Plaignant
Mme Louise
Nantel (former supervisor of research, CBC News Dept.
[Société Radio-Canada,
Montréal])
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et Mme Francine Pelletier (critique)
Représentant du mis en cause
M. Mel Morris
(rédacteur gérant, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
Par sa critique
négative du roman «Myriam Première» de Francine Noël, la journaliste Francine
Pelletier démontre son manque d’éthique journalistique. La journaliste fait
preuve de mépris envers ce roman en affirmant qu’il est écrit avec une
«complaisance décevante» et dans un «style très approximatif».
The
Gazette fait paraître la critique en question le 5 mars 1988, sous le titre
«Francine Noël set out to explore the heart and soul of post-referendum Quebec
: What the hottest writer of today came back with is a disappointing
complacency».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Louise Nantel contre le quotidien The
Gazette et la journaliste Francine Pelletier concernant une critique
littéraire, parue le 5 mars 1988, au sujet du dernier roman de Francine Noël
intitulé «Myriam première».
Madame Nantel considérait
que cette critique, intitulée «Francine Noël set out to explore the heart and
soul of post-referendum Quebec.
What the hottest writer of today came back with
is a disappointing complacency» [Francine Noël explore le coeur et l’âme du
Québec post-référendaire.
Ce que l’auteur la plus populaire d’aujourd’hui nous
présente est d’une complaisance décevante], manquait d’éthique journalistique
pour avoir traité de façon aussi négative l’oeuvre de cette auteure.
Mettant en doute
la compétence de la journaliste Francine Pelletier pour faire la critique d’une
oeuvre littéraire, madame Nantel faisait remarquer que tous les journaux
francophones étaient unanimes à déclarer que Francine Noël avait écrit deux
grands romans, dont celui faisant l’objet de la critique de The Gazette.
Elle estimait
que cette critique faisait preuve d’un «mépris total» envers le roman – tant
sur le fond que sur la forme – en affirmant que celui-ci était écrit avec une
«complaisance décevante» et dans un «style très approximatif».
Madame Nantel ne
comprenait pas également qu’un journal, qui publiait un texte «aussi négatif»
sur une oeuvre littéraire, accorde une «pleine page en tête de rubrique» avec
une «photo sur cinq colonnes et des titres accrocheurs». Elle considérait
qu’une telle façon de faire constituait un «enterrement de première classe et
un procédé injuste pour l’auteure qui n’a aucune chance de riposter». Elle
ajoutait que The Gazette étant un journal anglophone, la majeure partie des
lecteurs ne pourra «se faire leur propre idée sur les qualités de ce livre, car
ils n’auront accès ni à l’oeuvre ni aux critiques des journaux francophones».
Expliquant que
l’auteure du roman l’avait chargée de coordonner les démarches pour la
traduction anglaise du livre, madame Nantel signalait que deux éditeurs qui
s’étaient montrés intéressés à publier la version anglaise, s’étaient désistés
après la parution de l’article. Elle ajoutait que «même si un éditeur apprécie
une oeuvre au point de vouloir en publier une traduction pour l’Amérique du
Nord, il ne peut ignorer que le public qu’il vise a été préparé à la trouver
sans intérêt» Elle estimait que The Gazette avait fait un «tort énorme» à
l’auteure.
Enfin, dans une
lettre qu’elle adressait au rédacteur gérant de The Gazette, monsieur Mel
Morris, la plaignante se demandait qui était cette journaliste, quels étaient
ses titres, et depuis quand elle était une experte en littérature. Elle disait
comprendre qu’une véritable critique pouvait ne pas aimer une oeuvre d’art et
qu’elle avait le droit de le dire, mais considérait que de montrer autant de
mépris était «méchant et dénué de sens».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, monsieur Mel Morris disait d’abord qu’il considérait celle-ci
«très frivole». Signalant que la journaliste Francine Pelletier avait déjà
écrit plusieurs critiques pour The Gazette, monsieur Morris était d’avis que la
critique à l’origine de cette plainte, «soulignait simplement le fait que [la
journaliste] n’avait pas été aussi emballée par le nouveau livre de Francine
Noël que ne l’étaient certains autres critiques».
Dans une lettre
qu’il adressait à la plaignante, monsieur Morris se disait perplexe
relativement à l’information de cette dernière à l’effet qu’elle ne comprenait
pas qu’un journal accorde une «pleine page en tête de rubrique». Il se
demandait si la plaignante suggérait qu’aucune photo d’auteurs ne devrait être
publiée ou qu’aucune photo ne devrait être prise lorsqu’une critique était
défavorable. Transposant cette situation au médium de la télévision, monsieur
Morris se demandait si dans une situation semblable, aucune image ne devrait
apparaître à l’écran?
Monsieur Morris
déplorait de plus les quelques remarques offensantes de la plaignante eu égard
à la compétence de la journaliste Francine Pelletier. Il indiquait que madame
Nantel avait dû prendre du retard dans ses lectures si elle n’avait jamais
entendu parler de la journaliste. Indiquant que plusieurs articles de cette
dernière avaient été publiés dans The Gazette et dans les journaux francophones,
monsieur Morris disait n’avoir aucune réserve quant à la compétence de madame
Pelletier de faire la critique de la culture québécoise contemporaine.
Monsieur Morris
suggérait que le fait d’avoir été chargée de coordonner les démarches pour la traduction
du livre, avait pu faire pencher le jugement de la plaignante face aux
critiques moins favorables des livres de madame Noël. Il insistait enfin sur le
fait que The Gazette avait fait appel à une critique littéraire expérimentée
pour écrire un article sur ce livre.
La journaliste
Francine Pelletier trouvait pour sa part «ironique» que la plaignante la
considère incompétente pour commenter le roman de Francine Noël. Indiquant que
peu de gens étaient plus qualifiés qu’elle pour commenter ce livre, madame
Pelletier faisait remarquer qu’elle avait une maîtrise en littérature et
qu’elle faisait du journalisme culturel et socio-politique depuis dix ans. Elle
ajoutait qu’en tant que féministe, elle comprenait «sans doute mieux qu’aucun
autre critique» nommé par la plaignante ce dont parlait l’auteure.
Quant à
l’affirmation de la plaignante à l’effet que sa critique faisait preuve d’un
«mépris total» envers le livre, madame Pelletier disait qu’il ne s’agissait pas
de mépris, mais plutôt d’une grande déception face à l’univers caricatural
dépeint par l’auteure». Elle estimait qu’il y avait «manifestement un très
grand écart» entre ce que l’auteure visait, c’est-à-dire un «regard critique
sur le Québec post-référendaire et la génération des babyboomers», et ce
qu’elle avait accompli. Elle ajoutait que l’auteure l’avait même avoué dans une
entrevue accordée au Devoir qu’elle citait dans son article.
Faisant
remarquer que cette critique exprimait ce qu’elle pensait du roman, madame
Pelletier regrettait sincèrement que la plaignante y ait vu de la méchanceté.
Quant au grief
de cette dernière concernant la photo publiée, madame Pelletier considérait que
celle-ci ne desservait aucunement l’auteure, puisqu’il s’agissait d’une photo
de toute évidence, «fort sympathique».
Enfin,
concernant la perte de contrats de traduction auxquels la plaignante faisait
allusion, madame Pelletier se demandait s’il fallait en «conclure que tous les
livres traduits sont des livres qui n’ont reçu que des éloges?» Elle était
plutôt d’avis que ce roman ne trouvait pas traducteur, car des gens qui
n’étaient pas «déjà familiers avec le Québec contemporain s’y retrouveraient
difficilement».
Réplique du plaignant
En réplique aux commentaires
de la journaliste, la plaignante faisait d’abord part de son désaccord avec
l’opinion de celle-ci à l’effet que sa critique ne constituait pas du mépris,
mais exprimait plutôt «une grande déception face à l’univers caricatural
dépeint par l’auteure». Madame Nantel indiquait que s’il y avait «beaucoup de
fantaisie, d’humour et même quelques pointes d’ironie» dans le livre de
Francine Noël, la seule caricature que l’on pouvait y déceler se trouvait dans
une trentaine de pages à l’intérieur d’un roman de plus de six cents pages.
