Plaignant
Radio-Québec
[région Côte-Nord]
Représentant du plaignant
M. Denis Gagnon (coordonnateur,
Radio-Québec [région Côte-Nord])
Mis en cause
Presse Côte-Nord
[Sept-Iles] et M. Jean-Marc Gagnon (directeur)
Résumé de la plainte
La Presse Côte-Nord
publie depuis septembre 1987, à la place du télé-horaire de Radio-Québec, un
texte encadré où le journal se plaint de ne recevoir aucun contrat publicitaire
de la Société d’Etat. Ce texte s’avère diffamatoire et tendancieux.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Denis Gagnon, coordonnateur de
Radio-Québec Côte-Nord, contre l’hebdomadaire Presse Côte-Nord.
Monsieur Denis
Gagnon rapportait que le litige opposant les deux parties avait débuté en
septembre 1987 depuis que Presse Côte-Nord publiait un texte encadré qu’il
considérait «diffamatoire, tendancieux et totalement injustifié» en
remplacement de l’horaire de télévision de Radio-Québec.
Le plaignant
expliquait que Radio-Québec, «pour des raisons d’efficacité et d’économie»,
avait décidé de traiter avec Québécor pour le lancement de sa programmation
d’automne, compte tenu du tirage et du rayonnement des journaux de ce groupe.
Monsieur Gagnon
ajoutait à ces raisons le fait que la programmation de Radio-Québec était
maintenant nationale et que le rayonnement des journaux de Québécor permettait
«de troquer, dans certains cas, les lignes agates contre les minutes
d’antenne». De plus, comme la Côte-Nord était couverte par les hebdomadaires de
monsieur Péladeau et Le Journal de Québec, Radio-Québec n’avait pas jugé
nécessaire d’acheter de la publicité dans d’autres médias de la région.
Monsieur Denis
Gagnon indiquait qu’à la suite de cette décision et en «voyant son concurrent
recevoir de la publicité», le directeur de Presse Côte-Nord, monsieur Jean-Marc
Gagnon, avait demandé à la responsable de la vente, madame Jacinthe Richard, de
lui téléphoner et d’exiger que Radio-Québec achète de la publicité dans son
journal. Le plaignant signalait que malgré les explications qu’il avait pu
donner au sujet de la stratégie publicitaire de Radio-Québec dans cette région,
le directeur de Presse Côte-Nord l’avait menacé de cesser la publication de
l’horaire de Radio-Québec, qu’il prétendait publier gratuitement, si la Société
n’achetait pas de publicité dans son journal.
Après l’échec
d’une deuxième «tentative d’explication» par téléphone, le journal faisait
paraître à chaque semaine, depuis le 24 septembre, le texte suivant à la place
de l’horaire télévision de Radio-Québec:
«Télé-horaire de
Radio-Québec supprimé. Depuis l’implantation sur la Côte-Nord de Radio-Québec,
Presse Côte-Nord a toujours publié gratuitement son horaire-TV.
Cependant, il
semble que cette grande générosité hebdomadaire de notre part n’a jamais été
reconnue par la Société d’Etat et chaque fois qu’elle place de la publicité, à
l’échelle de la province, seul le Journal Presse Côte-Nord au Québec ne reçoit
pas cette publicité.
Nous n’avons pu
déterminer si cette omission provenait du bureau-chef ou de la succursale
locale, mais la Direction de ce journal ne peut interpréter cette omission que
comme un mépris envers les Nordcôtiers.
Ainsi donc,
aussi longtemps que cette situation persistera, cette annonce sera publiée à la
place de l’horaire de Radio-Québec qui a été supprimé de nos pages. La
Direction.»
Le plaignant
ajoutait que le directeur de Presse Côte-Nord se disait le seul à être ignoré
par Radio-Québec et indiquait que cela était «complètement faux».
