Plaignant
Mme Colette
Provost et M. Raùl Padilla
Mis en cause
CIVM-TV
[Radio-Québec, Montréal] et M. Jack Pizzey (journaliste, Australian
Broadcasting Corporation [ABC])
Représentant du mis en cause
M. Jacques
Girard (président-directeur général, CIVM-TV [Radio-Québec, Montréal])
Résumé de la plainte
Le documentaire
«Le colosse déchu», produit par la télévision australienne et diffusé le 19
avril 1987 par Radio-Québec, présente une perspective raciste et impérialiste
de la situation en Argentine. L’absence d’éléments importants, des propos
manichéens et l’utilisation d’extraits de films publicitaires ou de fiction,
sans les identifier, contribuent à offrir une vision tronquée de l’Argentine et
de certains événements s’y étant déroulés.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de madame Colette Provost et de monsieur
Raùl Padilla qui reprochaient à Radio-Québec d’avoir diffusé, le 19 avril 1987,
un document de «propagande anti-argentine» produit par la télévision
australienne et intitulé «Le colosse déchu».
Selon les
plaignants, ce documentaire avait une perspective raciste et tentait de démontrer
«que les Argentins sont pauvres parce qu’ils ont vécu au-dessus de leurs
moyens, inconsidérément, et que dans le fond ils ne valent rien».
De plus, les
Gauchos y seraient «présentés comme des bêtes sanguinaires» et comme les
responsables de la faillite de l’économie terrienne, et leurs compagnes
ressembleraient, selon le commentateur, à «des poupées de chiffon».
Quant au
mouvement de guérilla argentin, une vieille dame anglaise était choisie par
l’animateur pour le présenter ainsi: «C’étaient des jeunes qui voulaient tuer
des vieux. Ils mettaient des bombes sous le lit des parents de leurs amis»;
«aucune autre interprétation», de souligner les plaignants, pas de mention au
coup d’Etat de 1974, à la politique économique du régime militaire, aux Etat-Unis.
Les
anti-impérialistes étaient pour leur part «présentés à tout moment comme des
irrationnels», que ce soit par association visuelle (images de musiciens en
transes, couplées à des propos sur les partis politiques), ou par des
affirmations à l’effet que «le peuple ne voulait pas voir la vérité» ou qu’une
«enquête a prouvé que 50% des Argentins souffrent de nécrophilie politique».
Cette dernière allusion viserait le mouvement péroniste, «très peu prisé des
Etats-Unis», et les plaignants relevaient à cet égard le fait que plusieurs
conseillers amÉricains avaient collaboré à la production de l’émission.
Les plaignants
citaient de nombreux autres exemples d’une «vision manichéiste» qui servait des
intérêts évidents, tels un propriétaire terrien anglophone qui se plaint de ne
plus faire autant de profit à cause des salaires actuels (alors que ceux-ci
sont gelés), ou encore l’animateur qui affirme que le pays s’est développé
grâce aux Britanniques, sans mentionner qu’il s’agit là d’un modèle de développement
essentiellement colonial.
Madame Provost
et monsieur Padilla s’en prenaient également au «montage manipulateur» du
documentaire auquel étaient intégrées plusieurs scènes non identifiées de films
de fiction. A cet égard, il aurait fallu, selon eux, «un cinéphile averti pour
déceler les jeux d’acteurs dans des scènes qui paraissent issues de la
réalité».
Pour toutes ces
raisons, les événements devenaient incompréhensibles, alors même que le
commentateur suggérait que «tout ce que les argentins savent faire c’est de se
battre entre eux, qu’ils n’ont pas à se plaindre et que les étrangers
pourraient régler tout ça, à condition que le pays laisse gérer ses affaires
par les grandes puissances. C’est, de conclure les plaignants, une perspective
raciste et impérialiste».
Commentaires du mis en cause
Le
président-directeur général de Radio-Québec, monsieur Jacques Girard, disait
pour sa part avoir peine à reconnaître le document diffusé par Radio-Québec
dans les qualificatifs dont les plaignants l’affublaient ainsi que dans «la
déconstruction» que ceux-ci lui faisaient subir.
