Plaignant
Le
Rothchild Condominiums
Représentant du plaignant
M. Murray B.
Spiegel (avocat, Spiegel Sohmer)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et M. Harry Bruce (chroniqueur)
Représentant du mis en cause
M. Mark Harrison
(rédacteur en chef, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Le chroniqueur
Harry Bruce commente avec sarcasme les textes publicitaires du Rothchild
Condominiums dans son article intitulé «Get piece of Shangri-La in sun-filled
Côte St. Luc», paru dans l’édition du 20 juin 1987 de The Gazette. En plus de
critiquer de manière inéquitable le style descriptif et coloré de ce type de
publicité, le chroniqueur suggère implicitement que les agissements du
promoteur immobilier concerné ne respectent pas l’éthique.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de la compagnie Le Rothchild Condominiums contre
le journaliste Harry Bruce et le quotidien The Gazette, concernant la chronique
«Get piece of Shangri-La in sun-filled Côte St. Luc» parue le 20 juin 1987, et
qui commentait les textes apparaissant à l’intérieur d’annonces publicitaires
du promoteur.
Au nom du
Rothchild Condominiums, maître Murray B. Spiegel affirmait que cet article
dépassait les limites du commentaire juste et équitable, d’autant plus que le
journaliste admettait dans sa chronique qu’il n’avait jamais visité les lieux
et qu’il «présumait du droit de faire des commentaires en se basant sur de
l’information reçue de ses « agents »».
Maître Spiegel
estimait que le ton et la nature de ces commentaires étaient dérogatoires, et
que l’article constituait une «attaque directe, non provoquée et non
justifiée». Il ajoutait enfin que le niveau de sarcasme de la critique de monsieur
Bruce s’avérait simplement du «journalisme irresponsable».
Selon maître
Spiegel, le journaliste prétendait écrire un article sur les mots [«All about
words»], mais l’article allait bien plus loin que l’analyse d’annonces
publicitaires promotionnelles ou de «prétentions exubérantes» de vendeurs de
propriétés immobilières. Il signalait que ce genre de publicité était courant
et pouvait facilement se trouver dans n’importe quelle page d’annonce des
propriétés immobilières de The Gazette.
Maître Spiegel ajoutait
qu’en plus de s’en prendre au style descriptif et coloré de ce type de
publicité, utilisé à travers le monde pour la vente de condominiums ou de
propriétés similaires, l’auteur suggérait implicitement un manque d’éthique
dans la conduite commerciale du Rothchild Condominiums.
Quant à la
suggestion du journaliste à l’effet que l’utilisation des mots «Le Rothchild»
apparaissait comme une tentative de profiter du nom de célèbres financiers
juifs européens, celle-ci constituait, selon maître Spiegel, une tentative
«déplacée et gratuite» d’imputer des motifs au promoteur, ce qui ne relevait
pas de la compétence de monsieur Bruce.
Il concluait en
indiquant que l’on pouvait trouver de nombreux exemples de l’utilisation de
noms célèbres pour désigner des édifices à appartements ou des condominiums en
consultant un annuaire téléphonique.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, monsieur Mark Harrison, rédacteur en chef de The Gazette, disait
ne pas partager l’opinion du plaignant à l’effet que l’article en question
s’avérait du «journalisme irresponsable» et représentait une «attaque directe,
non provoquée et non justifiée».
Monsieur
Harrison expliquait que la chronique «All about words» de monsieur Bruce,
publiée chaque semaine dans plusieurs autres journaux canadiens, examinait la
façon dont les mots étaient utilisés, ou parfois mal utilisés, dans la langue
anglaise, un sujet s’avérant sans contredit d’un intérêt public considérable.
Selon monsieur
Harrison, l’article était une critique modérée et humoristique de ce que le
journaliste avait perçu correctement comme l’utilisation dans une publicité
d’un langage «hyperbolique».
Par ailleurs,
monsieur Harrison signalait que cet article n’était pas un article d’information,
mais une chronique et qu’elle avait été clairement présentée comme telle.
