Plaignant
M. Richard
Saindon (journaliste, CJBR-TV [SRC, Rimouski])
Mis en cause
Le Progrès-Echo
[Rimouski] et M. Réal-Jean Couture (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-Claude
Leclerc (directeur de l’information, Groupe de presse Bellavance)
Résumé de la plainte
Le 13 juillet
1988, le journaliste Réal-Jean Couture du Progrès-Echo se place dans une
situation de conflit d’intérêts en signant deux articles sur les audiences du
CRTC relatives à la demande de permis de la radio communautaire CKMN, alors
qu’il représente celle-ci devant le CRTC. Ces articles portent les titres
«CKMN-MF espère un permis du C.R.T.C. et être en ondes d’ici novembre 1988» et
«L’intervention de CFLP/CIKI : Pas de place pour une autre radio».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Richard Saindon, journaliste à la
station radiophonique CJBR-MA de Rimouski, contre l’hebdomadaire Le
Progrès-Echo et le journaliste Réal-Jean Couture.
Monsieur Saindon
reprochait à ce dernier de s’être placé dans une situation «flagrante» de
conflit d’intérêts en signant deux articles sur les audiences du Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [CRTC] relatives à la demande
de permis de diffusion de la radio communautaire CKMN-MF pour la région de
Rimouski-Mont-Joli, alors qu’il était le représentant de cette radio aux
audiences de cet organisme.
Monsieur Saindon
trouvait le geste de monsieur Couture «injustifiable» et susceptible de
dénaturer la profession journalistique.
Commentaires du mis en cause
M. Jean-Claude
Leclerc, directeur de l’information, Groupe de presse Bellavance
En réplique à
cette plainte, monsieur Jean-Claude Leclerc précisait d’abord que le
journaliste Réal-Jean Couture travaillait au sein de l’organisation qui tentait
d’implanter une nouvelle radio communautaire dans la région non pas à titre de
promoteur, mais à titre de directeur d’un conseil d’administration.
Monsieur Leclerc
disait par la suite qu’il avait personnellement demandé au journaliste de
couvrir le dossier de la radio communautaire lors des audiences du CRTC à
Trois-Rivières pour deux raisons. L’une étant une question économique, le
budget ne permettait pas d’envoyer «un journaliste et une caméra» pour couvrir
ces audiences. L’autre étant qu’il avait jugé monsieur Couture «assez
professionnel pour «couvrir» ce dossier comme il se devait, d’autant plus
qu’avant publication, il devenait de [son] devoir d’en vérifier le contenu de
textes, ce qui fut fait».
Monsieur Leclerc
remarquait que monsieur Couture n’avait aucunement voulu «s’emparer» de ce
dossier à des fins personnelles pour mousser sa publicité ou celle du projet de
la radio communautaire.
M. Réal-Jean
Couture, journaliste
Répliquant à cette
plainte, monsieur Couture indiquait d’abord qu’il était membre du conseil
d’administration de la corporation Radio communautaire du comté et qu’il
agissait au sein de celle-ci aux titres de secrétaire, de l’un des porte-parole
et de l’un des trois défenseurs du dossier auprès du CRTC. Il spécifiait,
contrairement à l’affirmation du plaignant, qu’il n’était pas le promoteur du
projet d’implantation d’une station radio MF pour la région de
Rimouski-Mont-Joli, mais que c’était plutôt la corporation qui en était la
promotrice.
Monsieur Couture
faisait ensuite remarquer que le Conseil de presse n’avait pas de définition de
ce qu’est le «conflit d’intérêts», sauf une définition relative à l’information
économique et financière. Il ajoutait que la Société Radio-Canada ne donnait
pas non plus de définition du conflit d’intérêts dans son document «Politique
journalistique», édition 1982.
Aussi, en
l’absence d’une telle définition, monsieur Couture soumettait les quatre
énoncés suivants:
a) le
journaliste est en conflit d’intérêts lorsqu’il profite d’une position
privilégiée pour diffuser dans un média des informations qui ne sont pas
accessibles à la communauté journalistique en général;
b) le
journaliste est en conflit d’intérêts lorsqu’il profite d’une position
privilégiée pour diffuser «en primeur» des informations qui ne sont pas encore
accessibles à la communauté journalistique en général, mais qui le seront sous
peu;
c) le
journaliste est en conflit d’intérêts lorsqu’il profite de sa position
professionnelle dans un média [peu importe lequel] pour mousser une cause à
laquelle il est partie prenante ou abaisser des opposants à une cause à
laquelle il est partie prenante;
d) le
journaliste est en conflit d’intérêts lorsqu’il camoufle ou cache à la population
son appartenance à tel organisme tout en profitant de sa profession pour monter
en épingle cet organisme.
Monsieur Couture
soutenait par la suite que les deux articles qu’il avait signés ne
contrevenaient pas à aucun de ces quatre énoncés. Il précisait par rapport à
chacun de ces énoncés:
a) que les
informations contenues dans ces articles constituent des comptes rendus des
audiences publiques du CRTC à Trois-Rivières. Radio-Canada y avait d’ailleurs
dépêché un journaliste de sa salle des nouvelles;
b) que ses
articles avaient été publiés une semaine après la tenue des audiences et au
moins cinq jours après la diffusion des reportages de Radio-Canada et des
médias électroniques de la région sur le sujet;
c) que ses
articles ne contenaient aucun plaidoyer en faveur du dossier présenté au CRTC,
mais qu’ils se limitaient à «un juste rapport des principaux énoncés faits»
lors de ces audiences. De plus, l’un des deux articles présentait l’attitude
des divers intervenants dans le dossier;
d) qu’il n’avait
jamais caché son appartenance à la corporation Radio communautaire du comté et
qu’il avait même donné, à quelques reprises dans le passé, des entrevues aux
journaux de la région, à la télévision CFER et même à Radio-Canada sur le
dossier en plus de signer, entre septembre 1987 et mai 1988, plusieurs
communiqués de presse. Il avait également collaboré avec les journalistes de
Radio-Canada qui «demandaient des primeurs dans l’évolution du dossier» et que
ces derniers avaient eu ces primeurs à plus d’une reprise.
Le journaliste
Réal-Jean Couture faisait ensuite remarquer que quiconque lisait ses articles
sans savoir qu’il était impliqué dans le dossier présenté devant le CRTC,
verrait «des textes rédigés avec rigueur, donnant dans le texte principal
l’essentiel de la demande au CRTC et dans le texte secondaire, le compte rendu
des interventions et de la réplique dans ces mêmes audiences».
Il ajoutait que
Le Progrès-Echo ne comptait que sur quatre journalistes, dont un affecté aux
sports au moment où se déroulaient les audiences du CRTC, en raison de la
période des vacances. Il remarquait de plus qu’il aurait été aberrant de
demander à un journaliste à moins de douze heures de l’heure de tombée du
journal, d’interviewer un autre journaliste [lui-même] de la même salle de
nouvelles sur le dossier en question.
Monsieur Couture
abordait ensuite dans ses commentaires, la question de l’apparence de conflit
d’intérêts. Rappelant qu’il avait démontré n’avoir pas enfreint les règles
relatives au conflit d’intérêts en ce qui concerne les deux articles en litige,
il faisait les constatations suivantes eu égard à l’apparence de conflit
d’intérêts:
– les salles de
nouvelles dans les localités autres que les grands centres sont composées de
une à cinq personnes en général, exception faite des stations de Radio-Canada
où le chiffre varie facilement de huit à douze;
– la
syndicalisation, la modernisation, la mécanisation des salles de nouvelles ont
fait en sorte de diminuer un tant soit peu le nombre d’heures de travail des journalistes
qui ont plus de temps pour s’impliquer dans leur communauté dans des actions
bénévoles;
– il n’est pas
rare que des journalistes soient appelés à occuper les rôles de publicistes,
relationnistes et autres dans des organisations à but non lucratif, strictement
bénévole.
Monsieur Couture
soutenait, en regard de ces considérations, qu’une situation de «conflit
d’intérêts apparent ou potentiel» pouvait survenir. Afin d’appuyer ce point,
monsieur Couture donnait plusieurs exemples précis de journalistes impliqués
dans diverses organisations et activités sociales, culturelles et sportives.
Il indiquait
cependant que le fait que les journalistes à Rimouski étaient largement
impliqués dans leur milieu à titre de bénévole n’en faisait pas pour autant des
journalistes qui pratiquent des méthodes qui, reprenant l’expression utilisée
par le plaignant à son sujet, «dénaturent la profession journalistique».
Monsieur Couture
remarquait qu’une telle situation [personnel limité dans les salles de
rédaction et implication des journalistes dans leur milieu], obligeait à une
rigueur professionnelle tout autre que pour les journalistes ne s’impliquant
dans aucune activité sociale, culturelle ou autre.
Monsieur Couture
tirait la conclusion suivante en ce qui concerne la plainte soumise au Conseil
et les exemples qu’il citait précédemment:
«Le journaliste
doit viser à donner une information complète, honnête et de qualité, sans
privilégier telle ou telle version, sans discréditer telle ou telle version, et
ne doit pas se servir du média pour lequel il travaille pour se mettre en
valeur ou mettre en valeur les organismes où il est impliqué… La lecture des
textes sur lesquels porte la plainte indique que ce principe essentiel de base
a été rigoureusement respecté».