Il s’objectait
de plus à l’affirmation du défendeur à l’effet que la publication gratuite de
l’horaire de télévision constituait de la publicité gratuite. Monsieur Denis
Gagnon faisait remarquer qu’il s’agissait plutôt d’information étant donné que
l’horaire de Radio-Québec occupait «une place équivalente» à celle des autres
stations et que ces horaires étaient publiés dans les mêmes pages et avec la
même présentation.
Monsieur Denis
Gagnon ajoutait que les stations CFER-TV et CBC n’avaient jamais acheté de la publicité
dans Presse Côte-Nord et que «la station régionale de Radio-Canada boycotte
également ce média pour des raisons de chantage similaire». Il se demandait
alors pourquoi leurs horaires de télévision étaient encore publiés et indiquait
qu’une réponse pouvait peut-être se trouver dans une plainte déposée au Conseil
de presse en 1980 par Radio-Québec.
Note:
Radio-Québec avait porté plainte contre l’hebdomadaire L’Elan Sept-Ilien,
dirigé alors par monsieur Jean-Marc Gagnon, pour avoir repiqué une annonce
publicitaire de Radio-Québec Côte-Nord parue dans les pages d’un journal
concurrent et pour en avoir réclamé les frais de publication à Radio-Québec. La
plainte portait aussi sur le fait que monsieur Gagnon refusait de publier les
communiqués d’intérêt public de la Société Radio-Québec, parce que cette
dernière refusait d’acquitter les frais de l’annonce en question et parce
qu’elle n’achetait pas de publicité dans le journal de monsieur Gagnon.
Le plaignant
faisait par ailleurs parvenir au Conseil une lettre dans laquelle monsieur
Jean-Marc Gagnon demandait de lui remettre copie de toutes les factures de
publicité que Radio-Québec avait payées à tous les médias de la région au cours
de l’automne. En réponse à cette lettre, le plaignant transmettait copie de
toutes les factures d’achat de publicité de Radio-Québec Côte-Nord depuis le
début de septembre 1987 et expliquait à nouveau à Presse Côte-Nord que la
campagne publicitaire nationale était «orchestrée», «après consultation avec
les régions, par le service de promotion et de marketing de Radio-Québec». Il
signalait en outre au défendeur que pour «obtenir tous les détails de cette
transaction», le journal devait s’adresser à l’agence Multicom de
l’Ile-des-Soeurs ou à Radio-Québec à Montréal.
Le plaignant
annexait enfin à ces lettres deux articles publiés dans Presse Côte-Nord à côté
du texte remplaçant l’horaire de Radio-Québec, où il était question, dans le
premier, de «l’inaction» de la Société d’Etat face à cette situation, et dans
le deuxième, de la plainte faite par Radio-Québec au Conseil de presse «pour
régler le problème à sa place».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, le directeur de Presse Côte-Nord, monsieur Jean-Marc Gagnon,
faisant d’abord référence au cas de 1980, expliquait que le but visé, à cette
époque, «n’était pas de forcer Radio-Québec à payer une annonce contre son gré,
mais bien de savoir « qui » autorisait cette publicité». Il ajoutait
que cette fois-ci, il s’y prenait autrement et qu’il était «persuadé que cette méthode
sera plus efficace».
Monsieur Gagnon
s’étonnait par ailleurs des éloges du plaignant à l’égard de son concurrent
Québécor «en raison de l’épaisseur du journal, de son contenu publicitaire et
de son appartenance à une multinationale plutôt que de son contenu rédactionnel».
Quant à
l’économie que Radio-Québec faisait en publiant dans tous les journaux de
Québécor, monsieur Jean-Marc Gagnon se demandait pourquoi il ne publiait pas
uniquement dans Le Journal de Québec qui couvre toute la région, plutôt que de
doubler, tripler, voire même quadrupler la même publicité dans des
hebdomadaires de Québécor qui couvrent la même région.
