Plaignant
M. Germain Massé
Mis en cause
Le Soleil
[Québec], M. Marc Saint-Pierre (correspondant) et M, Jacques Dumais (directeur
de l’éditorial)
Représentant du mis en cause
M. Gilbert Athot
(éditeur adjoint et rédacteur en chef par intérim, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Le correspondant
du Soleil sur la Côte-Nord, M. Marc Saint-Pierre, mène une véritable campagne
de dénigrement contre la compagnie Relais Nordik dans une série d’articles
parus en 1986 et 1987. Le journaliste utilise Le Soleil comme un instrument de
vengeance personnelle car Relais Nordik, en instituant un nouveau service de
transport maritime sur la Côte-Nord, n’a pas embauché son beau-père.
Griefs du plaignant
Le Conseil a terminé
l’étude de la plainte de monsieur Germain Massé contre le quotidien Le Soleil
et son correspondant sur la Côte-Nord, monsieur Marc Saint-Pierre, au sujet
d’une série d’articles, parus en 1986 et 1987, sur le nouveau service de
transport maritime des Moyenne et Basse Côte-Nord.
Dans une lettre
ouverte adressée à monsieur Saint-Pierre, monsieur Massé soutenait que cette
série d’articles, rapportant des événements et des réactions entourant
l’arrivée de ce nouveau service, ressemblait plutôt à un «roman-savon», et il
priait le journaliste «d’arrêter ces campagnes de hurlements, d’agressivité et
de contestation» envers la compagnie Relais Nordik qui assurait, depuis le
printemps 1987, cette nouvelle desserte maritime.
Monsieur Massé
considérait que ce service était en tout point supérieur à celui du
prédécesseur de Relais Nordik, la compagnie Logistec Navigation, et ce, malgré
les quelques difficultés du départ attribuables à un bris mécanique et à la
nécessaire période de rodage.
Ajoutant que le
service offert par le Relais Nordik avait fait passer le système de transport
maritime d’un «mode archaïque» à des «méthodes et des procédés modernes et
universels», monsieur Massé indiquait que celui-ci fera en plus économiser cinq
millions de dollars en cinq ans aux contribuables québécois en vertu d’un
contrat accordé par le ministère provincial des Transports.
Monsieur Massé
estimait que monsieur Saint-Pierre ainsi que certains «leaders» de la région
s’employaient à provoquer la population contre tout organisme et toute
corporation qui servent mal leurs intérêts, comme c’était le cas avec la
compagnie Relais Nordik.
De plus,
référant au fait que Relais Nordik n’avait pas retenu les services du beau-père
de monsieur Saint-Pierre qui était à l’emploi de Logistec Navigation en 1987,
monsieur Massé considérait que ce dernier utilisait le journal Le Soleil «comme
moyen de vengeance et instrument personnel» pour tenter de récupérer l’emploi
de son beau-père.
Par ailleurs,
dans une lettre adressée le 17 novembre 1987 au directeur de l’éditorial du
Soleil, monsieur Jacques Dumais, le plaignant rappelait d’abord à ce dernier
qu’il avait communiqué avec lui au sujet de la lettre ouverte qu’il avait fait
parvenir le 29 octobre au journaliste Marc Saint-Pierre.
Indiquant qu’il
avait alors compris que sa lettre ouverte ferait l’objet d’une publication
intégrale dans les jours à venir, monsieur Massé déplorait que celle-ci soit
«demeurée à l’écart» et qu’elle semblait être «vouée à prendre le chemin de la
poubelle».
Monsieur Massé
considérait que monsieur Saint-Pierre «avait manqué à son devoir de journaliste
et avait manqué d’éthique professionnelle», en utilisant «sa plume» et le
journal Le Soleil «pour servir ses intérêts personnels» ainsi que ceux du
président de la Chambre de commerce de Sept-Iles, monsieur Allan Parvu.
Monsieur Massé
soutenait que le journaliste, «voulant récupérer l’emploi de son beau-père»,
s’était fait le «complice» de monsieur Parvu pour «supporter et publiciser» les
propos de ce dernier ainsi que les résultats «douteux» de deux sondages
réalisés par la Chambre de commerce auprès des commerçants septiliens et des
gens de la Basse Côte-Nord.
Note: Les
résultats de ces sondages démontraient, selon un communiqué de la Chambre de
commerce de Sept-Iles, «une insatisfaction complète des services offerts par
Relais Nordik».
