Plaignant
Le Syndicat des
pisciculteurs du Québec
Représentant du plaignant
M. Jacques
Bonneau (secrétaire, Syndicat des pisciculteurs du Québec)
Mis en cause
Le Soleil
[Québec] et M. André Bellemare (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Gilbert Athot
(éditeur adjoint et rédacteur en chef par intérim, Le Soleil [Québec])
Résumé de la plainte
Dans des articles
publiés par Le Soleil en octobre 1987, le journaliste André Bellemare affirme à
tort qu’une consultation organisée par deux ministères provinciaux s’est
déroulée à huis clos, alors qu’un communiqué de presse diffusé sur le réseau
Telbec invitait les journalistes à y participer. Le journaliste utilise sa
chronique pour faire valoir son seul point de vue au sujet d’un projet de
commercialisation de l’ombre de fontaine d’élevage.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte du Syndicat des pisciculteurs du Québec contre le
journaliste André Bellemare et le quotidien Le Soleil au sujet d’articles,
publiés en octobre 1987, concernant la tenue d’une consultation des ministères
de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec [MAPAQ] et du
Loisir, de la Chasse et de la Pêche [MLCP] relativement au projet
gouvernemental de commercialiser l’ombre de fontaine d’élevage pour la
consommation.
Le Syndicat, par
l’entremise de son secrétaire, monsieur Jacques Bonneau, reprochait d’abord au
journaliste d’avoir publié une information inexacte en affirmant que cette
consultation gouvernementale s’était déroulée à huis clos, alors qu’un
communiqué de presse diffusé sur le réseau Telbec invitait les journalistes à
participer à cette rencontre consultative, et que le MAPAQ avait fait parvenir
aux quotidiens et aux hebdomadaires, un cahier de presse résumant des sondages
réalisés pour le gouvernement par des firmes indépendantes sur ledit projet.
Sans reprocher
au journaliste d’être contre le projet de commercialisation, monsieur Bonneau
s’objectait ensuite au fait que ce dernier utilisait sa chronique pour ne faire
valoir que son point de vue, démontrant ainsi sa partialité dans le traitement
de l’information concernant ce dossier.
Monsieur Bonneau
reprochait de plus au quotidien Le Soleil de «permette et de tolérer un tel
comportement» de la part de l’un de ses journalistes. Ajoutant que les seules
informations publiées à ce jour par le journal étaient celles de monsieur
Bellemare ainsi qu’un seul article rapportant la position d’un organisme en
faveur du projet, monsieur Bonneau signalait avoir réclamé, lors d’une
rencontre avec certains responsables du journal, que celui-ci «fasse également
connaître les informations qui sont favorables au projet».
A l’appui de ses
griefs, monsieur Bonneau citait l’intervention d’un autre journaliste, monsieur
Laurent Laplante de CBV-Québec, qui protestait, dans le cadre de l’émission
radiophonique «Ici Québec» du 21 octobre 1987, contre certains propos contenus
dans les chroniques de monsieur Bellemare.
Monsieur
Laplante contestait, entre autres, l’affirmation du journaliste du Soleil à
l’effet que cette consultation s’était tenue à huis clos, compte tenu que la
caméra d’une station de télévision, des journalistes et lui-même étaient
présents à cette réunion.
Il déplorait de
plus l’affirmation de monsieur Bellemare à l’effet que cette consultation
constituait une «sinistre farce» du fait que la majorité des groupements
invités étaient favorables au projet. Monsieur Laplante indiquait que ces
groupements représentaient un nombre important d’individus, dont les six
millions de consommateurs du Québec, et qu’à ce titre, cette consultation
n’était pas «bidon» comme le laissait entendre le journaliste. Monsieur Laplante
considérait enfin que ces affirmations étaient «profondément malhonnêtes» et
que cela était «honteux comme journalisme».