Il ajoutait
qu’un chroniqueur possédait beaucoup plus de latitude pour exprimer ses
opinions qu’un journaliste affecté au reportage, et que la liberté d’exprimer
celles-ci lui était donnée même lorsque ces opinions n’étaient pas partagées
par le journal ou par le rédacteur en chef. Faisant remarquer cependant que la
chronique devait demeurer à l’intérieur des limites du commentaire juste et
équitable et ne pas être diffamatoire, monsieur Harrison estimait que l’article
de monsieur Bruce respectait ces limites.
Le journaliste
Harry Bruce disait pour sa part souhaiter que maître Spiegel et son client
tentent de comprendre la chronique en question dans le contexte des 134 autres
chroniques «All about words» rédigées pour le quotidien The Gazette.
Monsieur Bruce
expliquait que sa chronique traite des abus de la langue anglaise par quelque
personne que ce soit et précisait qu’à ce titre, des personnes de toutes
professions avaient été les cibles de ses chroniques.
Par ailleurs,
rétorquant aux propos de maître Spiegel concernant le fait qu’il n’avait pas
visité les lieux, monsieur Bruce signalait qu’il n’était pas un critique
d’habitation ou d’architecture, mais un critique de la façon dont les gens
utilisent les mots. Il faisait remarquer que les annonces publicitaires en
question étaient là pour être vues par lui et par le monde entier. A ce titre,
et pour les fins de son travail, ces annonces constituaient donc les seuls «lieux»
devant être considérés.
Quant à
l’affirmation à l’effet «qu’il présumait du droit de faire des commentaires en
se basant sur de l’information reçue de ses « agents »», l’intimé précisait
que ses «agents» étaient simplement des lecteurs de sa chronique qui lui
avaient envoyé des coupures des annonces en question parce qu’eux aussi les
considéraient comme «d’abominables exemples d’utilisation publique de
l’anglais».
Monsieur Bruce
terminait en ajoutant «qu’un critique de la cuisine servie dans les restaurants
nomme l’établissement dans lequel il a mangé un mauvais repas, et que les
critiques de théâtre, de musique, d’art, de base-ball ne seraient pas des
critiques s’ils ne nommaient pas les acteurs, musiciens, peintes et lanceurs
dont la performance a été déshonorante». Soulignant qu’il était un critique des
mots, le journaliste était d’avis que maître Spiegel avait tort de suggérer que
son attaque n’était pas provoquée. En fait, cette attaque avait été provoquée
par les annonces publicitaires du Rothchild, au même titre qu’une sculpture
hideuse située dans un parc provoque des attaques de la part du public.
Réplique du plaignant
Répliquant aux
commentaires de monsieur Mark Harrison, rédacteur en chef de The Gazette,
monsieur Spiegel réitérait sa position à l’effet que l’article constituait une
attaque directe contre Le Rothchild Condominiums puisqu’il mentionnait, d’une
part, le nom de la compagnie, et qu’il se terminait, d’autre part, avec
l’affirmation plutôt étrange que «cela prend beaucoup de suffisance, quoi que
cela puisse être, pour imposer de telles quantités de merde aux lecteurs»
[traduction du Conseil].
Monsieur Spiegel
estimait de plus que le contenu et les prétentions de plusieurs publicités
immobilières publiées dans The Gazette étaient semblables à ce qui apparaissait
dans les annonces publicitaires du Rothchild Condominiums. Ces dernières étant
publiées régulièrement dans les hebdomadaires The Suburban et Canadian Jewish
News, maître Spiegel se demandait si le journaliste aurait élaboré une telle
attaque contre un des annonceurs de The Gazette.
Analyse
Les genres journalistiques que constituent la critique et la chronique tiennent davantage de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information. Ils laissent donc à leurs auteurs une grande latitude dans la formulation de leurs jugements, opinions et points de vue. Ces derniers peuvent en effet présenter les faits dans le style qui leur est propre, adopter un ton polémique, et même faire appel à l’humour et à la satire.
Cette latitude ne saurait cependant être absolue, les auteurs de tels articles devant mesurer la portée de leurs écrits de façon à éviter de jeter gratuitement le discrédit sur les personnes ou les groupes concernés.
Compte tenu des principes ci-haut énoncés, le Conseil est d’avis que, dans le cas présent, le journaliste n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en exprimant, comme il l’a fait, son opinion sur la publicité à l’origine de sa chronique.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion