Plaignant
CION-FM
[Radiomutuel, Rivière-du-Loup]
Représentant du plaignant
M. Paul Huot
(directeur général, CION-FM [Radiomutuel, Rivière-du-Loup])
Mis en cause
CJFP-AM
[Télémédia, Rivière-du-Loup], M. Daniel St-Pierre (animateur et directeur des
programmes) et M. Jean D’Amours (animateur)
Résumé de la plainte
Les animateurs
Daniel St-Pierre et Jean D’Amours de CJFP manquent d’honnêteté et d’objectivité
en commentant, à l’intérieur d’un bulletin de nouvelles diffusé le 3 février
1987, le versement d’une subvention gouvernementale à la radio communautaire
CION-FM. Les animateurs qualifient à tort cette subvention de concurrence
déloyale. La mise au point maladroite des animateurs, diffusée par la suite, ne
rectifie aucunement les faits.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte du directeur général de la station
radiophonique communautaire CION-FM (Rivière-du-Loup), monsieur Paul Huot,
contre les animateurs Daniel St-Pierre et Jean D’Amours de la station de radio
CJFP, également de Rivière-du-Loup.
Selon le
plaignant, les animateurs de CJFP auraient fait preuve d’une «absence évidente
et d’objectivité et d’honnêteté» en parlant, le 3 février dernier, de
«concurrence déloyale à l’endroit de l’entreprise de presse privée et
d’injustice à l’endroit des assistés sociaux, des malades (etc.) en raison du
fait que CION-FM avait reçu une petite subvention du ministère québécois des
Communications». Ce faisant, messieurs St-Pierre et D’Amours ont utilisé
«volontairement le couvert de l’objectivité d’un bulletin d’information
régional pour passer leurs opinions partisanes».
Le plaignant
ayant par ailleurs demandé à CJFP de se rétracter, celle-ci n’aurait diffusé
alors qu’une «mise au point maladroite» des animateurs, lesquels concluaient
ainsi: «Si c’était à refaire, on referait la même chose…».
Se demandant en
quoi une entreprise qui reçoit une subvention gouvernementale fait une concurrence
déloyale aux autres entreprises, monsieur Huot soulignait par ailleurs que les
intimés avaient omis de rappeler la situation financière particulière des
petites radios communautaires, pour lesquelles «la vente de publicité limitée
par le CRTC est compensée par une subvention gouvernementale».
Commentaires du mis en cause
Commentant cette
plainte, l’animateur Daniel St-Pierre, également directeur des programmes de
CJFP, précisait d’abord que ni lui ni monsieur D’Amours n’avaient eu
l’intention de porter atteinte à la réputation de la station CION-FM ou de son
personnel.
Les deux
animateurs auraient plutôt «soutenu et appuyé» que la subvention accordée à
CION «encourageait une concurrence déloyale». Et l’emploi du qualificatif «déloyal»
était alors basé sur un commentaire du CRTC qui, dans le cadre du processus de
renouvellement des licences de CION-FM et d’une autre station communautaire,
avait déclaré notamment que le rendement de ces stations s’écartait
«considérablement de leurs conditions de licence touchant la publicité et la
programmation». La décision du CRTC faisait également mention d’un «état de
non-conformité généralisé de CION-FM et de son défaut d’adopter les mesures
appropriées malgré les rappels à l’ordre répétés»; partant, sa licence n’avait
donc été renouvelée que pour un an, période après laquelle la station devrait
«démontrer hors de tout doute sa conformité».
C’était donc
dans ce contexte, de préciser monsieur St-Pierre, qu’il fallait situer
l’intervention à l’égard de CION: dans la mesure où cette radio passait outre à
sa promesse de réalisation et obtenait, malgré tout, une aide gouvernementale,
il s’agissait «d’encouragement à la concurrence déloyale».
Réplique du plaignant
Le directeur
général de CION-FM répliquait à ces propos en rappelant qu’en aucun moment, les
animateurs de CJFP n’avaient fait référence en ondes aux problèmes de
conformité de CION-FM, la seule précision à cet égard ayant été à l’effet que
CION devait respecter sa licence de radiodiffusion, «un voeu sur lequel tout le
monde s’entend».
Précisant par
ailleurs que le versement d’une subvention de fonctionnement PAMEQ (Programme
d’aide aux médias communautaires) «implique toujours une reconnaissance du bon
travail fait durant l’année», monsieur Huot soulignait que la subvention versée
à CION cette année l’avait été à la suite d’une étude démontrant que cette
station «n’avait ménagé aucun effort pour faire en sorte que sa programmation
soit davantage conforme à sa promesse de réalisation».
A la lumière de
tout ceci, les propos des animateurs de CJFP lui apparaissaient davantage
dictés par la démagogie et la partisanerie que par le souci honnête d’informer
le public sur la situation de la station de radio communautaire. Et il était
très difficile pour monsieur Huot de croire que «ces deux animateurs n’aient
jamais eu l’intention de porter atteinte à la réputation de CION-FM».