Par ailleurs, le
directeur du journal précisait que le plaignant n’avait «aucun sens des
affaires» quant à la gratuité de la publication des horaires de télévision. Si
cette publication était gratuite pour les lecteurs, elle ne l’était cependant
pas pour l’éditeur qui devait assumer les coûts du personnel, de la
photocomposition, de l’impression, etc.
De plus,
monsieur Gagnon considérait que le plaignant confondait les termes «exiger et
menace» avec «persuasion et insistance», deux éléments qu’il estimait
«essentiels» à la survie d’un média aujourd’hui.
En ce qui
concerne les autres stations de télévision de la Côte-Nord, monsieur Jean-Marc
Gagnon soulignait qu’elles avaient toutes «un jour ou l’autre» considéré Presse
Côte-Nord «lors de leur lancement ou de modifications importantes».
De l’avis de
monsieur Jean-Marc Gagnon, tout le problème résidait dans le fait que la
Société Radio-Québec diffusait «des émissions les plus dispendieuses, mais pas
nécessairement les plus écoutées au monde», et qu’elle n’aimait pas que le
journal en fasse état, ce qui l’incitait à utiliser «l’arme de la publicité»
pour influencer le contenu rédactionnel du journal. Monsieur Gagnon signalait
que la direction du journal n’avait jamais accepté cette «bassesse», étant bien
impliquée dans le milieu et offrant de l’information «dans l’intérêt des gens»
de la région.
Monsieur Gagnon
ajoutait que son journal n’était pas un «pamphlet publicitaire» comme ses
concurrents qui n’étaient là que pour faire de l’argent et qui devaient, par
conséquent, «se coller aux pouvoirs en place» et en faire l’éloge. Radio-Québec
récompensait ainsi «le silence du journal concurrent en lui refilant le plus de
publicité possible» en espérant «en retour de beaux petits reportages». Il
considérait cette pratique comme un «bel exemple» de discrimination et
d’atteinte à la liberté de presse.
Réplique du plaignant
Répliquant aux
commentaires de monsieur Jean-Marc Gagnon, le coordonnateur de Radio-Québec
Côte-Nord, monsieur Denis Gagnon, trouvait la réponse du défendeur «pour le
moins déconcertante» et considérait qu’elle s’éloignait du problème soulevé par
la plainte.
Sans nier que
Radio-Québec avait acheté de la publicité dans les journaux concurrents de
Presse Côte-Nord, le plaignant estimait que l’évaluation de monsieur Jean-Marc
Gagnon manquait «un peu de rigueur» et ne tenait pas compte des raisons
justifiant le choix de ses concurrents.
Le plaignant
«soupçonnait» le directeur du journal «d’utiliser des méthodes incorrectes»
pour obliger Radio-Québec à acheter de la publicité. Il indiquait que la
Société, pour mettre fin à ces problèmes, aurait pu céder au «chantage» en
achetant quelques centaines de lignes dans le journal. Cela aurait toutefois
constitué, de son avis, un mauvais placement, compte tenu que Presse Côte-Nord
a un faible tirage et qu’il ne diffuse que dans le secteur urbain de Sept-Iles.
Le coordonnateur
de Radio-Québec Côte-Nord considérait de plus que monsieur Jean-Marc Gagnon
abusait de sa «discrétion éditoriale» et écrivait des «faussetés» dans le texte
remplaçant l’horaire de télévision. Par exemple, il était faux de prétendre que
«seul le Journal Presse Côte-Nord était ignoré», que le journal n’avait «pu
déterminer si cette omission provenait du bureau-chef ou de la succursale
locale», et que cette omission était un «mépris envers les Nordcôtiers».
Le plaignant
faisait remarquer que toutes le explications motivant les choix de Radio-Québec
concernant cette publicité avaient été données à monsieur Jean-Marc Gagnon. Il
ajoutait qu’il comprenait le mécontentement de ce dernier et «même ses
réticences» à publier l’horaire de télévision, mais contestait le fait que cet
horaire soit remplacé par un «texte faux et diffamatoire».