Commentaires du mis en cause
En réponse à la
plainte du Syndicat des pisciculteurs, monsieur Gilbert Athot, éditeur adjoint
et rédacteur en chef par intérim du Soleil, disait d’abord avoir été
«estomaqué» de constater que la résolution du conseil d’administration du
Syndicat à l’effet de déposer une plainte au Conseil de presse avait été
adoptée seulement deux jours après la rencontre entre les représentants de cet
organisme et ceux du Soleil. Monsieur Athot considérait que le Syndicat avait
fait une «démarche quelque peu piégée» auprès du journal en déposant cette
plainte avant que ce dernier ait communiqué sa réponse sur l’objet de la rencontre.
Par ailleurs,
monsieur Athot admettait que le journaliste André Bellemare était contre la
commercialisation de l’omble de fontaine d’élevage. Il signalait cependant
qu’une chronique du journaliste, publiée le 26 octobre, rapportait les
principales conclusions d’un sondage gouvernemental en faveur de cette
commercialisation.
Monsieur Athot
ajoutait qu’un chroniqueur était parfaitement en droit de donner son opinion
sur les sujets qu’il traitait, et que cette opinion n’avait «rien à voir avec
les responsables ou les reporters de la rédaction qui l’emploie». Monsieur
Athot faisait remarque, à ce titre, que le journal avait publié, tel que
précisé par le plaignant, un reportage sur l’Association des restaurateurs du
Québec et la commercialisation de l’omble de fontaine d’élevage dans sa section
«Bonne chère».
Le journaliste
André Bellemare, dans une lettre adressée à monsieur Laurent Laplante en
réponse aux commentaires exprimés par ce dernier dans son émission du 21
octobre, soutenait que la réunion de consultation s’était tenue à huis clos. Il
signalait d’abord, à cet égard, qu’un de ses informateurs gouvernementaux lui
avait appris que le MAPAQ «profitait [du fait qu’il était] en excursion de
chasse pour tenir une réunion à huis clos», les 14 et 15 octobre, concernant le
projet de commercialisation l’omble de fontaine d’élevage.
Monsieur
Bellemare expliquait que cet informateur lui avait remis copie d’un rapport,
daté du 28 septembre, et dans lequel le MLCP indiquait que le MAPAQ l’avait
informé que les chroniqueurs de chasse et pêche, qui seraient alors occupés à
leurs activités professionnelles sur le terrain en raison de la saison de la
chasse, ne seraient pas invités à titre d’observateurs lors de cette
consultation, mais que des renseignements leur seraient fournis à la suite de
cette réunion. «Si toutes ces manigances du MAPAQ ne sont pas une volonté ferme
de « consulter » à huis clos», monsieur Bellemare se demandait alors
comment celles-ci devaient être qualifiées.
Le journaliste indiquait
qu’avant même son départ pour son excursion de chasse, il savait que le MAPAQ
tiendrait une consultation à huis clos, et qu’il avait rédigé, dès le 13
octobre, un entrefilet à ce sujet.
Il ajoutait que
des gens du domaine de la pêche et de la chasse sportives l’avaient informé,
pendant son absence, que les groupements dont ils étaient membres avaient été
invités «in extremis» à cette consultation, et qu’ils avaient été «prévenus
qu’ils pourraient discuter en toute liberté puisque «les journalistes»
n’avaient pas été invités».
Quant à
l’invitation lancée par le MAPAQ dans un communiqué de presse sur le réseau
Telbec, monsieur Bellemare indiquait qu’elle ne lui était évidement jamais parvenue
du fait qu’il était déjà en forêt au moment de sa diffusion le 14 octobre.
Enfin, en
réponse aux commentaires radioffusés de monsieur Laplante à l’effet que des
journalistes étaient présents à cette réunion, monsieur Bellemare s’en prenait
au fait que celui-ci n’avait pas signalé à ses auditeurs qu’il était présent à
cette consultation à titre de modérateur des débats et non à titre de
journaliste, «comme pour prouver que la presse était admise durant la réunion».
Monsieur
Bellemare disait de plus avoir appris que des représentants du MAPAQ «auraient
décidé de [le] « boucher » en invitant, à la toute dernière minute, des
journalistes à réaliser des entrevues» durant la journée du 15 octobre.
Réplique du plaignant
En réponse aux
commentaires des défendeurs, le secrétaire du Syndicat des pisciculteurs du
Québec, monsieur Jacques Bonneau, contestait d’abord l’affirmation de l’éditeur
adjoint et rédacteur en chef par intérim, monsieur Gilbert Athot, à l’effet que
le Syndicat avait fait une «démarche quelque peu piégée» du fait que son
conseil d’administration avait résolu, deux jours après la rencontre entre ses
représentants et Le Soleil, de porter plainte au Conseil de presse.
Monsieur Bonneau
expliquait, à ce sujet, que les administrateurs du Syndicat, se réunissant en
séance régulière seulement quatre à cinq fois par année, avaient profité d’une
réunion qui avait déjà été convoquée pour «donner les mandats nécessaires au
secrétaire afin qu’il soit en mesure d’agir pour et au nom de l’organisme dans
des délais raisonnables» relativement à ce dossier.
Monsieur Bonneau
faisait remarquer que le Syndicat avait attendu les conclusions de cette
rencontre pendant vingt jours avant de porter la plainte au Conseil de presse,
et que ce délai avait été jugé «suffisant pour permettre au journal Le Soleil
de publier une information plus complète sur les résultats de la consultation».
N’ayant toujours pas reçu les conclusions et les décisions du journal, monsieur
Bonneau indiquait que le Syndicat n’acceptait pas que sa «bonne foi soit mise
en doute dans ce dossier».
Par ailleurs, en
ce qui concerne la chronique du 26 octobre faisant état des principaux
résultats de sondages sur le projet de commercialisation, monsieur Bonneau
reconnaissait avoir omis d’inclure cet article dans la plainte déposée au
Conseil. Il faisait remarquer cependant que cette omission n’était pas
volontaire et que même s’il avait pris connaissance dudit article, le contenu
de celui-ci n’aurait pas été suffisant pour empêcher le Syndicat de porter
plainte.
Monsieur Bonneau
répliquait ensuite à certains des commentaires du journaliste André Bellemare
exprimés dans la lettre adressée à monsieur Laurent Laplante de CBV-Québec. Il
soulignait d’abord que Le Soleil, tout comme les autres quotidiens, avait reçu
le communiqué diffusé le 14 octobre sur le réseau Telbec, et que malgré
l’absence de monsieur Bellemare, le journal n’avait pas jugé bon de faire
couvrir l’événement par quelqu’un d’autre de la salle de rédaction.
Monsieur Bonneau
estimait de plus que l’expression «consultation à huis clos», utilisée par monsieur
Bellemare, était «abusive et inappropriée». Il expliquait que le MAPAQ et le
MLCP avaient consulté les organismes qu’ils «croyaient les plus aptes à fournir
un avis» sur le sujet de la commercialisation de l’omble de fontaine, et que
cette consultation était basée sur le même principe que les commissions
parlementaires. Il ajoutait que ces dernières ne se faisaient pas pour autant à
huis clos, bien que les participants s’y rendent sur invitation.
Monsieur Bonneau
considérait donc que le journaliste ne connaissait pas le sens de l’expression
«à huis clos», ou bien qu’il s’en servait «sciemment sachant qu’il manipule les
faits et utilise un ton démagogique pour faire triompher son point de vue».
Il se disait
enfin conscient «que les journalistes assignés aux activités de plein air et de
chasse et pêche sont souvent chargés de diffuser les informations et de fournir
les commentaires en rapport avec ces informations». Il considérait par
conséquent que ce «double rôle devrait en principe exiger du journaliste qu’il
prenne un soin scrupuleux à éviter de ne publier que ses seules opinions».
Commentaires des tiers
Invité à
commenter cette plainte, le journaliste Laurent Laplante disait d’abord avoir
protesté, dans son émission du 21 octobre, contre certains propos qui lui
paraissaient contraires à la vérité et contraires à ce que le journaliste André
Bellemare savait être la vérité.
