Plaignant
M. Pierre
Tremblay (candidat, élections municipales de Ste-Anne-des-Plaines)
Mis en cause
Le
Courrier-de-Groulx [Sainte-Anne-des-Plaines] et M. André-Gilles Lauzon
(journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Lise
Blouin-Dallosto (présidente et éditrice, Le Courrier-de-Groulx
[Sainte-Anne-des-Plaines]
Résumé de la plainte
Dans son édition
du 27 septembre 1987, Le Courrier-de-Groulx publie un article qui mentionne la
présence de nombreux sympathisants à un événement politique, avant même que
celui-ci ne se soit déroulé. De plus, le journal attend le jour du scrutin
municipal à Sainte-Anne-des-Plaines pour faire état du programme électoral de
l’équipe du maire sortant, alors que ce programme a été rendu public quatre
semaines auparavant. Finalement, le journaliste André-Gilles Lauzon déforme le
discours de défaite du plaignant, candidat à ces élections, dans un article
publié le 8 novembre sous le titre «A Ste-Anne-des-Plaines, Jean-Marc Nepveu
réélu facilement».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Pierre Tremblay, candidat défait aux
élections municipales de Sainte-Anne-des-Plaines, contre le journaliste
André-Gilles Lauzon et l’hebdomadaire Le Courrier-de-Groulx.
Le plaignant considérait
que le journal avait manqué à l’éthique en publiant, le 1er novembre 1987, jour
du scrutin, un article en «faveur» de l’équipe du maire sortant, monsieur
Jean-Marc Nepveu, autre candidat aux élections municipales.
Monsieur
Tremblay notait de plus que cet article faisait état d’un communiqué remis, le
27 septembre 1987, par l’équipe Nepveu lors d’un déjeuner de presse. Il se
demandait pourquoi Le Courrier-de-Groulx avait attendu le jour des élections
pour le transmettre, alors qu’un autre hebdomadaire local, Le Bruchésien,
l’avait publié peu après la tenue de cet événement.
Par ailleurs,
monsieur Tremblay s’en prenait à la façon dont le bref discours de défaite
qu’il avait prononcé le soir de l’élection avait été rapporté par Le
Courrier-de-Groulx. Il considérait que le journaliste André-Gilles Lauzon avait
interprété ses paroles de façon erronée en écrivant, le 8 novembre 1987, qu’il
avait «eu des mots très durs à l’endroit des élus» et que «la population aura à
payer cher son geste».
Monsieur Tremblay
faisait remarquer qu’un autre média local, Le Nord-Info, avait interprété ses
propos de façon plus honnête en rapportant qu’il s’était montré «respectueux de
la décision populaire», ce qui était, selon le plaignant, «loin d’être des
menaces faites envers la population».
Monsieur
Tremblay indiquait qu’il n’avait obtenu aucune réponse à la demande écrite
qu’il avait adressée à la direction du Courrier-de-Groulx de publier, en se
référant à l’enregistrement fait par le journaliste, les termes exacts de son
allocution.
Indiquant enfin
que le journal publiait occasionnellement des avis de la municipalité
concernant des changements de zonage ou des amendements aux règlements
municipaux, le plaignant se demandait quel intérêt, autre que pécuniaire, le journal
pouvait avoir pour «manipuler ainsi l’information locale ou diffuser de
l’information erronée». Monsieur Tremblay estimait que les contribuables
payaient pour la publication de ces avis et qu’ils avaient donc droit à une
information municipale honnête.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, le journaliste André-Gilles Lauzon considérait que monsieur
Tremblay mélangeait les notions d’éthique journalistique, de droit du public à
l’information, d’équité et de traitement de l’information.
Au reproche de
monsieur Tremblay d’avoir publié, le jour de l’élection, un texte en faveur du
maire sortant Jean-Marc Nepveu, monsieur Lauzon admettait que l’information
avait été en partie recueillie lors du déjeuner de presse du 27 septembre 1987,
mais indiquait aussi que d’autres informations avaient été obtenues lors de
rencontres subséquentes qu’il avait eues avec le maire.
Pour justifier
la publication de ce texte le jour même du scrutin, monsieur Lauzon s’en
rapportait aux contraintes du métier telles que le manque d’espace et «les
articles jugés plus urgents». Il ajoutait de plus qu’il y avait trois autres
élections municipales dans la région à ce moment-la.
Le journaliste
indiquait qu’il aurait «bien voulu respecter une certaine équité et publier un
texte» sur la Relance économique, le parti de monsieur Tremblay, mais
considérait qu’il aurait «fallu» que ce dernier «convoque la presse ou à tout
le moins se rende disponible pour répondre à la presse». Il ajoutait que «si M.
Tremblay avait dépensé autant d’énergies à communiquer avec la presse qu’il ne
le fait maintenant pour obtenir réparation, il aurait certes eu droit au
traitement qu’il exige aujourd’hui».
Le journaliste
expliquait par ailleurs que le déjeuner de presse de l’équipe Nepveu «portait
essentiellement sur sa brochette de candidats à l’élection et que son programme
électoral était relégué au second plan». Par conséquent, il avait décidé de
faire paraître un texte sur la composition de cette équipe dans l’édition
suivant le déjeuner de presse et de «remettre à plus tard un texte sur son
programme», lequel n’avait pu paraître avant le jour du scrutin pour les
raisons déjà mentionnées.
Monsieur Lauzon
faisait de plus remarquer que cet article ne provenait pas d’un communiqué de
presse, «mais plutôt d’informations glanées auprès des candidats».
Il considérait
important de mentionner la rareté des rapports entre les journalistes et
l’équipe de monsieur Tremblay durant la campagne électorale. Il signalait à cet
effet que monsieur Tremblay avait distribué à la population son programme et la
liste des candidats de son parti avant l’annonce officielle en conférence de
presse, en plus d’avoir donné ces informations en primeur au journal Le
Bruchésien. Il indiquait que «malgré ce peu d’attention» à l’égard du
Courrier-de-Groulx, celui-ci avait tout de même fait un compte rendu de la
conférence de presse dans son édition suivante.
Aux affirmations
du plaignant à l’effet qu’il avait mal interprété les paroles de son discours de
défaite, monsieur Lauzon répondait en comparant son article à celui paru le 3
novembre 1987 dans le Nord-Info. Il en arrivait à la conclusion que les deux
articles se ressemblaient «étrangement».
A l’appui de ses
arguments, monsieur Lauzon citait l’extrait suivant de l’article du Nord-Info:
«A force de
dépenser, l’administration Nepveu finira bien par être obligée d’augmenter les
taxes, de dire M. Tremblay. L’abcès va crever et les gens vont se réveiller».
Le chef de la Relance économique s’est dit toutefois respectueux de la décision
populaire, ajoutant que sans la présence de son équipe, cette élection en
aurait été une de lâches.
Le journaliste
expliquait que lorsqu’il mentionnait dans son article que monsieur Tremblay
avait eu des mots très durs à l’endroit des élus, il faisait alors allusion à
la remarque de ce dernier à l’effet que «cette élection en aurait été une de
lâches». D’autant plus, ajoutait-il, qu’il aurait été «de bonne guerre de
féliciter les nouveaux élus le soir d’une élection»; ce que monsieur Tremblay
n’avait pas fait.
Quant au fait
qu’il avait écrit que «la population aura à payer cher son geste», monsieur
Lauzon indiquait qu’il avait résumé ainsi l’idée de monsieur Tremblay
concernant la hausse de taxes. Il n’était donc nullement question de «menaces
faites envers la population», comme le prétendait le plaignant.
Monsieur Lauzon
ne s’expliquait donc pas pourquoi monsieur Tremblay lui adressait des reproches
et qu’il estimait que le journaliste du Nord-Info avait rapporté ses propos
honnêtement.
En ce qui
concerne l’enregistrement auquel le plaignant faisait référence dans sa requête
auprès de la direction du Courrier-de-Groulx, monsieur Lauzon indiquait qu’il
ne savait pas de quoi le plaignant parlait, puisqu’il n’utilisait que rarement
le magnétophone. Monsieur Lauzon ajoutait qu’il n’avait pas répondu à la
demande du plaignant, parce qu’il estimait avoir bien rempli son devoir. Il
faisait remarquer cependant qu’il avait tenté sans succès de rejoindre ce
dernier par téléphone à ce sujet.
Le journaliste
considérait par ailleurs que le plaignant allait très loin lorsqu’il suggérait
que le choix rédactionnel du Courrier-de-Groulx était conditionné par la
publication d’avis publics de la ville de Sainte-Anne-des-Plaines.
Répliquant que
le service de la publicité n’intervenait pas dans les choix rédactionnels du
journal, monsieur Lauzon ajoutait que Le Courrier-de-Groulx n’avait publié que
deux ou trois avis publics au cours des dernières années, parce que la ville de
Sainte-Anne-des-Plaines plaçait la quasi totalité de ses avis publics dans deux
autres journaux. Il signalait aussi qu’aucun parti politique municipal n’avait
réservé d’espace publicitaire dans son journal pendant la campagne électorale.
Monsieur Lauzon
considérait enfin que monsieur Tremblay lui reprochait, en fait, «d’avoir
informé les citoyens, d’avoir mis en contexte ses paroles». Il ajoutait qu’il
n’était pas qu’une «simple courroie de transmission», mais qu’il devait «se
servir de son jugement avec honnêteté», ce qu’il estimait avoir fait.
Invitée à
commenter cette plainte, madame Lise Blouin-Dallosto, présidente et éditrice du
Courrier-de-Groulx, disait endosser à «100%» la réponse du journaliste
Andre-Gilles Lauzon.
Madame Blouin-Dallosto
indiquait que monsieur Lauzon était «reconnu dans la région pour son
objectivité et son souci de tendre vers la perfection» et qu’il n’avait aucune
attache politique aux niveaux fédéral, provincial ou municipal.
L’éditrice du
journal disait enfin qu’elle avait «suivi la dernière campagne électorale dans
Groulx» et concluait qu’il était difficile de «plaire à tous et à son père en
même temps».
Réplique du plaignant
Répliquant aux
commentaires de madame Blouin-Dallosto, le plaignant disait avoir la «nette
impression» qu’ils avaient été écrits «sans réflexion» et que l’éditrice du
Courrier-de-Groulx accordait peu d’importance à sa plainte.
Par ailleurs, à
la remarque de cette dernière à l’effet qu’elle avait suivi la dernière
campagne électorale dans le comté de Groulx, monsieur Tremblay se disait
surpris de constater que la présidente d’un journal local «démontre autant
d’ignorance», puisque Sainte-Anne-des-Plaines n’est pas située dans le comté de
Groulx, mais plutôt dans celui de Rousseau.
Enfin, monsieur
Tremblay ne comprenait pas comment madame Blouin-Dallosto pouvait endosser le
comportement de son journaliste.
En réplique aux
commentaires du journaliste André-Gilles Lauzon, monsieur Tremblay se demandait
d’abord «comment un journaliste qui fait son travail honnêtement» pouvait
«commenter un événement dans un journal avant même que celui-ci ait eu lieu?»
et écrire qu’il s’était déroulé «en présence de nombreux sympathisants».
Monsieur
Tremblay considérait de plus que le journaliste mentait «grossièrement»
lorsqu’il affirmait n’avoir pu faire état du programme de l’équipe Nepveu avant
le jour des élections. Le plaignant se demandait, à cet égard, pourquoi
monsieur Lauzon n’avait pas utilisé l’espace d’un des cinq articles «flatteurs»
pour l’équipe Nepveu, parus dans les semaines précédant l’élection, afin de
commenter le programme de cette dernière «plutôt que de balbutier toutes sortes
de ragots?»
Monsieur
Tremblay estimait par ailleurs que le journaliste avait démontré un «intérêt
bien particulier pour l’équipe du maire Nepveu» dans ces cinq articles. Il
ajoutait que le journaliste était pourtant libre «de glaner, pour employer son
terme, autant d’informations sur la Relance économique» que sur l’équipe
adverse. Il faisait remarquer que le journaliste n’avait consacré qu’un seul
article à l’équipe de la Relance économique comparativement à six pour l’équipe
Nepveu.
Référant ensuite
à un déjeuner-causerie que la Relance économique avait organisé le 11 octobre
1987 et auquel la presse écrite avait été convoquée, monsieur Tremblay faisait
enfin remarquer que malgré la seule présence d’un photographe du
Courrier-de-Groulx et l’absence du journaliste André-Gilles Lauzon, ce dernier
avait signé un article, le 18 octobre, sur cet événement.
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement particulier relèvent du jugement rédactionnel des médias et des professionnels de l’information, lesquels doivent exercer ce jugement en fonction du degré d’intérêt public d’une nouvelle.
Ce faisant, ils doivent cependant livrer une information équilibrée, conforme aux faits et à la réalité, et ne pas être motivés par un parti pris à l’égard de personnes, de groupes ou de mouvements.
Par ailleurs, les professionnels de l’information doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques et éviter de confondre le commentaire, le jugement de valeur ou l’interprétation avec le reportage.
Dans le cas présent, quoique le journaliste était parfaitement en droit de traiter l’information selon son jugement rédactionnel, le Conseil blâme ce dernier pour avoir manqué de rigueur en publiant un article rendant compte d’un événement avant que celui-ci ne se soit déroulé et en présumant de la «présence de nombreux sympathisants».
Le Conseil reproche d’avoir attendu plus de quatre semaines, soit le jour du scrutin, pour rendre compte du programme électoral de l’un des partis municipaux en lice.
Le Conseil reproche également au journaliste de n’avoir pas su distinguer commentaires et informations dans la façon dont il a rapporté le discours de défaite du plaignant en interprétant certains de ses propos et ce, sans même informer les lecteurs du contenu de ceux-ci.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C15A Manque de rigueur
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
14 September 1988
Décision en appel
Le Conseil a
convenu d’ajouter le paragraphe suivant à la décision initiale du Comité des
cas:
Il est à noter
que le sens de cette décision s’adresse également au journal compte tenu de la
responsabilité des médias eu égard à l’information qu’ils publient dans leurs
pages ou diffusent sur leurs ondes. Un blâme est donc retenu contre le journal
Le Courrier-de-Groulx.
Griefs pour l’appel
La Commission
d’appel a jugé recevable l’appel de M. Tremblay, le plaignant, qui s’étonnait
que le Conseil de presse ne blâme pas le journal.