Le plaignant
estimait que «pour atteindre ses fins», le journaliste se devait de conclure,
dans un article du 28 octobre, «que le jugement de la Chambre de commerce est
rendu et que le ministère des Transports doit annuler le contrat et demander de
nouvelles soumissions». Il ajoutait que cet article s’additionnait à plusieurs
autres écrits de monsieur Saint-Pierre qui dégageaient «une pareille odeur».
Par ailleurs,
monsieur Massé faisait remarquer que deux lettres adressées au président de
Relais Nordik, et respectivement signées par le maire de Sept-Iles et
l’administrateur de la municipalité de la Côte-Nord du Golfe Saint-Laurent,
signalaient que le service offert par Relais Nordik s’était nettement amélioré.
Monsieur Massé considérait que ces deux personnes étaient, de par leurs
fonctions, sûrement plus représentatives que le président de la Chambre de
commerce et que le journaliste Saint-Pierre. Ajoutant que ces deux dernières personnes
semblaient «utiliser à des fins personnelles des outils, tels la Chambre de
commerce de Sept-Iles et le journal Le Soleil», monsieur Massé croyait que la
population de l’Est du Québec avait été «suffisamment manipulée» et qu’il osait
«croire que Le Soleil n’hésitera pas à choisir l’objectivité au lieu de la
complicité passive».
Le plaignant
considérait enfin que le quotidien, «au lieu de s’associer au club des
grenouilleux, des lamenteux et des réclameux, représenté par quelques individus
en état de désintégration […]», devrait plutôt s’associer et supporter la
majorité de la population qui «veut rebâtir ce beau coin de pays».
Commentaires du mis en cause
Répliquant à
cette plainte, l’éditeur adjoint et rédacteur en chef par intérim du journal Le
Soleil, monsieur Gilbert Athot, disait d’abord qu’il n’avait vu «aucune faute
professionnelle» dans les textes rédigés par le journaliste Marc Saint-Pierre.
Monsieur Athot
expliquait que ce dernier avait donné suite à des déclarations officielles d’un
porte-parole du ministre québécois des Transports, du maire et du président de
la Chambre de commerce de Sept-Iles, et qu’il avait fait état des sondages
commandés et rendus publics par cette dernière, ainsi que d’une pétition ayant
circulé sur la Côte-Nord.
Indiquant que
tout cela lui apparaissait normal, monsieur Athot ajoutait que le journaliste
avait résumé, dans un article publié le 17 novembre, les lettres «positives»
que le maire de Sept-Iles et l’administrateur de la municipalité de la
Côte-Nord du Golfe Saint-Laurent avaient fait parvenir au président de Relais
Nordik concernant leur nouveau service de transport.
Monsieur Athot
répondait ensuite à l’allusion du plaignant à l’effet que le journaliste se
trouvait en situation de conflit d’intérêts du fait que Relais Nordik n’avait
pas retenu les services de son beau-père, qui était à l’emploi du service
maritime précédemment assuré par Logistec Navigation. Précisant que la
direction et les journalistes du Soleil avaient toujours accordé une grande importance
à la question des conflits d’intérêts dans le cadre de leurs activités
professionnelles, monsieur Athot faisait remarquer que les journalistes ne
pouvaient pas «toujours s’abstenir de traiter les informations qui, en théorie,
peuvent toucher directement ou indirectement des membres de leur famille»,
d’autant plus que dans ce cas-ci, monsieur Marc Saint-Pierre «est le seul
journaliste du Soleil sur la Côte-Nord».
Monsieur Athot
considérait que la situation n’était donc pas aussi simple que le plaignant le
prétendait et que tout en reconnaissant l’aspect délicat du problème que ce
dernier avait soulevé, il continuait de croire que le journaliste avait «fait
son travail de façon professionnelle dans les circonstances particulières
qu’impliquait ce dossier».
En réponse à
cette plainte, le journaliste Marc Saint-Pierre apportait pour sa part quelques
explications sur le contexte du transport dans la région de la Côte-Nord. Il
faisait remarquer que la Côte-Nord, comme toute région éloignée, était «préoccupée
au premier chef par le transport», et que les grands transporteurs maritimes et
aériens tenaient lieu d’autoroutes dans de telles régions.
Il indiquait que
c’était dans ce contexte que Relais Nordik était «ciblée» par les médias, y
compris par Le Soleil, et que «toute déclaration émanant de sources
représentatives du milieu ou des transporteurs est perçue comme étant d’intérêt
public et traitée selon ses mérites».
