Plaignant
La Commission
des droits de la personne du Québec
Représentant du plaignant
Mme Sophia
Florakas-Petsalis (vice-présidente, Commission des droits de la personne du Québec)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Bertrand Desjardins (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-Serge
Sasseville (avocat et conseiller juridique, Quebecor)
Résumé de la plainte
Le titre «Après
avoir pris le contrôle du comité de parents, les Arabes imposent l’enseignement
de la langue de Mahomet», paru dans l’édition du 19 mai 1988 du Journal de
Montréal, présente un caractère discriminatoire qui influence la lecture de
l’article qu’il coiffe. Ce dernier, signé par le journaliste Bertrand
Desjardins, traite des divergences de vues entre les parents francophones et
arabophones d’une école primaire de Saint-Laurent concernant le projet PELO, un
programme d’enseignement des langues d’origines.
Griefs du plaignant
Le Journal de Montréal
publie le 19 mai 1988 un article intitulé «Après avoir pris le contrôle du
comité de parents, les Arabes imposent l’enseignement de la langue de Mahomet»
Dans cet
article, le journaliste Bertrand Desjardins fait état des divergences de vues
qui séparent les parents francophones et les parents arabophones à propos du
projet PELO (programme d’enseignement des langues d’origine) à l’école primaire
Henri-Beaulieu de Saint-Laurent. En effet, les parents arabophones souhaitent
recourir au projet PELO qui leur offre la possibilité d’instaurer
l’enseignement de l’arabe à l’école Henri-Beaulieu. Les parents francophones,
de leur côté, s’opposent à ce projet; ils sont d’ailleurs «contre ce principe
pour toute institution scolaire du Québec».
Convaincue du «caractère
discriminatoire du titre et de l’orientation générale de l’article» en
question, la Commission des droits de la personne demande au Conseil de presse
«de faire enquête afin de déterminer si la déontologie de la presse y a été
respectée». La plainte est adressée au Conseil le 13 juin 1988 par la
vice-présidente de la Commission, Mme Sophia Florakas Petsalis.
Les reproches
formulés par la plaignante sont présentés et explicités dans ses lettres du 19
juillet 1988 et du 27 février 1989 (certaines précisions sont d’ailleurs
apportées à la demande de l’intimé et du Conseil de presse), ainsi que dans sa
réplique du 20 septembre 1989.
Ces reproches
concernent d’une part le titre de l’article, d’autre part le corps de
l’article.
1 – Letitre
La plaignante
fait valoir que le titre renferme quatre éléments principaux: – la prise de
contrôle d’un comité de parents
– l’imposition
d’une langue étrangère
– le caractère
étranger et menaçant de ceux qui ont agi dans cette situation
– le caractère
étranger et menaçant de la langue qui a été imposée qui constituent la
manifestation «de préjugés ou de stéréotypes portant atteinte au droit à
l’égalité ou à la dignité des individus ou des groupes concernés ou pouvant
engendrer des attitudes discriminatoires à leur égard». Ainsi, explique-t-elle:
– «Prise de
contrôle» et «imposition»: ces termes évoquent une action qui n’a rien de
démocratique, impliquant le recours à la ruse ou à la force;
– «Les Arabes»: le
terme renvoie à un ensemble générique d’étrangers plutôt qu’au groupe de
parents concernés;
– «La langue de
Mahomet»: renvoie à un stéréotype qui l’associe, dans un contexte comme le
nôtre, à l’intolérance manifestée par les intégristes musulmans.
De plus,
poursuit la plaignante, le titre donne l’orientation générale de l’article («le
ton qui y est employé influence l’ensemble du texte») et lui confère par
conséquent un caractère également discriminatoire.
2- Le corps de
l’article
Bien que son analyse
ait porté davantage sur le titre et sur l’orientation générale de l’article, la
plaignante mentionne que sa plainte concerne aussi le fond de l’article:
«L’analyse que nous vous avons proposée, écrit-elle, doit être poursuivie par
le Conseil de presse quant au corps de l’article lui-même.»
Mme
Florakas-Petsalis ajoute que «le ton du titre se retrouve dans le corps de
l’article, particulièrement dans le paragraphe suivant:
«Or mercredi
dernier, les parents arabophones ont pris tout le monde par surprise lors des
élections du comité de parents. Avec une participation massive, ils ont fait
élire 19 des leurs au sein de ce comité de 21 membres tandis que l’an dernier,
ironiquement, ce fut l’inverse.»
