Plaignant
M. Drasko D.
Pekovic (médecin)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et Mme Rachelle Henderson (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Clair Balfour
(ex-ombudsman, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
La journaliste
Rachelle Henderson de The Gazette signe trois articles qui présentent des informations
partiales, incomplètes et inexactes sur la relation d’affaires du plaignant
avec la Fondation de recherche sur le SIDA, l’octroi d’une subvention dont il a
bénéficié et son départ de l’Hôpital général juif de Montréal.
Ces
articles portent les titres «Man in illegal AIDS fund drive has record for
fraud» (19 novembre 1987), «Foundation research firm have offices in same
suite» (19 novembre 1987) et «AIDS foundation uses hospital name in new scheme»
(29 janvier 1988).
Le rectificatif publié en mai 1988 ne rétablit pas les
faits d’une manière satisfaisante.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte du docteur Drasko D. Pekovic contre le quotidien
The Gazette et la journaliste Rachelle Henderson concernant deux articles
publiés le 19 novembre 1987 et un article publié le 29 janvier 1988, au sujet
des activités de la Fondation de recherches sur le SIDA.
Note: Titre du
premier article du 19 novembre 1987: «Man in illegal AIDS fund drive has record
for fraud». Titre du deuxième article du 19 novembre 1987: «Foundation research
firm have offices in same suite». Titre de l’article du 29 janvier 1988: «AIDS
foundation uses hospital name in new scheme».
Le docteur
Pekovic reprochait à la journaliste d’avoir présenté, dans les articles qu’elle
signait, des informations partiales, incomplètes et «en plusieurs endroits,
inexactes» au sujet de sa relation d’affaires avec la Fondation de recherches
sur le SIDA, d’une subvention de recherche que celle-ci lui avait octroyée et
de sa cessation d’emploi à l’Hôpital général juif de Montréal.
Qualifiant ces
articles de malhonnêtes, monsieur Pekovic disait que ceux-ci avaient porté un
préjudice grave à sa réputation et à son intégrité professionnelle et
scientifique, en plus d’engendrer des conséquences «fâcheuses» mettant en péril
la réalisation de projets scientifiques et médicaux auxquels il participait.
Donnant plusieurs exemples à ce titre, il indiquait, entre autres, que le
département dentaire de l’Hôpital général juif de Montréal avait décidé, à la
suite de la parution des articles du 19 novembre 1987, de retourner une partie
des fonds que la Fondation lui avait octroyés, fonds que l’Hôpital
administrait.
Estimant que
l’objet des articles en question «était de porter un blâme incriminant» sur la
Fondation de recherches sur le SIDA, son président-directeur général et sur
«l’administration imprécise des fonds recueillis et destinés à subventionner
des projets de recherches scientifiques sur le SIDA», monsieur Pekovic
soutenait que la journaliste Rachelle Henderson avait construit, «dans ce
dessein», des «histoires à caractère sensationnaliste» à partir uniquement de
témoignages sans consulter aucun document écrit venant les corroborer.
Monsieur Pekovic
considérait que le style littéraire et les termes utilisés par la journaliste,
de même que la «présentation décousue et hors contexte des faits» concernant sa
relation avec la Fondation, avaient «contribué à l’évolution d’une histoire
confuse et contradictoire qui amène le lecteur à douter de [son] honnêteté et à
songer à la possibilité d’une participation à des affaires frauduleuses».
Monsieur Pekovic
disait que la journaliste avait soulevé dans les articles en question un «doute
sérieux» sur la légitimité de sa demande de subvention auprès de la Fondation,
de même que sur l’évaluation de l’octroi de celle-ci, sans avoir mentionné
aucune des «circonstances légitimes et légales» entourant cette demande de
fonds, ni la procédure légale et usuelle qu’il avait suivie pour solliciter ces
fonds. Monsieur Pekovic ajoutait que même si aucune allusion de conflit
d’intérêts à son sujet n’avait été faite par la journaliste, «l’enchaînement
des faits dans une optique suspecte a incité le lecteur à croire à une
connivence potentielle» entre lui et le président-directeur général de la
Fondation.
Le plaignant
poursuivait en disant que madame Henderson avait «fondé ses propos sur des
informations verbales partielles qu’elle a regroupées en dehors de leur contexte
et en choisissant d’ignorer volontairement [ses] explications».
Il estimait
qu’elle avait eu la même approche «non professionnelle» en écrivant, dans
l’article du 29 janvier 1988, qu’il avait été congédié de l’Hôpital général
juif de Montréal, et disait quelle avait suggéré qu’il avait été congédié en
raison de son obtention «douteuse» de fonds de recherches de la Fondation.
