de gouvernement» (Le
Devoir), cette dépêche traitait de nominations récentes annoncées par le
gouvernement québécois à différents postes de la haute fonction publique
québécoise.
Faisant état des
curriculum vitae de quelques-unes des personnes nommées, l’article signalait
que ces curriculum comportaient «souvent des trous, de sorte que le caractère
partisan de certaines nominations a pu être dissimulé». Ainsi, concernant la
candidature de monsieur Robert Demers, l’article signalait qu’il n’était fait
mention nulle part que monsieur Demers avait été le représentant officiel de
monsieur Bourassa lors de la course au leadership libéral en 1983.
Le plaignant
considérait que la portion de cette dépêche concernant sa nomination au conseil
d’administration de la Société générale du Cinéma était tendancieuse et vexatoire
et qu’elle portait une atteinte sérieuse à sa réputation. Selon lui, en effet,
le curriculum vitae sur lequel le journaliste de la Presse Canadienne fondait
ses allégations, était un document général que monsieur Demers présentait lors
d’une nomination de façon à tracer les grandes lignes de sa carrière; y déceler
une intention de dissimulation était donc «une manifestation d’ignorance de la
pratique courante dans ce domaine» de la part du journaliste.
Par ailleurs,
bien plus que les activités politiques de monsieur Demers, ce serait ses
qualités professionnelles, en particulier son expérience en administration, qui
auraient motivé sa nomination. Le plaignant citait à cet égard les postes
d’administrateur qu’il occupait pour diverses firmes.
Enfin, c’était à
titre gratuit que monsieur Demers avait accepté sa nomination à la Société
générale du Cinéma, à la demande de madame Lise Bacon, vice-première ministre
et ministre des Affaires culturelles, laquelle cherchait alors des candidats
compétents et expérimentés pour combler plusieurs postes laissés vacants par
des démissions récentes au sein du conseil d’administration de la Société
générale du Cinéma.
Commentaires du mis en cause
Le chef de bureau
de la Presse Canadienne, monsieur Guy Rondeau, soulignait pour sa part que
cette dépêche ne prétendait aucunement que monsieur Demers avait dissimulé quoi
que ce soit dans son curriculum vitae. Selon monsieur Rondeau, n’y était
signalé que le seul fait que les notes biographiques accompagnant l’annonce des
nominations ne faisaient pas toujours mention de l’affiliation politique des
personnes concernées.
En outre, il n’y
était mentionné nulle part que monsieur Demers ne possédait pas la compétence
pour remplir le poste qui lui avait été accordé de même qu’il n’était pas dit
que ce poste était une fonction rémunérée.
Le texte de la
Presse Canadienne ne laisserait donc planer aucun doute sur la compétence et
l’intégrité de monsieur Demers. Il mentionnait simplement que monsieur Demers
avait été le représentant officiel du premier ministre Bourassa lors de la
course au leadership libéral de 1983. De l’avis de monsieur Rondeau, la dépêche
n’avait d’autre but que de faire ressortir les nombreuses nominations
partisanes en l’espace de quelques mois seulement, ce qui était, selon lui, une
situation en tout point vérifiable.
Il n’était
d’ailleurs pas inutile, d’affirmer monsieur Rondeau, de remarquer qu’au
lendemain de la publication de cette dépêche, monsieur Pierre Bibeau,
conseiller spécial du premier ministre Bourassa, avait admis sans ambages qu’il
y aurait d’autres nominations partisanes.
Aussi monsieur
Rondeau ne croyait-il pas que la publication de cette dépêche fut de nature à
nuire à la réputation de monsieur Demers et à lui causer des dommages sérieux.
Elle ne faisait que confirmer que le gouvernement libéral provincial avait
procédé à des nominations à caractère partisan.
Enfin, monsieur Rondeau
soumettait que le Conseil de presse n’avait pas le mandat de déterminer si un
article était oui ou non diffamatoire, un tel jugement relevant des tribunaux.
Le directeur du
Devoir, monsieur Benoît Lauzière, faisait siens les commentaires de monsieur
Rondeau et il en allait de même de monsieur Clair Balfour, ombudsman du journal
The Gazette.
L’éditeur
adjoint du quotidien La Presse, monsieur Michel Roy, ajoutait pour sa part que
l’auteur de la dépêche de la Presse Canadienne ne cherchait pas à mieux faire
connaître les personnes que le gouvernement du Québec avait désignées à divers
postes dans l’appareil de l’Etat, mais plutôt à montrer que les nominations
faites au cours des sept mois précédents revêtaient pour la plupart un
caractère partisan.
Il était donc
vrai, selon monsieur Roy, que cette dépêche ne faisait pas ressortir les états
de service des personnalités dans des sphères d’activités qui n’étaient pas
directement rattachées à la politique de parti. Le fait d’accéder à une
fonction importante en raison de relations étroites avec une formation
politique ne saurait, selon lui, constituer une tare dans notre société, et ni
l’intégrité morale ni la compétence professionnelle d’un titulaire ne sont mis
en doute du seul fait que soit mentionnée la nature de ses relations avec un
parti, un gouvernement ou un homme politique. Aussi monsieur Roy considérait-il
qu’il y avait méprise quant au sens de la dépêche de la part du plaignant, et
il voyait dans le ton et le contenu de la lettre de son procureur «une
grossière inflation verbale».
Analyse
L’attention que décident de porter les journalistes et les organes d’information à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel, et le choix du sujet de même que la façon de le traiter leur appartiennent en propre.
Dans le cas présent, il est manifeste que l’auteur de la dépêche entendait traiter du caractère partisan de plusieurs nominations. Le journaliste était parfaitement libre de privilégier cette optique et, partant, il était tout à fait normal qu’il informe les lecteurs des affiliations partisanes des personnes citées dans son article. Il était également normal qu’il fasse état du fait que ces affiliations n’étaient pas mentionnées dans certains curriculum vitae, dont celui du plaignant. Ce faisant, le journaliste et les médias qui ont reproduit la dépêche ne portaient aucun jugement sur les qualités professionnelles de ces personnes et le Conseil ne saurait retenir de blâme dans cette affaire.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
Date de l’appel
8 April 1987
Appelant
M. Robert Demers
(membre du conseil d’administration, Société générale du Cinéma)
Décision en appel
Le plaignant
considère que le Conseil n’a pas respecté les règles élémentaires de justice
naturelle en rendant sa décision sans avoir au préalable pris connaissance de
ses commentaires et de sa réplique, et en n’ayant pas appliqué la règle de
l’audi alteram partem. Il considère que la décision du Conseil est mal fondée
en faits et en droit.
Après étude, la
Commission d’appel juge que cet appel, de même que sa réplique parvenue au
Conseil avec un retard largement supérieur aux deux semaines prévues par les
règles de procédure du Conseil, ne contiennent pas d’éléments inédits ou de
faits nouveaux susceptibles de justifier la réouverture du dossier.