Plaignant
Le Conseil
Attikamek-Montagnais
Représentant du plaignant
M. Edmond Malec
(vice-président, Conseil Attikamek-Montagnais) et M. Bernard Cleary (négociateur
en chef et coordonnateur des négociations, Conseil Attikamek-Montagnais)
Mis en cause
L’Actualité
[Montréal] et M. Guy Deshaies (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Paré
(directeur, L’Actualité [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son édition
de novembre 1986, L’Actualité publie, sous la signature du journaliste Guy
Deshaies, un article intitulé «La bataille de Goose Bay» portant sur
l’installation d’une base de l’OTAN au Labrador. Cet article ne présente que le
point de vue des militaires et des personnes favorables au projet, en plus de
colporter de nombreux préjugés à l’égard des amérindiens. Le journaliste
diffuse des données qui ne correspondent pas à celles contenues dans les
documents du ministère de la Défense du Canada et passe sous silence plusieurs
faits importants.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse du Québec a terminé l’étude de la plainte du Conseil
Attikamek-Montagnais qui, par la voix de son vice-président, monsieur Edmond
Malec, s’en prenait à un article de monsieur Guy Deshaies publié dans l’édition
de novembre 1986 de la revue L’Actualité sous le titre: «La Bataille de Goose
Bay».
Selon le
plaignant, cet article, traitant de l’installation d’une base militaire de
l’OTAN au Labrador et de la position de différents groupements face à une telle
installation, était «malhonnête, inexact, incomplet» et constituait «un manque
flagrant à l’éthique professionnelle».
Ainsi, monsieur
Malec soutenait que l’article ne présentait jamais la position des Montagnais
ou Innu, en prétextant qu’il sont toujours saouls ou en train de cuver leur
vin. L’article véhiculerait également sans discernement «tous les préjugés et
stéréotypes anciens concernant les Amérindiens: alcooliques, assistés sociaux
chroniques, manipulés par les groupuscules de gauche, désoeuvrés et vivant dans
des bidonvilles au milieu de dépotoirs, en pratiquant plus les activités
traditionnelles, ayant perdu leur culture, etc…»
En fait, le
texte de monsieur Deshaies n’aurait présenté qu’un seul point de vue, soit
celui des militaires et des personnes favorables au projet de militarisation,
alors que tous les opposants à ce projet étaient classés «avec mépris» dans la
catégorie des gauchistes d’obédience marxiste.
L’article serait
également inexact parce qu’il ne représentait pas la réalité telle que les
groupes autochtones la connaissent et parce que les données sur le sujet de
base de l’OTAN ne correspondaient pas du tout aux données retrouvées dans les
textes officiels du ministère de la Défense du Canada, notamment quant au
nombre de militaires en poste, au montant total des investissements et aux
études écologiques qui auraient été faites à ce sujet. Il serait aussi inexact
de prétendre que les Innu sont manipulés par des organismes extérieurs alors
que ces organismes ne sont intervenus qu’à la suite de demandes d’appui de la
part des Autochtones.
Par ailleurs,
l’article de monsieur Deshaies serait incomplet parce qu’il ne fait aucune
mention de la situation au Québec et des nombreuses interventions des
Montagnais de la Basse Côte-Nord, en particulier de La Romaine, et du Conseil
Attikamek-Montagnais dans ce dossier. Il semblait en effet incompréhensible au
plaignant qu’un journaliste, «soi-disant compétent», passe sous silence
l’information au sujet des ententes bilatérales entre le gouvernement canadien
et d’autres puissances occidentales permettant aux aviateurs de s’entraîner en
vols à basse altitude, lesquels seraient de plus en plus fréquents depuis 1979,
non seulement au-dessus du Labrador mais aussi en grande partie sur le
territoire québécois.
Le plaignant
dénonçait un autre «silence», cette fois au sujet du processus d’évaluation
environnementale mis en place par le Bureau fédéral des évaluations
environnementales du ministère de l’Environnement.
Enfin, l’article
constituerait «une publicité gratuite pour le ministère de la Défense
nationale» tellement ce texte ne présentait qu’une seule facette de la réalité.
Dans ce contexte, L’Actualité aurait dû titrer ce texte «Publi-reportage»,
selon monsieur Malec.
Le plaignant
disait croire que, dans ce dossier, l’information avait été manipulée ou que le
journaliste lui-même s’était laissé manipuler. Celui-ci aurait par ailleurs
complètement manqué aux règles de l’objectivité journalistique car, en aucun
temps, les opposants au projet de militarisation, pourtant nombreux, n’auraient
véritablement eu la possibilité de faire connaître leurs points de vue.