Monsieur Pekovic
considérait que les articles étaient «imprégnés d’un biais discriminant» qui ne
pouvait manquer d’être remarqué et d’influencer l’opinion publique. Alléguant
que la journaliste avait divulgué le contenu de ses articles du 19 novembre
1987 à des membres de la communauté scientifique montréalaise deux jours avant
leur parution, et qu’elle avait par conséquent été «guidée» dans la production
de ses articles, monsieur Pekovic estimait qu’elle avait ainsi manqué de
professionnalisme et d’éthique journalistique.
Le plaignant
signalait enfin que les démarches qu’il avait faites auprès de l’ex-ombudsman
de The Gazette, monsieur Clair Balfour, avaient conduit à la publication, le 21
mai 1988, d’un correctif «six mois après la parution du premier article et
quatre mois après le second». Il considérait que ce correctif était
«insatisfaisant» dans la mesure où il ne présentait «pas aux lecteurs toutes
les informations authentiques [le] concernant ni toute l’ampleur des
conséquences fâcheuses qui ont résulté de ces articles».
Commentaires du mis en cause
M. Clair
Balfour, ex-ombudsman, The Gazette:
En réponse à cette
plainte, monsieur Balfour soumettait d’abord copie d’une lettre qu’il avait
adressée, le 2 mai 1988, au docteur Pekovic à la suite d’une rencontre avec ce
dernier au sujet des articles en litige. Monsieur Balfour soulignait dans cette
lettre qu’il était important de reconnaître que ces articles concernaient les
actions de la Fondation de recherches sur le SIDA et de son président-directeur
général et qu’ils décrivaient comment un homme ayant déjà eu un dossier
criminel, sollicitait de l’argent du public. Il était par conséquent clair, de
dire monsieur Balfour, que cette affaire était d’intérêt public.
Il faisait
remarquer qu’il était inévitable que de tels reportages expliquent
l’utilisation qui était faite des fonds recueillis auprès du public et que, par
conséquent, les subventions octroyées par la Fondation de recherches sur le
SIDA au docteur Drasko D. Pekovic constituaient un élément clé de ces
reportages.
Monsieur Balfour
convenait cependant qu’il y avait quelques faiblesses dans les articles, en
l’occurrence certains passages relatifs au départ de monsieur Pekovic de
l’Hôpital général juif, le manque de détails sur les actions antérieures du
président-directeur général de la Fondation, et l’utilisation inappropriée et
injuste, dans l’article du 29 janvier 1988, de termes comme «machination»
[notre traduction de «scheme»] pour décrire les activités de ce dernier.
Monsieur Balfour
convenait également que ces articles pouvaient avoir laissé l’impression chez
certains lecteurs que les activités du docteur Pekovic étaient incorrectes,
compte tenu que le titre du premier article du 19 novembre 1987 mentionnait que
le président-directeur général de la Fondation avait un dossier judiciaire pour
fraude, et que la description de ses activités antérieures était incomplète.
Monsieur Balfour
se disait enfin d’avis, dans cette lettre, que The Gazette devrait publier un
texte apportant des éclaircissements sur les circonstances entourant le départ
de monsieur Pekovic de l’Hôpital général juif, et mentionnant que le journal
n’avait pas eu l’intention de suggérer que le docteur Pekovic était impliqué
dans une affaire de fraude.
L’ex-ombudsman
de The Gazette répliquait ensuite, dans une lettre qu’il adressait au Conseil
le 6 juillet 1988, à quelques points soulevés dans la plainte du docteur
Pekovic.
A l’affirmation
de ce dernier à l’effet que la journaliste Rachelle Henderson avait divulgué le
contenu de ses articles du 19 novembre 1987 à des membres de la communauté
scientifique montréalaise deux jours avant leur publication, et qu’elle avait
été «guidée» dans la production de ces articles, monsieur Balfour rapportait
que madame Henderson lui avait dit qu’aucune personne extérieure au quotidien
The Gazette n’avait lu les articles avant leur publication, et que personne de
la communauté scientifique ne l’avait guidée dans ses écrits.
A la remarque de
monsieur Pekovic à l’effet que l’Hôpital général juif avait décidé, à la suite
de la parution des articles du 19 novembre 1987, de retourner à la Fondation
une partie des fonds qu’elle avait octroyés, monsieur Balfour rapportait que
madame Henderson faisait remarquer que le plaignant suggérait que l’Hôpital
avait retourné ces fonds à cause de ses articles, mais que cette décision avait
été prise bien avant la parution desdits articles. Madame Henderson avait
indiqué que cette décision avait été prise au moment où l’Hôpital et le docteur
Pekovic avaient décidé de cesser leur association.