Monsieur
Saint-Pierre ajoutait enfin que la compagnie Québecair avait elle aussi été l’objet
de l’attention des médias de la Côte-Nord et du Soleil, et il faisait remarquer
qu’à ce qu’il «sache», il n’avait pas de beau-père à l’emploi de Québecair ou
de belle-soeur à Inter-Canadien.
Quant à la
publication de la lettre ouverte que le plaignant avait adressée au journaliste
Marc Saint-Pierre, le directeur de l’éditorial du Soleil, monsieur Jacques
Dumais, signalait que des extraits de cette lettre avaient été publiés le 22
novembre et qu’il n’avait été nullement question, comme le plaignant le disait,
de faire prendre à celle-ci «la direction de la poubelle».
Monsieur Dumais
expliquait que le délai pour la publication de cette lettre «était de nature
strictement éditoriale» du fait que, selon la «coutume du Soleil», le
regroupement des lettres sur le même sujet dans une même page était favorisé.
Quant à la
remarque du plaignant à l’effet qu’il avait compris que sa lettre «ferait
l’objet d’une publication intégrale dans les jours à venir», monsieur Dumais
indiquait qu’il n’avait pu «promettre quoi que ce soit», puisqu’au moment de
l’entretien qu’il avait eu avec le plaignant, il n’avait pas encore lu ladite
lettre. Il signalait qu’après avoir pris connaissance de celle-ci, elle lui
avait semblé beaucoup trop longue pour la publier intégralement.
Monsieur Dumas
considérait enfin que la lettre du plaignant «comportait de très graves
accusations personnelles à l’endroit du journaliste» et que le Conseil de
presse lui apparaissait incontestablement plus approprié qu’une tribune des
lecteurs pour «juger de l’éthique d’un journaliste, sans parti pris aucun…».
Réplique du plaignant
En guise de
réplique dans ce dossier, le plaignant, monsieur Germain Massé, répondait aux
commentaires de l’éditeur adjoint et rédacteur en chef par intérim du journal
Le Soleil, monsieur Gilbert Athot.
Le plaignant
signalait qu’il avait été informé, contrairement aux informations fournies par
monsieur Athot, que le beau-père du journaliste Marc Saint-Pierre n’était plus
à l’emploi de la compagnie Logistec Navigation depuis le début de l’année 1987.
Référant aux
liens de parenté du journaliste, monsieur Massé faisait remarquer que monsieur
Athot avait admis que la situation était délicate et qu’il avait même ajouté
que la belle-soeur du journaliste travaillait pour Relais Nordik.
Monsieur Massé
estimait que devant «autant de contrariétés et de conflits d’intérêts»,
monsieur Athot aurait dû conseiller à monsieur Marc Saint-Pierre de laisser le
journaliste du Soleil à Rimouski, monsieur Jean Didier Fessou, «traiter ce
dossier, ce qui aurait respecté le principe de la transparence et de
l’objectivité».
Commentaires des tiers
Egalement invité
à commenter cette plainte, l’administrateur de la municipalité de la Côte-Nord
du Golfe Saint-Laurent, monsieur Richmond Monger, soulignait qu’il ne
cautionnait «de quelque façon les propos excessifs et injurieux» du plaignant à
l’endroit du journaliste Saint-Pierre et du président de la Chambre de commerce
de Sept-Iles, monsieur Allan Parvu. Monsieur Monger considérait que ces deux
personnes avaient agi le «plus honnêtement possible dans l’exercice de leur
fonction respective».
Estimant que le
journaliste avait effectué son travail sans se livrer à des attaques
pernicieuses contre qui que ce soit, monsieur Monger ajoutait que de la mi-mai
à la mi-septembre 1987, plusieurs étaient unanimes «à des degrés divers, à
dénoncer la piètre qualité du transport maritime en Basse Côte-Nord» et qu’ils
n’étaient pas «tous le gendre de monsieur Untel!»
Monsieur Monger
indiquait qu’il ne pouvait s’associer aux propos «presque diffamatoires» du
plaignant à l’égard du journaliste Marc Saint-Pierre, «surtout lorsque ces
propos vont jusqu’à porter atteinte à la réputation des membres de sa famille».
Il considérait enfin
que monsieur Saint-Pierre avait contribué «à sa façon, à une meilleure
prestation du service maritime en Basse-Côte, donc à une meilleure qualité de
vie des concitoyens[ennes]».
Le président de
la Chambre de commerce de Sept-Iles, monsieur Allan Parvu, disait pour sa part
qu’il était important de comprendre le contexte dans lequel toute la polémique
autour des services de Relais Nordik avait vu le jour.