Monsieur
Laplante faisait ensuite remarquer que l’expression «huis clos» n’avait pas
tous les sens que certains lui imputaient. Donnant l’exemple d’une commission
parlementaire, il indiquait que celle-ci pouvait n’inviter que certains
groupes, mais qu’elle n’était pas pour autant considérée à huis clos. Il en
allait de même d’une enquête préliminaire comportant une ordonnance de
non-publication et qui n’empêchait en rien la presse ou le public d’y assister.
Monsieur
Laplante ajoutait que «n’importe quel journaliste un peu alerte et un tant soit
peu expérimenté sait depuis longtemps qu’il peut et doit présumer que toute
assemblée est publique tant qu’on ne lui en interdit pas l’accès. Une fois sur
mille, on lui fermera la porte sur les doigts; 999 fois sur mille, il
obtiendra, qu’on l’ait formellement invité ou non, le droit d’assister à la
réunion».
En ce qui
concerne la consultation sur la commercialisation de l’omble de fontaine
d’élevage, monsieur Laplante affirmait qu’il n’avait jamais entendu parler d’un
quelconque huis clos. Ne sachant pas si les journalistes présents à cette
réunion avaient été invités formellement, journalistes qui, comme lui, avaient
«le droit de tout noter, de tout filmer», il savait «en revanche» qu’il avait
pu parler de ces réunions consultatives en ondes, «avant, pendant et après leur
déroulement sans qu’on [l’] invite à la discrétion».
Par ailleurs,
monsieur Laplante indiquait qu’il avait participé à ces consultations à titre
de modérateur, tout comme il l’avait fait à l’occasion de divers congrès et
colloques. Il faisait remarquer que ce rôle était fréquemment dévolu à des
journalistes, et que le prérequis essentiel était de «maintenir la balance
égale entre les parties et de ne pas chercher à promouvoir une thèse».
Enfin, monsieur
Laplante signalait que le secteur «chasse et pêche», tel que vécu par les
journaux, présentait la particularité que les journalistes attachés à ce
secteur étaient le plus souvent chargés à la fois de l’information et du
commentaire. Il en déduisait «comme corollaire» que ceux-ci devaient «veiller
scrupuleusement à ne pas diffuser seulement leurs opinions».
Analyse
L’attention que les journalistes et les médias décident de porter à un sujet ou à un événement particulier relève de leur jugement rédactionnel. Ces derniers doivent toutefois exercer ce jugement en fonction du degré d’intérêt public de la nouvelle.
Par ailleurs, les chroniqueurs jouissent d’une grande latitude dans l’expression de leurs opinions et de leurs jugements. Cette latitude ne les soustrait cependant pas aux exigences de rigueur et d’exactitude attachées à leur rôle et à leur responsabilité de professionnels de l’information. Ils doivent donc informer adéquatement les lecteurs de la nature des événements commentés, et veiller à ne pas déformer les faits ou leur donner une signification qu’ils n’ont pas.
Dans le cas présent, sans remettre en question le droit du chroniqueur d’exprimer ses opinions sur la consultation du MAPAQ et du MLCP sur le projet de commercialiser l’omble de fontaine d’élevage, le Conseil est d’avis que l’expression «à huis clos», utilisée par ce dernier, était inexacte dans le contexte des événements commentés, compte tenu qu’une invitation à la presse avait bel et bien été diffusée sur le réseau Telbec à cet égard.
Par ailleurs, à la lumière du matériel qui lui a été soumis, le Conseil estime que le journal ne peut être accusé de partialité dans cette affaire, puisqu’il a fait état dans ses pages des différents points de vue exprimés dans le cadre de ce débat.
Analyse de la décision
- C11H Terme/expression impropre
- C13A Partialité
Tiers
M. Laurent
Laplante (journaliste, CBV-AM [SRC, Québec])