Ajoutant qu’il
était impliqué dans divers dossiers à titre bénévole, monsieur Couture faisait
remarquer qu’il n’avait pas fait l’objet de plaintes au Conseil de presse,
entre autres, lorsqu’il avait signé des textes sur la Ligue senior de base-ball
du Bas St-Laurent et la Ligue de hockey olympique de Rimouski-Mont-Joli qu’il
présidait.
Ne voyant pas
d’infractions au code d’éthique dans l’affaire soumise au Conseil de presse,
monsieur Couture signalait qu’il s’imposait une «rigueur professionnelle double»
dans les domaines où il était impliqué et qu’il était appelé à couvrir. Aussi,
il veillait:
– à ne pas
diffuser de primeur. Au contraire, bien des fois il diffusait l’information
après tous les autres médias;
– à ce que les
textes soient neutres, sans émotion, sans parti pris et, si possible, sans le
mettre en cause;
– à ce que toute
information diffusée ait été portée à la connaissance ou ait été à la
disposition de tous les médias de la région au préalable, ou en même temps que
sa propre diffusion.
Monsieur Couture
considérait par ailleurs que donner raison au plaignant dans le cadre du
dossier soumis au Conseil, aurait des répercussions graves, telles que:
– obliger tous
les journalistes du Québec et toute personne à l’emploi de quelque média que ce
soit de se retirer de la vie économique, sociale, sportive et culturelle en
tant que membre ou détenteur d’un poste dans un bureau de direction, même
bénévole;
– retirer aux
journalistes du Québec et toute personne à l’emploi de quelque média que ce
soit le droit à une vie privée selon sa disponibilité, ses goûts, ses
préférences, ses aspirations;
– aller à
l’encontre de la Constitution canadienne qui permet au peuple de disposer de
lui-même;
– retirer aux
journalistes et autres le droit à une vie pleine et entière, et surtout, le
droit d’être un citoyen à part entière.
Le journaliste
Réal-Jean Couture estimait de plus que ce qu’il avait fait n’était pas plus
«inqualifiable» ou «immoral» que la publication par Le Journal de Montréal ou
Le Journal de Québec de textes sur les intentions de Québecor de construire une
usine de pâtes à Matane, de textes critiquant la lenteur des prises de décision
du gouvernement fédéral dans ce dossier, ou la diffusion sur les ondes de
Radio-Canada d’une nouvelle sur les négociations achoppant entre les
journalistes et la Société.
Monsieur Couture
faisait enfin remarquer qu’un blâme du Conseil de presse, dans la plainte
soumise à son attention, touchait obligatoirement tous les dossiers qu’il
citait en exemple dans ses commentaires.
Réplique du plaignant
Le plaignant,
monsieur Richard Saindon, informait le Conseil qu’il n’avait pas d’autres
commentaires à apporter dans ce dossier.
Analyse
Les médias et les journalistes doivent éviter non seulement les conflits d’intérêts, mais toute situation risquant de les faire paraître en de tels conflits, et partant, de compromettre leur crédibilité d’informateurs publics et l’intégrité de l’information qu’ils rapportent. De façon générale, une personne est en conflit d’intérêts ou en apparence de conflit d’intérêts lorsqu’elle se retrouve dans une situation telle, que son impartialité puisse être mise en doute. Les journalistes ne doivent pas couvrir, par conséquent, les événements dans lesquels ils sont impliqués ou dans lesquels ils semblent avoir partie liée.
Les entreprises de presse ont, pour leur part, la responsabilité de veiller à ce que les journalistes ne se retrouvent pas, de par leurs affectations, en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Dans le cas présent, le Conseil blâme le journaliste pour s’être placé dans une situation de conflit d’intérêts en faisant la couverture des audiences du CRTC relatives à la demande de permis de radiodiffusion de la Radio Communautaire du comté, alors qu’il était l’un des trois représentants de cette radio à présenter le dossier devant le CRTC lors desdites audiences.
Le Conseil blâme également la direction du journal pour avoir affecté le journaliste Réal-Jean Couture à la couverture de ce dossier, d’autant plus qu’elle connaissait à l’avance les liens existant entre le journaliste et le dossier en question.
Quoique le Conseil soit sensible aux contraintes auxquelles certaines entreprises de presse régionales font face en matière d’effectifs, il considère néanmoins que les médias doivent veiller à éviter, dans leurs affectations, toute situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de tels conflits, ainsi que toute situation susceptible de compromettre l’intégrité de diffusée ou publiée.
Analyse de la décision
- C22E Travail extérieur incompatible