Elle reconnaît,
toutefois, que les autres paragraphes qui constituent «le corps de l’article
demeurent, lorsqu’ils sont lus sans le titre, dans un registre acceptable au
regard de la déontologie de la presse».
Commentaires du mis en cause
Les commentaires
de M. Jean-Serge Sasseville, au nom du Journal de Montréal, se rapportent à la
fois à la plainte et à la réplique de Mme Sophia Florakas-Petsalis.
Dans un premier
temps, M. Sasseville exprime son total désaccord avec les reproches qui sont
adressés au Journal de Montréal:
– la plaignante
donne aux mots un sens qu’ils n’ont pas, elle «confère au titre des
interprétations qui ne peuvent découler raisonnablement des mots utilisés» par
le journaliste. «Aucun des mots utilisés ne possède en soi une connotation
péjorative». Ils ne sont pas davantage discriminatoires;
– le choix des
mots employés dans le titre relève de la discrétion rédactionnelle du Journal
de Montréal. «Il ne s’agit pas d’un cas où une intervention du Conseil de
presse serait justifiée», ajoute M. Sasseville;
– il n’existe
aucun dessein d’entretenir des préjugés défavorables par l’emploi de telles
expressions.
M. Sasseville
s’en prend ensuite à la bonne foi de la plaignante; il considère que, en dépit
de la demande expresse qui lui a été faite, Mme Sophia Florakas Petsalis n’a
pas suffisamment précisé «la nature de ses reproches quant au corps de
l’article». Et il conteste l’intention du Conseil de presse de poursuivre
l’étude du dossier sans exiger de nouveau des précisions additionnelles.
Dans une lettre
adressée au Conseil le 5 décembre 1988, M. Bertrand Desjardins mentionne que
son nom est injustement mêlé à un débat nuisible à sa réputation. Il note que:
– son article a
été écrit avec objectivité, conformément aux exigences de son travail;
– le choix du
titre relève du chef de pupitre à qui il revient d’en répondre en cas de
contestation.
Analyse
Il convient, dans un premier temps, de déterminer si la plainte est suffisamment précise ou si, comme le réclame le procureur du Journal de Montréal, des précisions additionnelles doivent être exigées de la plaignante.
Après examen des considérations exposées par la Commission des droits de la personne, le Conseil conclut que la plainte est suffisamment précise et qu’il peut procéder à l’étude du fond de la question.
A cet égard, deux questions se posent: les mots utilisés dans le titre ont-ils un caractère discriminatoire? La même analyse s’applique-t-elle au corps de l’article lui-même? Chaque question sera examinée séparément, à la lumière du même principe: les médias doivent éviter de cultiver des préjugés ou des attitudes discriminatoires à l’endroit des individus ou des groupes.
Les mots utilisés dans le titre ont-ils, comme le soutient la plaignante, un caractère discriminatoire? Le Conseil considère que oui.
La mention de l’origine ethnique n’est pas, en soi, discriminatoire; dans le cas ici étudié, cette mention est même nécessaire à la compréhension des faits rapportés.
Cependant, le recours à un terme générique – les Arabes – pour désigner, en particulier, les parents arabophones de l’école Henri-Beaulieu, de même que l’association du groupe ethnique arabe à un événement décrit de manière péjorative – une prise de contrôle permettant aux Arabes d’imposer la langue de Mahomet – risquent de porter atteinte à la réputation de l’ensemble des personnes qui font partie de ce groupe ou d’entretenir à leur endroit des préjugés défavorables.
La même analyse s’applique-t-elle au corps de l’article lui-même?
Le titre et le corps de l’article sont bien sûr des parties d’un même tout. Cependant, afin de répondre à la question soulevée par la plaignante, il est nécessaire de les examiner séparément.
Après examen du corps de l’article, le Conseil constate que le caractère péjoratif (défavorable au groupe arabe) du titre ne se retrouve aucunement dans le texte qui suit. Le titre seul renferme des éléments que le Conseil juge discriminatoires et qui viennent précisément valider les reproches de la plaignante.
En conséquence, le Conseil blâme l’éditeur du Journal de Montréal pour le choix du titre accompagnant l’article publié le 19 mai 1988 concernant l’école Henri-Beaulieu.
Analyse de la décision
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes