Plaignant
Mme Yolande
Paquette
Représentant du plaignant
Mme Kathy
Touchet (présidente, Taxe $ Action)
Mis en cause
L’Eveil des
deux-rives [Saint-Eustache] et M. Rémi Binette (rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Le rédacteur en
chef de L’Eveil des deux rives, M. Rémi Binette, refuse de faire paraître la
lettre ouverte de la plaignante. Craignant d’être facilement identifiée,
celle-ci a demandé que le journal ne publie que l’initiale de son prénom et son
nom au bas de sa lettre, une exigence à laquelle M. Binette refuse de se
soumettre.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Yolande Paquette contre le rédacteur en
chef de l’hebdomadaire L’Eveil des deux-rives de Saint-Eustache, monsieur Rémi
Binette.
Par l’entremise
de madame Kathy Touchet, présidente de Taxe $ Action Inc., la plaignante
reprochait au rédacteur en chef d’avoir refusé de publier sa lettre dans le courrier
des lecteurs parce qu’elle préférait ne faire précéder son nom que d’une ou
deux de ses initiales plutôt que de son prénom complet.
Madame Toucher
expliquait que la plaignante craignait d’être facilement «repérée ou
identifiée» du fait que la population de la ville se limitait à environ 10 000
habitants et que, par conséquent, le tirage de ce journal local était peu
élevé. Elle indiquait que la plaignante était cependant disposée à laisser ses
coordonnées à la direction du journal.
Signalant qu’elle
avait communiqué avec monsieur Binette à ce sujet, madame Touchet faisait
remarquer que ce dernier avait «expliqué son refus sur ton péremptoire et même
cavalier», et qu’il n’avait «rien voulu entendre» au fait que de grands
journaux acceptaient de publier des lettres sans faire mention du prénom
complet. Madame Touchet disait enfin qu’il lui semblait que monsieur Binette
avait alors «fait preuve d’un zèle excessif».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire, monsieur Rémi Binette,
affirmait qu’il n’avait jamais refusé de publier la lettre de madame Paquette,
mais qu’il avait simplement voulu s’assurer qu’elle avait véritablement écrite
cette lettre.
Monsieur Binette
expliquait que la plaignante avait refusé de se conformer aux exigences de la
direction de la rédaction concernant le courrier des lecteurs. Il faisait
remarquer que la plaignante, par l’intermédiaire de Taxe $ Action, avait dans
un premier temps soumis sa lettre sous un pseudonyme. Ayant refusé de publier
cette lettre et exigé que la plaignante s’identifie, un collègue du rédacteur
en chef, alors absent, avait reçu la même lettre, signée cette fois-ci «M.
Paquette». Le collègue de monsieur Binette avait alors décidé de ne pas publier
ladite lettre avant le retour de ce dernier.
La lettre de
madame Paquette n’ayant donc pas été publiée, monsieur Binette disait avoir
reçu un appel de la présidente de Taxe $ Action, madame Kathy Touchet, le jour
de tombée du journal. Il lui avait alors expliqué «à au moins trois reprises»
la procédure à suivre pour qu’une lettre ouverte soit publiée.
Monsieur Binette
signalait que la procédure exigeant que l’auteur d’une lettre ouverte
s’identifie avec ses prénom, nom, adresse complète et numéro de téléphone,
avait été établie afin de permettre au rédacteur en chef de vérifier
l’authenticité du signataire. Il spécifiait que cette vérification se faisait
en communiquant directement avec le ou la signataire.
Le rédacteur en
chef expliquait qu’un fois cette vérification faite, il publiait avec plaisir
les lettres des lecteurs en identifiant ceux-ci par leurs prénom, nom et
localité. Il précisait que s’il avait pu parler à madame Paquette, il aurait
publié sa lettre en y inscrivant comme signature «Yolande Paquette, ville de
Deux-Montagnes».
Monsieur Binette
ajoutait que ce système de vérification avait été adopté à la suite d’un
incident fâcheux où l’auteur d’une lettre ouverte publiée par le journal avait
utilisé le nom d’un citoyen connu alors que celui-ci n’avait pas écrit ladite
lettre.
Le rédacteur en
chef terminait en se demandant pourquoi l’auteur-e d’une lettre ouverte
pourrait se cacher derrière un mouvement comme Taxe $ Action, alors que les
membres de la rédaction signaient toujours leurs textes lorsqu’ils exprimaient
leur opinion dans un éditorial ou une chronique.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, madame Touchet faisait d’abord remarquer que le fait d’avoir
téléphoné au rédacteur en chef lors d’une journée de tombée du journal ne le
justifiait pas de prendre un «ton cavalier et arrogant».
Elle précisait
par la suite que la signature de «M. Paquette» renvoyait à l’initiale d’un des
prénoms de la plaignante. Madame Touchet rappelait que celle-ci, craignant
d’être identifiée facilement dans sa localité, préférait ne donner qu’une
initiale plutôt que son prénom complet et était disposée à laisser ses
coordonnées au journal.
Madame Touchet
estimait que monsieur Binette «s’appliquait à faire une excès de zèle», puisque
de grands journaux, tel The Gazette, publiaient des lettres ouvertes dont la
signature ne comporte pas un prénom complet.
La présidente de
Taxe $ Action apportait aussi une rectification à l’un des commentaires du
rédacteur en chef à l’effet que la lettre signée sous un pseudonyme avait été
envoyée au journal par l’intermédiaire de son organisme. Elle signalait qu’au
contraire, cette lettre avait été envoyée avant toute intervention de son
organisme dans cette affaire, et que c’était la lettre signée «M. Paquette» que
Taxe $ Action avait fait parvenir au collègue de monsieur Binette.
Madame Touchet
concluait en disant que la procédure exigée par monsieur Binette, ses remarques
exposant les raisons pour lesquelles il exigeait de parler au signataire d’une lettre
afin de s’assurer qu’il ou elle en était l’auteur-e, et l’affirmation à l’effet
qu’il ne voyait pas pourquoi un lecteur pourrait se cacher derrière un
mouvement comme Taxe $ Action alors que les membres de la rédaction de L’Eveil
signaient toujours leurs articles, lui semblaient être «à la fois puériles et
insolentes».
Analyse
Nul ne peut prétendre avoir accès de plein droit au courrier des lecteurs. La décision de publier ou non une lettre relève de la prérogative de l’éditeur, dont les jugements d’appréciation en la matière doivent se fonder sur la responsabilité des médias d’offrir au public une information honnête et équilibrée, et faire preuve d’une ouverte favorisant l’expression de différents points de vue.
Par ailleurs, les journaux doivent identifier les lettres qu’ils publient et s’assurer de l’authenticité de celles-ci. Ils peuvent être justifiés, dans certains cas qui doivent demeurer exceptionnels, de publier des lettres sans en identifier complètement et clairement leurs auteurs. De tels cas d’exception doivent tenir à des raisons sérieuses ayant trait, par exemple, à la sécurité personnelle ou professionnelle d’individus qui ne pourraient, autrement, transmettre des informations d’intérêt public; et même dans ces cas, les médias doivent s’assurer de l’identité des auteurs et de la validation des raisons invoquées par eux pour ne pas publier leur nom.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que l’intimé était parfaitement en droit d’exiger de la plaignante de se conformer à la procédure de l’hebdomadaire concernant le courrier des lecteurs afin qu’il puisse s’assurer qu’elle était bien l’auteure de la lettre. Aucun blâme n’est donc retenu sur cette base.
Les cas d’exception à une identification complète doivent être rares, et le Conseil est d’avis que les raisons invoquées par la plaignante pour ne publier que l’initiale de son prénom en lieu et place de son prénom complet étaient insuffisantes pour justifier une telle exception.
Enfin, le Conseil tient à relever l’allusion du rédacteur en chef à l’effet que la plaignante se «cacherait» derrière Taxe $ Action pour faire valoir ses points de vue dans le journal. A ce sujet, le Conseil ne voit pas d’inconvénient à ce qu’une personne s’exprime dans une lettre ouverte par l’intermédiaire d’un organisme, d’un groupe ou d’une association, à la condition que cette personne et l’instance intermédiaire soient identifiées, et que les vérifications nécessaires aient été faites.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes