Plaignant
Mme Lucette
Rivard
Mis en cause
CFVS-TV [TQS,
Val d’Or] et M. François Dallaire (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Gagnon
(directeur de l’information, CFVS-TV [TQS, Val d’Or])
Résumé de la plainte
Dans un
reportage traitant de la circulation de fauteuils roulants dans les rues de Val
d’Or, le journaliste François Dallaire de CFVS-TV ridiculise la plaignante et
son frère en utilisant à leur endroit des expressions telles que «les Rivard,
pas plus hauts que trois pommes…», «mais délinquants comme pas un, les
lilliputiens…» et «les handicapés à roulettes…».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de madame Lucette Rivard contre le journaliste
François Dallaire et la station CFVS-TV Val d’Or concernant un reportage
diffusé au bulletin de nouvelles du 27 juillet 1988 au sujet de la circulation
des fauteuils roulants dans les rues de la ville de Val d’Or.
Madame Rivard, qui
était interviewée dans le reportage et qui expliquait les raisons pour
lesquelles elle et son frère, également une personne handicapée, circulaient
dans les rues de Val d’Or plutôt que sur les trottoirs, estimait que ce
reportage était insultant à leur égard, et qu’il démontrait un «racisme
flagrant» envers les personnes handicapées. Elle considérait que le journaliste
les avait beaucoup plus ridiculisés «que fait un reportage consciencieux et
respectant l’éthique journalistique» en utilisant certaines expressions, telles
que «les Rivard, pas plus hauts que trois pommes… », «mais délinquants comme
pas un, les lilliputiens… », «les handicapés à roulettes… », «le couple
délinquant… », et «des plaintes ont justement été formulées… »
Madame Rivard
disait penser honnêtement qu’un reportage sur ce sujet aurait pu aider la
population à mieux comprendre les problèmes de fonctionnement éprouvés par les
personnes handicapées. Elle indiquait qu’au contraire, la diffusion de ce
reportage avait eu pour effet d’accentuer l’agressivité de certains citoyens
envers les personnes handicapées. Elle ajoutait que d’autres ont éprouvé, pour
leur par, «énormément de colère» face à ce reportage qu’elle qualifiait de
discriminatoire.
Commentaires du mis en cause
M. Jean Gagnon,
directeur de l’information, CFVS-TV
En réponse à
cette plainte, le directeur de l’information de CFVS-TV, monsieur Jean Gagnon,
se disait surpris des récriminations de madame Rivard. Il estimait, d’une part,
que le reportage était «somme toute sympathique à la cause des deux personnes
handicapées» et qu’il évitait, d’autre part, de «sombrer dans la morosité,
voire le fatalisme, qui caractérise généralement ce type de reportage».
Monsieur Gagnon
considérait de plus que le reportage du journaliste François Dallaire avait
«largement contribué à informer les citoyens des problèmes auxquels sont
confrontés ceux et celles qui doivent se déplacer en fauteuils roulants».
Monsieur Gagnon
disait que CFVS-TV et monsieur Dallaire n’avaient jamais voulu manquer de respect
ou ridiculiser monsieur et madame Rivard. Il soutenait qu’au contraire, l’image
qui se dégageait du reportage était celle de «deux citoyens à part entière qui
luttent énergiquement afin de faire connaître leurs revendications et de faire
reconnaître leurs droits».
Disant qu’il
appartenait aux «seuls professionnels de l’information de décider du traitement
approprié des reportages ainsi que du vocabulaire à utiliser», monsieur Gagnon
soutenait que le reportage respectait les faits et l’événement, et évitait de
nourrir des préjugés. Il considérait que les reproches de la plaignante
relevaient davantage d’une «incompréhension de sa part que du racisme et de la
discrimination». Il ajoutait que le mot «lilliputien», selon le dictionnaire,
signifiait une personne très petite, que le mot «délinquant» ne referait pas
seulement à la «commission d’un crime, mais aussi à tout genre d’infractions»
et que des plaintes avaient bel et bien été portées devant les autorités
policières. Monsieur Gagnon indiquait enfin que «pour le reste, et fidèle à son
habitude, monsieur Dallaire a utilisé une série de métaphores, un style de
langage qui procède par substitution analogique».
Réplique du plaignant
En réplique à
ces commentaires, madame Lucette Rivard se disait d’abord étonnée que monsieur
Gagnon ait été surpris des griefs qu’elle présentait au Conseil, puisqu’elle
l’avait déjà rencontré afin de lui demander de corriger les propos abusifs qui
avaient été utilisés dans le reportage, demande à laquelle il s’était objecté.
Madame Rivard
remarquait ensuite que le journaliste aurait dû, s’il n’avait pas voulu les
ridiculiser, «utiliser un langage plus adéquat laissant ainsi la place aux
éléments positifs de ce reportage».
Elle croyait que
ce genre de reportage «continue et continuera» de nourrir les préjugés. Elle
faisait remarquer à nouveau que certaines personnes avaient réagi à la
diffusion de ce reportage en les insultant.
Quant à
l’argument de monsieur Gagnon à l’effet que le mot «délinquant» ne signifiait pas
nécessairement avoir commis un crime, mais référait également à tout genre
d’infractions, madame Rivard signalait, d’une part, qu’aucun règlement ne
régissait la circulation des fauteuils roulants et qu’elle n’avait commis,
d’autre part, aucune infraction.
Analyse
Le choix et le traitement de l’information relèvent du jugement rédactionnel des médias, lesquels doivent éviter de cultiver ou d’entretenir des préjugés à l’endroit des personnes ou des groupes impliqués dans les événements rapportés.
Le choix des termes et des expressions relèvent également de la discrétion rédactionnelle. Les professionnels de l’information doivent cependant tenir compte des exigences du respect à l’égalité et à la non discrimination des individus ou des groupes. Ils doivent par conséquent éviter d’utiliser à l’endroit de ces derniers, des termes ou des expressions propres à les ridiculiser ou à les discréditer auprès de l’opinion publique ou qui seraient susceptibles de les ridiculiser ou de les discréditer.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que les expressions «les Rivard, pas plus hauts que trois pommes», «les lilliputiens» et «les handicapés à roulettes» étaient susceptibles, de part leur caractère diminutif, de ridiculiser et de discréditer la plaignante et son frère auprès des téléspectateurs.
Le Conseil estime également que l’utilisation du mot «délinquant» à l’endroit de ces derniers était abusif dans le contexte de la situation faisant l’objet du reportage, considérant, d’une part, qu’aucune infraction n’avait été commise et, d’autre part, que l’usage qui est couramment fait de ce terme, le rend susceptible d’être perçu et associé à la criminalité.
Le Conseil reproche donc au journaliste et à la station de télévision d’avoir utilisé un tel langage qui pouvait effectivement contribuer à entretenir des préjugés ou des attitudes discriminatoires à l’égard des personnes handicapées en général.
Analyse de la décision
- C11H Terme/expression impropre
- C17C Injure
- C18D Discrimination