Commentaires du mis en cause
Commentant cette
plainte, le directeur de L’Actualité, monsieur Jean Paré, estimait que ces
accusations n’étaient pas fondées et résultaient clairement d’une lecture
superficielle ou d’une interprétation abusive de l’article.
Selon monsieur
Paré, l’article ne comportait ni racisme ni mépris, mais témoignait d’une attention
réelle aux difficultés et aux besoins des populations autochtones du Canada.
Monsieur Paré signalait d’ailleurs que l’article n’avait pas été publié par
inadvertance, mais avait été lu avant publication par plusieurs journalistes et
par le rédacteur en chef qui l’avait approuvé. Selon monsieur Paré, «aucun de
ces journalistes d’expérience n’a pensé que ce reportage ponctuel sur un
village du Labrador et la base militaire qui s’y trouve depuis la dernière
guerre était incomplet, ou partial, ou qu’il offenserait».
Monsieur Paré
citait, à titre d’exemple de l’attention constante portée par L’Actualité aux
problèmes que dénoncent les Amérindiens, une vingtaine de reportages publiés
dans cette revue et traitant de questions telles que le racisme, le chômage,
l’exploitation et le sous-développement économique.
Selon monsieur
Paré en fait, le plaignant semblait surtout irrité de ne pas trouver dans
l’article de monsieur Deshaies un plaidoyer de plus contre la base de l’OTAN à
Goose Bay, s’agissant là du principal grief du Conseil Attikamek-Montagnais
après «une allusion d’office aux stéréotypes, tout comme dans la presque
totalité des vingt-neuf lettres étonnamment ressemblantes» reçues par la revue
à ce sujet.
Le directeur de
L’Actualité soutenait que le reportage ne décrivait pas des comportements
collectifs, mais bien celui d’individus tels un homme chez lui, un autre sur la
route, et un troisième, porte-parole officiel, qui préfère ne pas parler au
journaliste parce qu’il a bu. Il n’était nulle part dit ni suggéré que les
Amérindiens sont des alcooliques, et monsieur Paré se demandait s’il serait
désormais interdit, «par une curieuse sorte de racisme à l’envers, d’écrire que
même un Indien peut être ivre ou avoir des comportements répréhensibles?» De souligner
monsieur Paré, c’est le métier des journalistes de rapporter ce qu’ils ont vu.
L’article de monsieur Deshaies n’était en ce sens ni un plaidoyer, ni une
commission d’enquête, mais un simple reportage.
Quant au fait
que certains groupes soient apparus au journaliste plus anti-militaristes que
pro-indiens et que celui-ci l’ait signalé dans l’article, cela ferait partie de
la marge d’appréciation consentie à tout journaliste et ne constituerait pas un
manque aux règles de l’éthique professionnelle ni une atteinte aux droits de
quiconque. Certains de ces intervenants anti-militaristes auraient, par
exemple, selon monsieur Paré, joué un rôle actif dans la destruction de la
ressource économique que représentaient la chasse aux phoques et l’exploitation
de la fourrure par les Indiens et les Esquimaux, et il convenait de le
signaler. Et ce serait dans le même esprit que l’on reprochait à L’Actualité de
«faire le jeu» des militaires en rendant compte de la politique officielle du
Gouvernement du Canada et de ses engagements dans le cadre de l’OTAN.
Cela dit,
monsieur Paré se demandait si l’article avait été mal lu ou s’il avait été lu
avec mauvaise foi pour être utilisé à des fins de propagande, dans le but de prendre
date en vue de contestations territoriales ultérieures, ou simplement pour
intimider les journalistes et les organismes d’arbitrage. Ce qui aurai déplu à
certains, selon monsieur Paré, c’est que les informations rapportées par
L’Actualité pour la première fois contredisaient plusieurs des affirmations des
opposants à l’installation d’une base de l’OTAN.
Enfin, en
réponse au grief du plaignant à l’effet que l’article aurait passé complètement
sous silence le processus d’évaluation environnementale et les oppositions qui
se sont manifestées à l’égard des projets de militarisation, monsieur Paré
soulignait que cela ne voulait rien dire et ne pouvait convaincre que les
naïfs, le Bureau fédéral des évaluations environnementales n’ayant jusqu’à
présent pris aucune position.