Monsieur Balfour
répliquait enfin aux affirmations du plaignant à l’effet que les articles
étaient «malhonnêtes» et «imprégnés d’un biais discriminant» de la part de la
journaliste et qu’ils démontraient un «manque flagrant de professionnalisme».
Il faisait remarquer que ces affirmations pouvaient refléter avec justesse
l’opinion du docteur Pekovic, mais qu’il était nécessaire qu’elles soient
soutenues de façon appropriée avec documents à l’appui. Monsieur Balfour disait
que de telles affirmations sont de l’ordre des intentions prêtées à quelqu’un
et qu’elles sont plus facile à dire qu’à prouver.
Réplique du plaignant
Le docteur
Pekovic répliquait d’abord aux commentaires de la journaliste Rachelle
Henderson, rapportés par monsieur Balfour, à l’effet qu’aucune personne
extérieure à The Gazette n’avait lu les articles du 19 novembre 1987 avant leur
parution. Il précisait qu’il n’avait pas spécifié dans sa plainte que les
articles avaient été lus, mais plutôt que le contenu de ceux-ci avait été
divulgué dans les milieux académiques et professionnels.
Disant que le
commentaire de madame Henderson allait à l’encontre de certains faits, monsieur
Pekovic remarquait que le directeur du département dentaire de l’Hôpital
général juif l’avait personnellement informé que The Gazette allait publier un
article qui «allait tuer la Fondation et [lui] causer gravement du tort» [notre
traduction de «will kill the Foundation and badly damage yourself»] et que
toutes les autorités de l’Hôpital étaient au courant du contenu des articles.
Il ajoutait qu’un professeur de la Faculté de médecine dentaire de l’Université
de Montréal avait également été informé du contenu des articles avant
publication par les officiers de l’Ordre des dentistes du Québec.
Au commentaire
de la journaliste à l’effet que personne dans la communauté scientifique ne
l’avait guidée dans ses écrits, monsieur Pekovic répondait qu’elle avait
«divulgué le nom de la personne qui l’avait incitée à faire sa recherche sur le
fonctionnement de la Fondation à tous les membres de la communauté scientifique
montréalaise avec lesquels elle [avait] communiqué durant son enquête». Nommant
le docteur Phil Gold, qui était cité dans les articles du 19 novembre 1987,
monsieur Pekovic disait que ce dernier lui avait avoué que c’était lui qui
avait téléphoné à la journaliste pour «dénoncer le fonctionnement de la Fondation».
Monsieur Pekovic
disait qu’il avait proposé, le 31 mai 1988, deux lettres aux lecteurs pour
publication afin de clarifier la situation et d’informer le public sur
l’origine et le fonctionnement de la Fondation. Il signalait que ces deux
textes avaient été refusés par The Gazette.
Monsieur Pekovic
répliquait enfin au commentaire de la journaliste, toujours rapporté par
l’ex-ombudsman de The Gazette, à l’effet que la décision de l’Hôpital général
juif de retourner les fonds à la Fondation de recherches sur le SIDA avait été
prise bien avant la publication des articles du 19 novembre 1987, Monsieur
Pekovic considérait que cette déclaration de la journaliste, n’était pas
soutenue. Il disait qu’à «sa connaissance», l’Hôpital n’avait pas fait une
telle déclaration et n’avait pas posé de «geste verbal ou écrit pour changer
l’administration et de ces fonds». Monsieur Pekovic disait qu’au contraire, ces
fonds avaient été administrés par le Service des finances de l’Hôpital et
qu’ils avaient été utilisés pour couvrir des dépenses courantes reliées à ses
activités de recherche «jusqu’à l’apparition du premier article de madame
Henderson».
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, lesquels doivent livrer une information conforme aux faits et aux événements. Ils ont par conséquent le devoir de prendre toutes les mesures appropriées pour s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent et donner au public les éléments nécessaires pour éclairer son jugement sur ce qu’ils choisissent de traiter.
Ils doivent éviter de donner aux faits et aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer gratuitement les personnes ou les groupes mis en cause dans leur écrits.
