Plaignant
M. Jean-Charles
Latour (ex-directeur général, Grand théâtre de Québec)
Mis en cause
CBVT-TV [SRC,
Québec] et M. Jean-Robert Faucher (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jacques-D.
Landry (directeur régional, CBVT-TV [SRC, Québec]) et M. Denis Guénette
(délégué, Syndicat des journalistes de CBVT-TV [SRC, Québec])
Résumé de la plainte
Le 2 novembre
1987, dans un reportage portant sur la nomination d’une nouvelle directrice
générale au Grand théâtre de Québec, le journaliste Jean-Robert Faucher de CBVT
rappelle inutilement que le plaignant a déjà effectué un emprunt à la petite
caisse de cet organisme lorsqu’il occupait les mêmes fonctions. Le journaliste
accorde au plaignant un traitement qui ressemble à celui réservé aux accusés de
crimes graves, alors qu’il a été libéré de toutes les accusations portées
contre lui dans cette affaire.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean-Charles Latour contre le journaliste
Jean-Robert Faucher et Radio-Canada Québec [CBVT] concernant un reportage
diffusé le 2 novembre 1987 au sujet de la nomination de la nouvelle directrice
générale du Grand théâtre de Québec.
Monsieur Latour,
qui était directeur général de cette institution en 1983, disait qu’une partie
importante, tant visuelle que verbale, de ce reportage lui paraissait «abusive»
et contraire à l’éthique journalistique.
Monsieur Latour
signalait qu’en plus d’annoncer cette nouvelle nomination, le reportage
mentionnait qu’il avait effectué un emprunt à la petite caisse du Grand
théâtre, lorsqu’il en était le directeur général, et il se demandait pourquoi
un dossier qui avait été fermé en 1986 était à nouveau abordé sans qu’il ne
soit même indiqué que cet emprunt avait été remboursé la même année.
Il estimait de
plus que l’image accompagnant cette information, un croquis le montrant assis
devant une cour de justice lors de son procès en 1985, relevait du «sort que
l’on réserve la plupart du temps aux accusés de crimes graves».
Ayant été libéré
inconditionnellement des accusations portées contre lui par suite de cette
affaire, le plaignant considérait cette partie du reportage comme «rien de
moins que du harcèlement journalistique» à son égard, d’autant plus que l’on
retrouvait parmi les motifs invoqués par le tribunal pour justifier le jugement
rendu, la publicité dont il avait «fait les frais et les effets désastreux de
cette dernière sur les plans familial, financier et professionnel».
Indiquant qu’il
n’y avait aucun lien direct ou indirect entre cet événement et la nomination de
la nouvelle directrice générale du Grand théâtre, monsieur Latour considérait
qu’une telle référence au passé n’apportait rien à la nouvelle, mais qu’elle
situait plutôt cette nomination en dehors de son véritable contexte tout en lui
causant [à monsieur Latour] un «préjudice important».
Commentaires du mis en cause
Invité à
commenter cette plainte, monsieur Jacques-D. Landry, directeur régional de
Radio-Canada Québec, faisait d’abord remarquer que le reportage du journaliste
Jean-Robert Faucher poursuivait deux objectifs, soit d’annoncer la nomination
d’une nouvelle directrice générale du Grand théâtre, et de situer cette
nomination «dans le contexte pour le moins agité de la question» de cette
institution qui a connu, comme le soulignait Jean-Robert Faucher dans le
reportage, des déboires avec trois de ses six directeurs généraux, dont
monsieur Latour.
Monsieur Landry
estimait que l’information relative au plaignant dans ce reportage était et
demeurait d’intérêt public, puisqu’elle touchait la gestion d’un bien public.
Il ajoutait que
le journaliste n’avait fait que rappeler que monsieur Latour avait emprunté
dans la petite caisse du Grand théâtre, que son successeur avait fait de même,
et qu’un ex-directeur par intérim poursuivait cette institution par suite de
son congédiement, complétant ainsi la «saga administrative» du Grand théâtre et
éclairant la «courte histoire [17 ans] tourmentée» de sa gestion.
Par ailleurs,
concernant la diffusion d’un croquis montrant le plaignant au Palais de
justice, monsieur Landry signalait que les caméras n’ayant pas accès aux cours
de justice, il s’agissait là d’un procédé courant peu importe la gravité de la
poursuite judiciaire.
Monsieur Landry
terminait en mentionnant que le reportage était juste et fondé, et qu’il
«situait une nomination dans le cadre de la gestion générale d’un bien public
qui a connu des ratés ces dernières années et ce, en s’appuyant sur des faits
exacts, publics et d’intérêt public».
Le journaliste
Jean-Robert Faucher et le délégué du Syndicat des journalistes de Radio-Canada
Québec, monsieur Denis Guénette, faisaient pour leur part remarquer, dans une
lettre commune, que ce journaliste avait «bien fait son travail en voulant
mieux renseigner le public».
Ils indiquaient
que les difficultés administratives du Grand théâtre avaient souvent défrayé la
manchette et que les démêlés de trois ex-directeurs généraux avec cette
institution étaient des faits connus du public.