Monsieur Paré
concluait en disant que l’on pourrait croire être face à un exemple
d’utilisation d’un incident «à rebours», d’une atteinte à la liberté de dire et
d’écrire ce qui a été vu, d’une tentative d’embrigader et d’intimider les
journalistes, d’une insulte non pas aux Indiens, mais au Conseil de presse. Le
directeur de L’Actualité disait dès lors préférer penser tout simplement que le
plaignant avait lu avec les yeux de l’émotion un article écrit avec la froide
objectivité du journaliste.
Croyant avoir
démontré que l’article n’était ni raciste ni méprisant, et que L’Actualité
n’était pas indifférente au sort des communautés amérindiennes, bien au
contraire, monsieur Paré disait croire aussi que, si cet article était lu
froidement et rationnellement, cette plainte serait rejetée et que le Conseil
de presse saurait faire comprendre au plaignant que s’il s’estime véritablement
diffamé ou victime d’un préjudice réel, il conviendrait de le démontrer devant
un tribunal.
Pour sa part, le
journaliste Guy Deshaies, dans une déclaration intégrée aux commentaires de
monsieur Paré, disait d’abord ne pas connaître les Montagnais de Pointe Bleue
au Québec (plaignants auprès de la Commission des droits de la personne au
sujet de cet article) et n’avoir pas parlé à leur représentant, et il affirmait
qu’il n’était nullement question de ce groupe dans l’article. Cela dit,
monsieur Deshaies soutenait avoir rapporté fidèlement ce qu’il avait «vu, lu et
entendu» à Goose Bay, où il avait séjourné du 18 au 20 août 1986.
Ainsi, monsieur
Deshaies expliquait avoir tenté sans succès de joindre, de Montréal, l’adjoint
du président de l’Innu National Council (opposé au projet de l’OTAN), monsieur
David Nuke, et avoir finalement rencontré celui-ci par hasard à son hôtel.
C’est là que monsieur Nuke aurait déclaré avoir beaucoup bu et ne pas aimer
accorder d’entrevues dans ces cas-là.
Monsieur
Deshaies expliquait également avoir rencontré le sous-ministre adjoint du
développement rural, agricole et du Nord, monsieur John McGrath, qui partout
serait accueilli avec respect et estime et dont les propos auraient été
rapportés fidèlement.
Le journaliste
aurai également rencontré le maire de Goose Bay, trois conseillers municipaux,
le commandant de la base militaire ainsi que des résidents de Goose Bay et
avoir lu le Northern Innu Health Council News dont il aurait traduit des
passages relatifs à la base militaire.
«Ma faute,
semble-t-il, selon monsieur Deshaies, est de ne pas avoir écrit que ce sont les
militaires qui vont détruire l’environnement des autochtones. Même si cela
n’est pas vrai, les plaignants et leurs amis qui n’ont jamais mis les pieds à
Sheshatshit et même au Labrador, en seraient satisfaits».
Monsieur
Deshaies maintenait que son article plaidait en faveur des Innu qui «de toute
évidence, sont utilisés par des Blancs». Expliquant avoir appelé les Innu
«Nègres rouges d’Amérique» par analogie aux «Nègres blancs d’Amérique» de
Pierre Vallières, le journaliste ajoutait qu’il avait soulevé le problème d’une
population dévalorisée et amoindrie dans sa culture et ses moeurs.
Monsieur
Deshaies concluait en disant ne rien retirer de cet article, estimant que
L’Actualité avait parfaitement le droit de publier ce que bon lui semble du
moment que c’est légal. D’affirmer monsieur Deshaies, «C’est la liberté de
presse qui est ici en jeu… Je guette seulement le moment où on s’avisera de
porter atteinte publiquement à ma réputation, auquel cas je m’adresserai aux
tribunaux civils, seuls habilités à redresser les torts de cette nature. Si
ceux qui sont visés dans l’article croient avoir été lésés, ils s’adresseront
aux tribunaux et je me ferai un plaisir de me défendre».
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur Bernard Cleary, négociateur en chef et coordonnateur des
négociations au Conseil Attikamek-Montagnais, réfutait d’abord les arguments de
monsieur Paré en référant le Conseil aux nombreux appuis reçus par le plaignant
de la part de groupes, individus et organismes unanimes à condamner l’article
de monsieur Deshaies, et qui tous ne pouvaient errer en considérant l’article
comme biaisé, discriminatoire ou méprisant*.
