Plaignant
M. Jean-Pierre
Desaulniers
Mis en cause
Le Nouvelliste
[Trois-Rivières] et M. Denis Pronovost (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Bernard
Champoux (rédacteur en chef, Le Nouvelliste [Trois-Rivières])
Résumé de la plainte
Dans son article
«Les Cataractes méritaient sûrement un meilleur sort», publié le 23 janvier
1988 par Le Nouvelliste, le journaliste Denis Pronovost utilise des termes
abusifs, propres à discréditer l’arbitre d’un match de hockey.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Jean-Pierre Desaulniers contre le
journaliste Denis Pronovost du quotidien Le Nouvelliste concernant un article,
paru le 23 janvier 1988, au sujet d’une partie de hockey de la Ligue junior
majeure du Québec qui s’est déroulée à Trois-Rivières le 22 janvier 1988.
Monsieur
Desaulniers reprochait au journaliste d’avoir manqué de rigueur professionnelle
en tenant des «propos diffamatoires» à l’endroit de l’un des arbitres de la
partie de hockey, portant ainsi atteinte à la réputation de ce dernier, et
mettant en doute son intégrité.
Monsieur
Desaulniers signalait qu’à la suite de la parution de cet article, il avait
fait parvenir une lettre ouverte dans laquelle il demandait au journaliste de
se rétracter pour les propos suivants:
«Il n’y a pas de
mots pour décrire le vert-de-gris qui s’est installé dans les lunettes de
l’arbitre Jean-Paul Bergeron.
D’une
invraisemblable pourriture, Bergeron avait l’air d’un actionnaire des
Olympiques de Hull sur patins hier soir à l’aréna de Shawinigan tellement il a
offert la victoire sur un plateau d’argent aux visiteurs.
Complètement
dans les nuages, Bergeron s’est montré digne d’un match atome.
Il n’y a aucun
doute: Bergeron, le sans-génie des officiels, a pris des décisions tellement
inconséquentes et insignifiantes que n’importe quel observateur objectif
l’aurait condamné à la potence.»
Le plaignant
indiquait dans cette lettre, qui fut publiée le 13 février dans la section
sportive, qu’il avait «peine à croire que de telles énormités aient pu se
retrouver dans un journal qui se veut sérieux».
Il ajoutait que
le journaliste avait le droit de signaler qu’il n’avait pas apprécié la
prestation de l’arbitre, mais considérait que c’était de l’abus que d’attaquer
celui-ci «avec des termes aussi virulents que «sans-génie» et «invraisemblable
pourriture».
Monsieur
Desaulniers se disait, d’autre part, insatisfait de la réplique que le
journaliste avait fait paraître immédiatement à la suite de sa lettre ouverte.
Il estimait que le journaliste admettait «tout au plus» que «les mots étaient
très durs», et qu’il s’en remettait sur des performances antérieures de
l’arbitre où celui-ci aurait travaillé, selon le journaliste, de façon
semblable.
Indiquant que la
réplique du journaliste passait «sous silence» le reproche d’atteinte à la
réputation qu’il avait fait, le plaignant estimait que cette réplique
discréditait davantage l’arbitre concerné.
Monsieur
Desaulniers considérait enfin que «personne n’a le droit de se livrer à de
telles exagérations dans un journal».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, le rédacteur en chef du Nouvelliste, monsieur Bernard Champoux,
croyait que «les termes utilisés à l’endroit de l’arbitre Jean-Paul Bergeron,
tout en étant très durs et surtout très imagés, avaient pour but de démontrer
que cet officiel avait manqué d’objectivité». Il considérait d’ailleurs que les
dirigeants de la Ligue junior majeure avaient donné raison au journaliste «en
mettant cet arbitre à l’écart pendant plusieurs semaines».
Monsieur
Champoux disait comprendre que le plaignant, «lui-même un ex-arbitre, ait été
offusqué» devant les propos du journaliste. Il considérait cependant exagéré
que monsieur Desaulniers réclame des excuses du journal, et signalait que
celui-ci avait eu «la chance de se prononcer lorsque Le Nouvelliste a accepté
de publier sa lettre «in extenso».
Monsieur
Champoux estimait enfin que le seul qui était en droit de demander des excuses,
était l’arbitre visé par l’article, qui n’avait par ailleurs aucunement
protesté contre ledit article.
Réplique du plaignant
En réplique aux
commentaires du rédacteur en chef du Nouvelliste, le plaignant soutenait d’abord
que si «l’objectif visé par l’emploi de «termes… très durs et surtout très
imagés» était de démontrer le présumé manque d’objectivité de l’arbitre», il
aurait été préférable que le journaliste cite des exemples, s’appuie sur des
faits concrets et rende compte des décisions de celui-ci «plutôt que de
chercher à le discréditer dans l’opinion publique en utilisant des termes qui
n’avaient rien à voir avec les faits ou décisions» qu’il lui reprochait.
Monsieur Desaulniers
estimait ensuite que monsieur Champoux avait erré et pris «certaines libertés
avec la vérité» lorsqu’il affirmait que la Ligue junior majeure avait donné
raison au journaliste «en mettant cet arbitre à l’écart pendant plusieurs
semaines». Expliquant les rouages de l’assignation des arbitres aux différentes
parties de la ligue de hockey, et citant plusieurs parties que l’officiel
concerné ici avait arbitrées, le plaignant faisait remarquer «qu’un tel emploi
du temps ne constitue pas précisément une mise à l’écart».
Monsieur
Désaulniers expliquait enfin que s’il avait exigé rétractation et excuses alors
que la personne visée n’avait pas protesté, c’était parce que l’article
«faisait fi du plus élémentaire respect de la personne et de la profession
(qu’il avait) longtemps servie» et que par conséquent, il avait été «insulté
comme lecteur et ancien arbitre».
Il ajoutait de
plus que si l’arbitre Jean-Paul Bergeron avait pris connaissance de l’article
du 23 janvier, ce qui était peu probable puisqu’il résidait à Montréal, il
n’aurait vraisemblablement pas protesté parce que, selon le plaignant, les
«arbitres hésitent toujours à se défendre» des attaques des médias, «parce
qu’ils craignent des représailles ultérieures».
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement particulier relèvent du jugement rédactionnel des professionnels de l’information qui doivent cependant livrer une information honnête et conforme aux faits. Les commentaires doivent, pour leur part, s’appuyer sur des faits qui sont connus du lecteur ou que l’on porte à sa connaissance.
De plus, les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques et prendre soin de ne pas confondre commentaire et reportage afin d’éviter que le public ne se méprenne sur la nature de l’information qu’il reçoit.
Le Conseil est d’avis que le journaliste aurait dû informer les lecteurs des faits exacts sur lesquels il fondait son jugement, afin que le public puisse former sa propre opinion et toute connaissance de cause. En ne transmettant pas cette information, les propos tenus par le journaliste à l’égard de l’arbitre concerné deviennent abusifs et susceptibles de le discréditer auprès du public. Ces propos constituent davantage une attaque personnelle que l’expression d’une opinion sur la prestation de l’arbitre lors de la partie de hockey dont il est question.
L’article à l’origine de cette plainte tient tout autant du commentaire que du reportage. Il eut été important, par conséquent, de l’identifier et le Conseil blâme le journaliste et le journal pour n’avoir pas su faire les distinctions qui s’imposent à cet égard.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C17E Attaques personnelles
- C20A Identification/confusion des genres