Indiquant qu’il
n’y avait pas de route reliant les villages de la région de la Basse Côte-Nord,
monsieur Parvu faisait remarquer que «tout ce qui est nécessaire à la vie
quotidienne doit parvenir à chacun de ces villages par l’entremise de la
desserte maritime». Il ajoutait que la Basse Côte-Nord faisait affaire de façon
substantielle avec les commerçants de Sept-Iles et signalait à cet égard que
«les livraisons en provenance de Sept-Iles vers la Basse Côte-Nord constitue
presque 50% du tonnage transporté» par le service maritime.
Monsieur Parvu
soulignait de plus le fait que les commerçants de Terre-Neuve faisaient
concurrence, depuis plusieurs années, aux commençants de Sept-Iles et que les
premiers, bénéficiant «d’un service de traversiers et de livraison maritime
complètement subventionné par le gouvernement fédéral», obtenaient des tarifs
de livraison «nettement inférieurs» à ceux de Sept-Iles ou Rimouski. Il
s’avérait donc d’une «importance capitale» que les marchandises des commerçants
de Sept-Iles «puissent être livrées à leurs clients sur la Basse-Côte moyennant
des tarifs raisonnables, dans des délais acceptables, et en bonne condition».
La compagnie
Relais Nordik ayant connu certains problèmes lors de son entrée en service,
tels que des retards et des bris de marchandises, monsieur Parvu expliquait que
les commerçants de Sept-Iles, membres de la Chambre de commerce, avaient alors
commencé à se plaindre de «façon systématique» des problèmes qu’ils avaient
avec cette compagnie.
Ajoutant qu’il
n’existait pas de chambre de commerce sur la Basse Côte-Nord, monsieur Parvu
indiquait que les gens de cette région s’étaient «également adressés à la
Chambre de commerce de Sept-Iles pour véhiculer leurs plaintes quant aux
services de Relais Nordik». La Chambre de commerce de Sept-Iles avait par
conséquent agi «comme courroie de transmission et comme groupe de pression», le
«seul but recherché par les interventions» de celle-ci étant une amélioration
des services de Relais Nordik.
Par ailleurs, en
ce qui concerne le sondage effectué par la Chambre de commerce et qui
démontrait un taux d’insatisfaction élevé envers le service de Relais Nordik,
monsieur Parvu faisait remarquer que ce n’était pas la Chambre qui parlait,
«mais bien les utilisateurs de Relais Nordik».
Indiquant que
«tout le branle-bas entourant les service de Relais Nordik» n’avait pas échappé
à l’attention des médias locaux, monsieur Parvu ne voyait pas de quelle façon
le journaliste Marc Saint-Pierre avait pu manquer d’objectivité dans ses
reportages, puisqu’il s’était contenté de «rapporter les faits tels qu’ils se
sont déroulés».
Il affirmait
enfin que s’il y avait eu de blâmer monsieur Saint-Pierre, «il y aurait lieu de
blâmer tous les autres journalistes qui ont traité du dossier Relais Nordik».
Monsieur Parvu ajoutait par conséquent que la Chambre de commerce de Sept-Iles
était «complètement en désaccord» avec l’interprétation des faits suggérés par
le plaignant.
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement particulier relèvent du jugement rédactionnel des professionnels de l’information, lequel jugement doit être exercé de façon à renseigner le public le plus justement possible sur les questions d’intérêt public.
Ceux-ci doivent par ailleurs éviter tout parti pris en se faisant les promoteurs de la position de certains intervenants impliqués dans des événements qu’ils rapportent.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que le journaliste n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en rapportant, comme il l’a fait, les événements et les réactions entourant le nouveau service de transport maritime des Moyenne et Basse Côte-Nord.
Le Conseil estime que les articles d’information soumis à son attention ne peuvent être considérés comme l’expression d’un parti pris de la part de leur auteur, ces textes rapportant les opinions et les interventions défavorables et favorables à l’égard du service de Relais Nordik.
Par ailleurs, le Conseil ne peut retenir, autrement que par voie de procès d’intention, l’argument du plaignant à l’effet que les liens de parenté existant entre un employé du prédécesseur de Relais Nordik et le journaliste aient pu influencer la teneur des articles rédigés par ce dernier.
Aucun blâme n’est donc retenu contre les défendeurs.
Analyse de la décision
- C13A Partialité
- C22F Liens personnels
Tiers
M. Richmond
Monger (administrateur, municipalité de la Côte-Nord du Golfe Saint-Laurent) et
M. Allan Parvu (président, Chambre de commerce de Sept-Iles)