Monsieur Cleary
citait ensuite de nombreux passages de l’article de monsieur Deshaies à titre
d’exemples de sa teneur discriminatoire. En plus du premier paragraphe de
l’article (le «lead») qui, selon le plaignant, donnait le ton de l’ensemble en
présentant un homme ivre, titubant «devant sa cabane jonchée de détritus» et
des enfants guettant «l’air apeuré (…) les déplacements de leur père saoul
dont les vociférations se confondent avec les aboiements des chiens», monsieur
Cleary relevait plusieurs phrases faisant état de consommation d’alcool et de
désoeuvrement chez les Autochtones. «Pourquoi, de s’interroger monsieur Cleary,
tant d’insistance pour tenter de démontrer que les Montagnais du Labrador, qui
s’opposent à ce projet, sont des alcooliques inutiles, désoeuvrés, qui ne font
rien et sont dévalorisés de devoir travailler, qui ne pratiquent plus aucune
activité traditionnelle et qui vivent sur l’assistance sociale?».
N.B. Le Conseil
de presse a effectivement reçu de nombreuses lettres de protestation au sujet
de cet article de même qu’une intervention écrite de la Commission des droits
de la personne accompagnée d’une analyse de contenu du texte litigieux. Le
Conseil a pris connaissance avec attention et intérêt de tous ces commentaires,
lesquels ont contribué à enrichir sa propre analyse du dossier. Compte tenu
cependant de l’ampleur de cette correspondance, ces propos de tierces parties
ne sont pas résumés dans le présent texte de décision, lequel ne rend compte
que des seules versions du plaignant et des intimés. L’ensemble de la
documentation contenue dans ce dossier est toutefois disponible pour
consultation.
Le plaignant contestait
également l’utilisation, par «l’échotier Guy Deshaies (…) de l’argumentation
massue de l’Autochtone manipulé par des militants de gauche, incapable de
penser par lui-même». Monsieur Cleary citait à cet égard les passages de
l’article où il était dit, notamment, que «des militants dressent les
autochtones contre ce projet» et que «le mouvement d’opposition est très
clairement téléguidé de l’extérieur par des militants dont les objectifs sont
tout autres que le bien-être de la communauté amérindienne».
A l’inverse,
selon monsieur Cleary, les hommes blancs (sous-ministres, maire, militaires)
favorables au projet de militarisation étaient décrits de façon sympathique,
(«yeux bleus, voix douce», «instigateur de plusieurs projets d’aide pour les
Innu… », etc.), cela alors même que l’on ne retrouverait pas «un seul
qualificatif positif au sujet des Autochtones» dans l’article.
En réponse à
l’affirmation du journaliste à l’effet qu’il ne connaissait pas les Montagnais
de Pointe Bleue au Québec et qu’il n’avait pas parlé à leur représentant,
monsieur Cleary signalait que la majorité des vols militaires dans la région
ont lieu au Québec et que le Conseil Attikamek-Montagnais, qui regroupe tous
les Montagnais du Québec, s’oppose catégoriquement au projet, puisque les
Montagnais sont en négociations territoriales. De s’interroger monsieur Cleary,
«Est-ce que L’Actualité a ignoré cette position par ignorance crasse ou par
malhonnêteté professionnelle?»
Et, selon le
plaignant, les seules réponses données «à ce trou béant» l’avaient été par
monsieur Deshaies qui, dans ses commentaires, disait croire que sa faute était
«de ne pas avoir écrit que ce sont les militaires qui vont détruire
l’environnement des autochtones» et que même si cela n’était pas vrai, «les
plaignants et leurs amis qui n’ont jamais mis les pieds à Sheshashit et même au
Labrador, en seraient satisfaits». Cet énoncé constituait, de l’avis du
plaignant, une admission que le point de vue de l’article était évident, «que
son auteur avait acheté d’emblée la thèse de l’Armée canadienne (…) et qu’il
voulait discréditer la position des Autochtones (…) en les décrivant comme
des incapables et des irresponsables».
Quant à
l’argument invoqué par les intimés à l’effet que la revue a droit de publier ce
que bon lui semble au moment que c’est légal, et invitant le plaignant à saisir
les tribunaux de l’affaire s’il croyait qu’il y avait matière à poursuite,
monsieur Cleary se demandait s’il fallait en déduire que s’il n’y a pas matière
à poursuite, c’est que le travail du journaliste est professionnellement bien
fait et que le public a reçu toute l’information à laquelle il a droit. «Belle
mentalité journalistique… », d’affirmer monsieur Cleary.