Il relève également de la responsabilité des médias d’apporter, dans les meilleurs délais possible, les correctifs nécessaires aux informations erronées qu’ils ont publiées afin de rectifier les faits auprès du public et de remédier rapidement aux torts qu’ils auraient pu causer à des personnes ou à des groupes. Il en va de même en ce qui concerne les éléments et les précisions qui auraient dû être portés à l’attention du public et dont l’absence risque de travestir ou de donner une autre signification à l’information rapportée.
Dans le cas présent, le Conseil adresse un reproche à la journaliste Rachelle Henderson et au quotidien The Gazette du fait que les articles soumis à son attention pouvaient laisser l’impression chez les lecteurs que le plaignant était impliqué dans des affaires frauduleuses avec la Fondation de recherches sur le SIDA, ou qu’il se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts, alors qu’aucune preuve n’était apportée pour soutenir l’existence d’une telle situation.
Le Conseil prend note que The Gazette a reconnu, dans un rectificatif, le danger que les lecteurs fassent une telle interprétation de ces articles. Il lui reproche cependant d’avoir attendu plusieurs mois avant de publier ce correctif, engendrant ainsi une situation d’injustice envers le plaignant.
Le Conseil rappelle enfin qu’il s’est toujours refusé à faire quelque procès d’intention que ce soit contre quelque partie impliquée dans une plainte. Le Conseil n’entend pas, par conséquent, se prononcer sur l’affirmation du plaignant à l’effet que la journaliste Rachelle Henderson aurait été «guidée» dans la production de ses écrits par la communauté scientifique de Montréal et qu’elle aurait divulgué le contenu de ses articles du 19 novembre 1987 à des membres de cette communauté. Il en va de même de l’affirmation à l’effet que c’est à la suite de la parution de ces articles que le département dentaire de l’Hôpital général juif de Montréal aurait décidé de retourner une partie des fonds octroyés par la Fondation de recherches sur le SIDA.
Analyse de la décision
- C13C Manque de distance critique
- C17F Rapprochement tendancieux
- C19B Rectification insatisfaisante
Date de l’appel
26 January 1990
Appelant
The Gazette
[Montréal]
Décision en appel
La décision
rendue dans cette affaire par le Comité des cas comporte deux reproches:
– un reproche à
la journaliste Rachelle Henderson et au journal, compte tenu que les articles
pouvaient donner l’impression que le plaignant était impliqué dans des affaires
frauduleuses avec la Fondation de recherches sur le SIDA, ou qu’il se trouvait
en conflit d’intérêts, alors qu’aucune preuve n’a été apportée pour appuyer
l’existence d’une telle situation;
– un reproche au
journal pour avoir attendu plusieurs mois avant de publier un rectificatif.
Comme suite à la
demande du journal The Gazette, la Commission d’appel a procédé à l’examen du
dossier et transmis ses recommandations à l’assemblée générale du Conseil de
presse. Cette dernière confirme la décision du Comité des cas en s’appuyant sur
les considérations suivantes:
1. Le travail
d’enquête effectué par la journaliste Rachelle Henderson, en vue de faire la
lumière sur les activités de la Fondation de recherches sur le SIDA, revêt
nettement un caractère d’intérêt public; les articles publiés à ce propos par
le journal The Gazette témoignent d’une volonté certaine de servir le droit du
public à l’information. Cette contribution mérite d’être reconnue.
2. Toutefois,
par le biais d’associations abusives ou non pertinentes [exemples tirés de
l’édition du 29 janvier 1989: «The Jewish General fired Pekovic partly because
he was president of a private research company»; «That company and Roy’s
foundation occupied space in the same suite»; «[Roy] refused to say how Pekovic
was chosen to receive money»], la journaliste a gratuitement porté atteinte à
la réputation d’un tiers. Ces passages sont d’autant plus regrettables qu’ils
n’apportent aucun élément probant en regard de l’objet de l’enquête,
c’est-à-dire les activités soupçonnables de la Fondation.
3. En publiant
un rectificatif, six mois après le premier article et quatre mois après le
second, le journal a reconnu et tenté de corriger l’image dommageable que ces
articles risquaient de donner du plaignant. Un tel rectificatif aurait dû être
apporté plus tôt, à l’intérieur d’un délai raisonnable. Quant aux lettres que
le plaignant a fait parvenir à l’éditeur le 31 mai et le 3 juin 1988, leur
publication aurait sans doute permis de rétablir les faits et de dissiper toute
ambiguïté. Il est regrettable que le journal The Gazette n’y ait pas donné
suite.
Analyse de la décision en appel
- C17F Rapprochement tendancieux
- C19B Rectification insatisfaisante