Considérant que
les affirmations des plaignants reposaient essentiellement sur des citations et
des exemples incomplets et hors contexte, monsieur Girard rappelait que la
série australienne «Gouttes de soleil, larmes la lune» (à laquelle appartenait
l’émission «Le colosse déchu») présentait «un point de vue personnel et
documenté» sur les pays visités par l’animateur Jack Pizzey et son équipe de
recherche.
Tout en devant
respecter le code déontologique généralement admis par la profession, ces
démarches ne prétendraient donc «ni aux analyses en profondeur, ni à
l’exhaustivité de l’information, ni à l’objectivité visée dans les émissions
d’affaires publiques», et leur intérêt reposerait «essentiellement sur la
crédibilité du journaliste et sur l’originalité de son point de vue». Et à cet
égard, monsieur Girard signalait la vaste expérience journalistique de monsieur
Pizzey.
Par ailleurs,
si, dans «Le colosse déchu», les propos du commentateur étaient teintés
d’ironie, ils n’en rejoignaient pas moins ceux d’un journaliste argentin
déclarant que son peuple «consacre toute son énergie et toute son imagination à
l’autodestruction», ou encore ceux du président Raul Alfonsin qui dit: «Nous
nous sommes égarés. Nous devons retrouver notre chemin». Les propos de monsieur
Pizzey pouvaient donc paraître durs, mais, selon monsieur Girard, ils suggèrent
«que, dans une situation insoutenable, la dérision et l’ironie désamorcent les
tensions et les frustrations».
Quant au
reproche concernant l’intégration de plans de fiction au montage, monsieur
Girard voyait là un procédé courant, visant «à présenter l’image qu’une société
se donne et projette d’elle-même et ce, à travers la fiction… ou les messages
publicitaires». Et selon lui, le contexte, le jeu des comédiens, le ton et le
décor indiquaient d’emblée qu’il s’agissait là de films ou de publicité.
Monsieur Girard
rejetait également l’argument des plaignants à l’effet que l’association de
conseillers amÉricains à la production du documentaire eut été un signe de
parti pris idéologique, le président-directeur général de Radio-Québec
considérant que l’origine nationale des conseillers ne peut invalider de
quelque façon le sérieux de leur démarche.
Enfin, monsieur
Girard rappelait qu’en tant que télédiffuseur éducatif, Radio-Québec devait
«favoriser l’expression des points de vue multiples (mais certainement jamais
«racistes» et propagandistes»), tout en maintenant un équilibre d’ensemble dans
les contenus de sa programmation». Aussi la décision de présenter ce document
était-elle maintenue.
Analyse
L’attention que décide de porter un journaliste ou un organe d’information à un sujet particulier relève de son jugement rédactionnel. Le choix et l’importance du sujet, de même que la façon de le traiter lui appartiennent en propre et l’on ne peut le blâmer pour ne pas avoir traité de façon exhaustive de tous les aspects d’une question dont il a choisi d’informer le public.
Le Conseil ne saurait intervenir dans de telles décisions sans risquer de devenir un organisme de direction et d’orientation de l’information, sauf pour revoir, au besoin, les critères qui président à ces choix et qui ne seraient pas conformes au rôle des professionnels et des organes d’information de renseigner, d’une façon adéquate, la population sur une question donnée.
Dans le cas présent, l’émission diffusée était à l’évidence porteuse d’un «point de vue personnel et documenté», pour employer l’expression même du président-directeur général de Radio-Québec. Ce documentaire tenait donc plus de la chronique que du strict reportage et, de ce fait, laissait à son auteur une grande latitude en matière de choix rédactionnels. Dans ce contexte, il aurait été utile que Radio-Québec en informe ses auditeurs.
De plus, afin d’éviter certaines ambiguïtés, il aurait également été utile que le diffuseur signale, d’une quelconque façon, l’insertion d’extraits de films publicitaires et de films de fiction dans l’émission.
Enfin, bien que la perspective adoptée par l’auteur ait pu, pour les raisons ci-haut mentionnées, offenser certains téléspectateurs, cette perspective et le traitement accordé au sujet ne sauraient, de l’avis du Conseil, être qualifiés de racistes. Aucun blâme n’est donc retenu à cet égard.
Analyse de la décision
- C18D Discrimination
- C20A Identification/confusion des genres