Analyse
Les médias et les professionnel de l’information peuvent avoir recours aux moyens les plus efficaces pour rendre l’information vivante et dynamique. Ce faisant, ils doivent toutefois demeurer rigoureux et se montrer soucieux d’exposer fidèlement la réalité.
Ils doivent également respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques que constituent l’expression d’opinions d’une part, et le reportage ou la nouvelle proprement dite d’autre part.
Enfin, il est plus équitable, avant de commenter des événements, d’en faire une présentation factuelle de sorte que le public ne se méprenne pas sur le sens de l’information diffusée et puisse se former sa propre opinion en toute connaissance de cause.
Dans le cas présent, le Conseil reproche aux intimés d’avoir confondu les genres en s’adonnant librement au commentaire au cours de la lecture d’un bulletin de nouvelles.
Quant au fond dudit commentaire, les animateurs auraient dû informer clairement les auditeurs de ce sur quoi ils le fondaient, à savoir, selon la version même des intimés, le versement d’une subvention à la radio concurrente malgré les démêlés de celle-ci avec le CRTC.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C20A Identification/confusion des genres
Commentaires des dissidents à propos de la décision
Dissidence de M.
Pierre Vigneault:
Je ne partage
pas la position du Conseil en ce qui concerne la «confusion des genres»
reprochée aux intimés. Je pense que le public pouvait très bien, dans ce cas,
faire la distinction entre les commentaires et l’information.
Je considère que
les intimés ont tout simplement exprimé leur opinion en rapport avec la
politique gouvernementale en matière de subventions aux médias communautaires.
Dissidence de M.
Jean-André Leblanc:
Outre les
principes déjà évoqués par le Conseil dans cette cause (positions que je
partage), j’estime par ailleurs qu’il en est d’autres qui mériteraient de
retenir l’attention du Conseil à la lueur des événements relatés dans le
présent cas.
Le Conseil a
déjà rappelé les principes de rigueur et d’équité de même qu’il a pu évoquer,
en cette affaire, la confusion des genres pratiquée par les intimés.
Relever la
confusion des genres, en l’occurrence, suffirait si les genres ainsi confondus
(dans ce cas-ci: bulletin d’information/commentaire) avaient été pratiqués avec
un sens élémentaire de l’intégrité. Ce qui ne fut pas le cas, hélas.
J’estime, en outre,
qu’en vertu des principes évoqués par la jurisprudence du Conseil autour de la
notion de conflit d’intérêts, les intimés, en étant juges et parties, ont abusé
de leur prérogative et n’ont pas su éviter une situation susceptible de les
faire paraître en conflit d’intérêts et, partant, de compromettre leur
crédibilité d’informateurs publics et l’intégrité de l’information.
Le Conseil doit
mettre en garde les collaborateurs des médias contre la tentation qu’ils
pourraient avoir de se faire les promoteurs des mouvements au sein desquels ils
prennent une part active à cause de situations de conflits d’intérêts qui
pourraient résulter.
La station CJFP,
en permettant à son directeur des programmes d’intervenir dans un bulletin
d’information, se mettait, ce faisant, en apparence de conflit d’intérêts,
forçant son directeur des programmes à choisir entre les intérêts de la station
et l’objectivité et l’intégrité de l’information.
Le Conseil doit rappeler
que les médias ont une responsabilité spéciale de veiller à ce que leurs
collaborateurs ne se retrouvent pas dans de telles situations.
A mon avis, la
station CJFP disposait d’autres moyens pour faire connaître son «indignation».
A la limite, la station aurait pu parler d’elle-même avec plus d’objectivité
dans son propre bulletin comme ont pu d’ailleurs le faire, avant elle, d’autres
médias de manière exemplaire.
La jurisprudence
du Conseil en matière de rectification des faits est claire: «… Les organes
d’information qui négligent de faire, de leur propre initiative, les
corrections qui s’imposent lorsqu’il est devenu évident que l’information
qu’ils avaient transmise était erronée, manque à leur responsabilité
d’informateurs publics… La station aurait informé ses auditeurs d’une façon
plus complète si elle avait pris la peine de rapporter le point de vue des
plaignants». Finalement, il faut bien constater que «les rétractations, bien
que nécessaires, restent de peu de valeur pour réparer pleinement le tort causé
dans le public aux réputations injustement atteintes».
En somme, il ne
devrait pas être possible à un média de se faire justice en abusant de
l’hospitalité et de la crédibilité généralement conférées à un bulletin
d’information, ce que redoute toute personne qui s’inquiète des éventuels
dangers de la concentration de la presse. Tout média ayant ainsi failli à sa
responsabilité devrait, au nom des principes à l’oeuvre dans la notion du droit
d’informer et d’être informé, le reconnaître et s’acquitter.
Dissidents
M. Pierre Vigneault
et M. Jean-André Leblanc