Le plaignant
réfutait également l’argument à l’effet que l’article avait été lu avant
publication par plusieurs journalistes professionnels et qu’aucun n’avait
estimé le reportage incomplet, partial ou offensant. Outre de demander «combien
et qui», le plaignant considérait que l’éditeur de L’Actualité s’engageait là
«sur un terrain glissant», puisque ce serait «un secret de polichinelle (…)
que les textes proposés à L’Actualité sont triturés» sous l’inspiration de
monsieur Paré qui, par ailleurs, n’aurait jamais «péché par excès de
consultation».
Disant avoir été
«sidéré (…) par autant d’incongruité, de malhonnêteté professionnelle,
d’inexactitudes, d’injures, de racisme et de mépris», le plaignant concluait en
maintenant que l’article de monsieur Deshaies était contraire à l’éthique
journalistique et constituait une atteinte à des droits reconnus par les
diverses chartes des droits en matière de discrimination.
Analyse
L’attention que décide de porter la presse à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix du sujet, de même que la façon de le traiter lui appartiennent en propre. La liberté de la presse et, partant, le droit du public à l’information, seraient gravement compromis si, en renseignant le public sur certaines questions, la presse devait se plier à quelque philosophie ou courant d’idées dans sa façon d’aborder les événements ou si l’on pouvait exiger d’elle qu’elle véhicule des messages qui épousent l’image ou le sens que veulent donner à leur action des personnes ou des groupes.
Ce droit et cette liberté seraient par contre tout aussi gravement compromis si la presse, se soustrayant aux règles de l’éthique journalistique ou faisant fi des exigences de rigueur, d’exactitude et d’honnêteté que lui impartissent sa fonction et sa responsabilité d’informer, donnait une image déformée des faits, travestissait les événements ou adoptait, à l’égard des personnes ou des groupes, des attitudes propres à entretenir les préjugés populaires ou à les discréditer auprès de l’opinion publique.
Le Conseil n’a pas à statuer sur le mérite respectif des positions défendues par les groupes impliqués dans le débat sur l’installation d’une base militaire à Goose Bay, son rôle se limitant dans cette affaire à déterminer si, effectivement, l’article à l’origine de cette plainte est conforme ou non aux normes de l’éthique.
Partant, il ne saurait être question que le Conseil substitue son propre jugement à celui du journaliste en niant à celui-ci le droit, et même le devoir, de rapporter ce qu’il a vu et entendu.
Cela dit, le Conseil constate que la façon de présenter les parties au débat tient d’une vision manichéenne des choses, des événements et des gens. Ainsi, les Autochtones et leur action sont constamment présentés sous un éclairage négatif, qui sombre parfois dans le misérabilisme, alors qu’à l’exception significative des Blancs alliés aux groupes d’opposition autochtones, tous les autres Blancs impliqués dans ce débat sont présentés sous un jour éminemment favorable.
Sans prétendre que les faits et les propos rapportés aient été travestis, le Conseil est d’avis que le journaliste eut pu rendre compte des perceptions que lui ont inspiré ses recherches et démarches sans pour autant tracer un portrait aussi nettement stéréotype des groupes et des individus en présence.
La liberté qu’a la presse de dénoncer les situations qui lui apparaissent devoir l’être ne doit pas se traduire en une pratique qui a pour effet de jeter ainsi le discrédit sur l’ensemble des membres d’un groupe ethnique particulier, en l’occurrence les Autochtones.
Le Conseil blâme donc le journaliste et L’Actualité, lesquels n’ont pas su éviter ces pièges et ont, de ce fait, contribué à entretenir les préjugés à l’égard des Autochtones.
Le Conseil tient par ailleurs à commenter la nature étroitement légaliste de l’argument selon lequel les médias pourraient publier ce que bon leur semble dans la mesure où ils demeurent en-deçà de la légalité.
Selon le Conseil, une telle vision des choses fait peu de cas de la responsabilité de la presse à l’égard du nécessaire respect des normes et balises déontologiques qui doivent guider la pratique journalistique.
En effet, tout en étant évidemment soucieux d’exercer leur travail en toute légalité, les professionnels de l’information doivent également agir dans le plein respect du droit du public à une information équilibrée, complète et exacte. Ce champ éthique n’est couvert (et ne doit être couvert) par aucune disposition législative dans un régime de liberté de presse, et il revient donc aux professionnels de l’information d’en reconnaître l’existence et de s’autodiscipliner en assumant leurs responsabilités en la matière. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la liberté de la presse sera sauvegardée.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24D Hors mandat