Elle se demandait si l’on pouvait alors parler d’univers caricatural.
Quant à
l’argument de la journaliste à l’effet qu’en tant que féministe, elle
comprenait «sans doute mieux qu’aucun autre critique (nommé par la plaignante)
ce dont parlait l’auteure du livre, madame Nantel disait ne voir aucune
relation entre le féminisme et la capacité de juger une oeuvre de fiction. Elle
était d’avis, d’une part, que les «ismes» avaient «plutôt tendance à biaiser
les propos et à obscurcir le jugement». Elle indiquait, d’autre part, que le
roman de Francine Noël n’avait rien de didactique, en ce que «ses personnages
étaient des êtres vivants, avec leurs paradoxes, leurs désirs, leurs doutes,
leurs sentiments et non les porte-parole d’une idéologie», sauf dans le bref
passage caricatural où l’auteur «se moque un peu de certains courants
formalistes».
Madame Nantel
indiquait ensuite que l’impression de «mauvaise foi et/ou d’incompétence»
qu’elle avait éprouvée à la lecture de la critique de la journaliste avait été
renforcée du fait qu’elle n’avait «perçu» ni dans l’article ni dans la lettre
de commentaires présentée dans le cadre de cette plainte, les caractéristiques
inhérentes à la compétence pour évaluer une oeuvre de fiction, c’est-à-dire la
sensibilité «artistique, linguistique, littéraire» qui permet de «comprendre ce
qu’on lit» et de «trouver les mots justes pour exprimer ses sentiments et ses
observations, pour étayer ses affirmations par des exemples précis, dans un
style clair et vivant».
En réponse aux
commentaires de monsieur Mel Morris, rédacteur gérant de The Gazette, madame
Nantel disait douter de la rigueur intellectuelle de ce dernier, suite à la
comparaison qu’il avait faite entre la publication d’une photo dans un journal
et les images diffusées à la télévision. Elle faisait remarquer qu’une personne
pouvait répliquer sur le champ lors d’une entrevue à la télévision, ce qui
n’était pas possible dans un journal.
Madame Nantel
indiquait que ce qui lui paraissait «odieux dans toute cette affaire» était que
les lecteurs de The Gazette n’avaient reçu qu’un seul point de vue de la part
de quelqu’un qui n’avait «compris ni le titre, ni le sujet, ni le style de
l’oeuvre», et que l’auteure leur avait été présentée comme une jeune femme
radieuse, fière de son succès, bien qu’elle ait écrit «un roman
« décevant » dans le fond comme dans la forme».
Analyse
La critique et la chronique sont des genres journalistiques qui tiennent davantage de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information. Ces genres laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, de leurs jugements et de leurs opinions.
Cette latitude n’est toutefois pas absolue en ce que les auteurs de tels articles doivent mesurer la portée de leurs écrits de façon à éviter de jeter gratuitement et inutilement le discrédit sur les personnes ou les groupes concernés.
Ces précautions s’appliquent également à l’utilisation de photos pour accompagner ou illustrer l’information contenue dans un article.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que la journaliste n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en exprimant, comme elle l’a fait, son opinion, si sévère soit-elle, sur le dernier roman de Francine Noël.
Le Conseil ne voit pas non plus en quoi la photo de l’auteure publiée par The Gazette, tant par le contenu qu’elle présente que par l’espace qu’elle occupe, constitue, pour employer l’expression même de la plaignante, un «enterrement de première classe», puisque celle-ci ne déprécie aucunement l’auteure. Il en va de même en ce qui concerne le titre coiffant l’article. Le Conseil considère en effet que celui-ci ne constitue qu’un résumé de la critique exprimée dans le texte.
La liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient compromis si les médias s’abstenaient de publier la photo de quiconque parce qu’une critique sévère ou négative l’accompagne.
Aucun blâme n’est donc retenu contre la journaliste et The Gazette
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C17C Injure