Messieurs
Fauchet et Guénette signalaient qu’avec la nomination d’une nouvelle directrice
générale, il leur était apparu pertinent de rappeler brièvement le passé
administratif du Grand théâtre et de «vérifier si l’administration actuelle avait
pris toutes les mesures nécessaires pour éviter que les erreurs passées ne se
reproduisent».
S’agissant là du
contexte dans lequel le nom de monsieur Latour et celui de son successeur
avaient été mentionnés, le reportage poursuivait en précisant qu’un
resserrement des contrôles administratifs du Grand théâtre avait été constaté
depuis deux ans, et en présentant une confirmation du président du conseil
d’administration de cette institution à cet effet.
Indiquant que le
Grand théâtre était une institution culturelle soutenue par les deniers
publics, et que les faits relatés dans le reportage étaient rigoureusement
exacts, messieurs Guénette et Faucher croyaient que ce dernier avait «agi de
bonne foi et dans l’intérêt du public», et qu’il n’avait eu aucune intention de
nuire à la réputation de monsieur Latour.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur Jean-Claude Latour estimait qu’il était incorrect de
prétendre que le reportage visait à situer la nomination de la nouvelle directrice
générale dans «le contexte pour le moins agité de la gestion du Grand théâtre
de Québec depuis sa création». Si tel était le cas, le plaignant se demandait
pourquoi le journaliste avait débuté son rappel historique en 1983 alors que
d’autres faits avaient déjà perturbé la gestion de cette institution entre 1971
et 1979, dont un «intérim de trois ans marqué de plusieurs départs et
congédiements».
Par ailleurs,
monsieur Latour signalait qu’il n’avait jamais nié qu’il était de l’intérêt
public que l’information sur son dossier soit diffusée par les médias. Il
ajoutait qu’il n’avait jamais commenté publiquement, depuis quatre ans, le
contenu de cette information même si certains médias avaient parfois présenté
une nouvelle incomplète et même erronée.
Il estimait
cependant que l’intérêt public avait été plus que servi en ce qui le
concernait, et rappelait que c’était en partie à cause de cette publicité que
le juge avait décrété une libération inconditionnelle.
Signalant qu’il
n’existait aucun lien de cause à effet entre le départ volontaire du
prédécesseur de la nouvelle directrice générale du Grand théâtre et lui-même,
monsieur Latour réitérait que cette référence au passé constituait rien de
moins que du harcèlement journalistique.
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement particulier relèvent du jugement rédactionnel des journalistes, lesquels doivent exercer ce jugement en fonction du degré d’intérêt public de la nouvelle.
Les professionnels de l’information doivent aussi faire preuve de rigueur et de discernement lorsqu’ils rattachent une nouvelle à un contexte qui s’y rapporte directement ou indirectement afin d’éviter de causer préjudice inutilement à des personnes qui auraient pu être mises en cause dans le passé.
Dans le cas présent, le journaliste était en droit de situer la nomination de la nouvelle directrice générale du Grand théâtre de Québec à l’intérieur de l’histoire de la gestion de cette institution.
Cette question étant d’intérêt public, le Conseil ne peut blâmer le journaliste pour avoir référé aux problèmes que le Grand théâtre avait connus avec certains de ses directeurs généraux précédents.
Le Conseil est cependant d’avis que le reportage aurait pu faire état de ces problèmes sans identifier les personnes qui avaient alors été mises en cause. L’identification de ces dernières ne constituait pas un élément indispensable à la compréhension du reportage et pouvait être susceptible de leur causer préjudice.
Il en va de même du croquis montrant le plaignant devant une cour de justice. Le Conseil considère à cet égard que les professionnels de l’information doivent faire preuve de discernement dans l’utilisation d’images tirées de croquis montrant les personnes impliquées dans des procédures judiciaires qui ont pris fin depuis longtemps.
Analyse de la décision
- C16A Divulgation des antécédents judiciaires
- C16B Divulgation de l’identité/photo
Commentaires des dissidents à propos de la décision
Dissidence de M.
Robert Winters:
Dans le cas
présent, le journaliste était parfaitement en droit de situer, comme il l’a
fait, la nomination de la nouvelle directrice générale du Grand théâtre de
Québec à l’intérieur de l’histoire de la gestion de cette institution.
Cette dernière
question étant d’intérêt public, le journaliste ne peut être blâmé pour avoir référé
aux problèmes que le Grand théâtre avait connus avec certains de ses directeurs
généraux précédents. Partant, je considère que la partie du reportage
concernant le plaignant était acceptable compte tenu du caractère d’intérêt
public de cette information.
Cependant, je me
rallie à mes collègues du Comité à l’effet que les professionnels de
l’information doivent faire preuve de discernement dans l’utilisation d’images
tirées de croquis montrant les personnes impliquées dans des procédures
judiciaires qui ont pris fin, afin d’éviter de causer préjudice inutilement aux
personnes alors mises en cause.
Dissidents
M. Robert
Winters