Le plaignant
considérait enfin que monsieur Jean-Marc Gagnon confondait publicité et
information. Il faisait remarquer, à cet égard, que la publication de l’horaire
de Radio-Québec ne constituait pas «une publicité, mais plutôt de l’information
ou encore, comme [le directeur du journal) le dit si bien, un service public».
Analyse
Il relève de la prérogative des entreprises de presse d’établir leur politique en matière d’achat de publicité. Celles-ci sont donc libres d’acheter de la publicité dans les médias de leur choix.
Les médias jouissent aussi de cette prérogative en ce qui concerne l’établissement de politiques en matière de publication de publicité et en matière d’information.
Ce faisant, il est cependant essentiel que soient respectées l’autonomie et l’indépendance du service de l’information par rapport au service de la publicité. Par conséquent, l’achat de publicité ou les considérations d’ordre commercial ne doivent en aucun temps influencer le contenu rédactionnel des médias. Les critères de publication des informations doivent donc uniquement se baser sur le degré d’intérêt public de ses dernières.
Dans le cas présent, le Conseil blâme la tactique du journal pour amener Radio-Québec à acheter de la publicité dans ses pages.
Le Conseil considère que la suppression du télé-horaire de la Société d’Etat et la publication, à la place de celui-ci, d’un texte dans le but d’exercer des pressions sur la Société sont contraires à l’éthique journalistique. Cette pratique subordonne le contenu rédactionnel du journal à des considérations d’ordre commercial.
De plus, Presse Côte-Nord compromet, aux yeux du public, la crédibilité des médias et de la profession journalistique.
Analyse de la décision
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux
Date de l’appel
30 September 1988
Appelant
Presse Côte-Nord
[Sept-Iles]
Décision en appel
La Commission
d’appel rejette l’appel du journal Presse Côte-Nord et maintient intégralement
la décision du Comité des cas.
La Commission
rappelle par ailleurs que le Conseil de presse se refuse à faire quelque procès
d’intention et qu’il ne peut, par conséquent, prendre en considération
certaines accusations contenues dans la lettre d’appel de Presse Côte-Nord.
Réplique du mis en cause
A ces
commentaires du plaignant, le directeur du journal se disait lui-même
«déconcerté» d’apprendre que Multicom et Radio-Québec Montréal prenaient les
décisions au sujet de la publicité dans la région de Sept-Iles, et surpris que
le plaignant, premier responsable local, ignorait qui autorisait la publicité à
Radio-Québec.
Note: Il est à
noter que monsieur Jean-Marc Gagnon s’est adressé, dans un premier temps, à la
firme Multicom et, dans un deuxième temps, à la secrétaire générale de
Radio-Québec à Montréal pour obtenir copie des factures relatives à la
publicité en question dans la région de la Côte-Nord, et pour connaître les
personnes responsables de cette campagne publicitaire. N’ayant pas reçu les
renseignements demandés, monsieur Gagnon s’est alors adressé à la Commission
d’accès à l’information. La décision de cette dernière n’a pas été rendue à ce
jour.
Il considérait
que le plaignant, qu’il qualifiait de «petit roi nègre», s’était «montré tel
qu’il est en jouant le puissant avec les entreprises locales et à
l’aplaventrisme avec les grosses entreprises». Il ajoutait que lesdites
économies que Radio-Québec tentait de faire se soldaient par du «gaspillage de
fonds publics» et ce, «à la mesure de celui qui tente d’écraser les plus petits
pour se faire un nom».
Quant à
l’argument du plaignant relativement au tirage de Presse Côte-Nord, monsieur
Jean-Marc Gagnon soutenait que le coordonnateur de Radio-Québec Côte-Nord
tentait de «minimiser l’impact de ce journal en raison de sa diffusion» alors
qu’il sait pertinemment que Presse Côte-Nord couvre tout le comté de Duplessis
par groupe de diffusion répartit sur quatre semaines.