Plaignant
L’Association
coopérative d’économie familiale [ACEF] de Lanaudière
Représentant du plaignant
M. Alain Beaudry
(agent d’information, Association coopérative d’économie familiale [ACEF] de
Lanaudière)
Mis en cause
Le Joliette
Journal
Représentant du mis en cause
M. Gilles Loyer
(ex-rédacteur en chef adjoint, Le Joliette Journal) et M. Jean-Pierre Malo
(directeur général, Le Joliette Journal)
Résumé de la plainte
Le Joliette Journal
attend six semaines avant de faire paraître une lettre de la plaignante au
sujet du Festival de Lanaudière. Cet important délai déforme la perception que
peuvent avoir les lecteurs de la lettre en question, rédigée pour publication
au début du Festival et non vers la fin. Le journal porte par cela atteinte à
la liberté d’expression et à la crédibilité de la plaignante.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de L’Association coopérative d’économie familiale
de Lanaudière [ACEF] contre l’hebdomadaire Joliette Journal.
L’ACEF, par
l’entremise de monsieur Alain Beaudry, agent d’information, reprochait au
journal d’avoir attendu six semaines avant de publier une lettre ouverte
traitant du Festival d’été de Lanaudière.
Monsieur Beaudry
expliquait que cette lettre, publiée auparavant comme éditorial dans le
bulletin Aux aguets de L’ACEF, avait été envoyée au Joliette Journal le 28 juin
1988 et publiée le 10 août 1988, soit quelques jours avant que le Festival ne se
termine le 23 août.
Disant constater
que les médias nationaux avaient «porté beaucoup plus d’intérêt [immédiat] à
cette lettre» que les médias régionaux, monsieur Beaudry se demandait pourquoi
le Joliette Journal avait «placé [celle-ci] sur une tablette» pendant six
semaines, alors que «l’action se déroul[ait]» et que le sujet était
«abondamment traité par d’autres intervenants». Il soumettait l’hypothèse que
les médias nationaux étaient «peut-être plus ouverts à la critique, moins
portés à la censure».
Monsieur Beaudry
affirmait qu’il était «très mal vu de critiquer un aspect d’une organisation
ayant autant d’envergure que le Festival d’été de Lanaudière parce
qu’automatiquement les défendeurs de cette organisation se sentent attaqués».
Il notait cependant que le quotidien La Presse et la radio de Radio-Canada
avaient publié et diffusé des «notes discordantes» sur le Festival, même s’ils
étaient parmi les principaux commanditaires de l’événement. Il ajoutait que
«malheureusement», les médias régionaux commanditaires, dont le Joliette
Journal, n’avaient pas «fait preuve du même professionnalisme journalistique».
Le plaignant
disait que l’organisme communautaire qu’il représentait ne recevait pas
toujours la couverture de presse souhaitée. Il précisait que l’organisme était
«encore très souvent considéré de façon secondaire» par les médias régionaux
écrits, car, entre autres, il n’achetait pas de publicité.
Monsieur Beaudry
considérait enfin que l’ACEF avait été «lésée dans sa liberté d’expression» et
que la «rétention» de leur lettre ouverte par le journal avait porté atteinte à
la crédibilité de cet organisme régional «reconnu par le milieu pour ses
services de qualité». Monsieur Beaudry estimait que le Joliette Journal avait
failli à son mandat d’informer les lecteurs de façon impartiale.
Commentaires du mis en cause
M. Gilles Loyer,
journaliste, ex-rédacteur en chef adjoint, Joliette Journal:
En réponse à
cette plainte, monsieur Gilles Loyer, rédacteur en chef adjoint au moment du
dépôt de cette plainte, expliquait d’abord que le journal recevait jusqu’à dix
lettres ouvertes par semaine, mais qu’il ne pouvait en publier qu’une ou deux
en raison du peu d’espace dont il disposait pour le courrier des lecteurs.
Monsieur Loyer
indiquait qu’il était par conséquent nécessaire de procéder à un choix selon
les centres d’intérêt des lecteurs. Il signalait, à ce titre, qu’un sondage
avait été mené quelques mois auparavant et que la politique d’information du
journal avait été revue en fonction des besoins exprimés par les lecteurs. Il
ajoutait qu’il n’était «donc pas surprenant» que les lettres ouvertes traitant
des sujets qui préoccupaient le plus les lecteurs, aient été publiées avant
celle de l’ACEF.
Monsieur Loyer
répliquait ensuite à l’affirmation du plaignant selon laquelle «il est très mal
vu de critiquer un aspect d’une organisation ayant autant d’envergure que le
Festival d’été de Lanaudière». Il signalait que monsieur Beaudry avait omis de
spécifier qu’une série d’articles remettant en question le site du futur amphithéâtre
et qu’une lettre ouverte dénonçant le caractère élitique du Festival avaient
été publiées dans le journal. Il faisait remarquer, par ailleurs, que la lettre
ouverte tout juste mentionnée avait été publiée une semaine avant celle de
l’ACEF, soit le 3 août 1988.
Quant à
l’argument selon lequel le retard du journal à publier la lettre de l’ACEF
avait porté atteinte à la crédibilité de l’organisme, monsieur Loyer faisait
remarquer que même certains articles signés étaient publiés dans un délai de
deux ou trois semaines. Il ajoutait qu’il ne connaissait pas un seul journal
qui «soit capable de publier la totalité des nouvelles qui sont à son menu» et
que la publication de certaines d’entre elles devait «forcément être retardée».
Il disait qu’il était «inacceptable de penser que la crédibilité d’un organisme
a été entachée pour la seule raison qu’un retard a été apporté dans la
publication d’un de ses textes».
Enfin, monsieur
Loyer reprochait l’«affirmation gratuite» du plaignant selon laquelle les médias
nationaux étaient peut-être plus couverts à la critique et moins portés à la
censure, et considérait comme une «accusation très grave» d’avoir laisser
entendre que la lettre ouverte de l’ACEF avait été publiée en retard parce
qu’elle n’achetait pas de publicité.
M. Jean-Pierre
Malo, directeur général, Joliette Journal:
Monsieur
Jean-Pierre Malo disait d’abord, en réplique à cette plainte, que ce n’était
pas seulement la parution d’une lettre ouverte dont il était question, mais que
des «accusations formelles» étaient portées contre le Joliette Journal et ses
artisans de l’information. Monsieur Malo tenait à préciser que «jamais M.
Beaudry n’a appelé l’éditeur délégué ou le directeur général pour demander des
explications et débattre dans le dialogue des véritables enjeux».
Monsieur Malo
considérait que le plaignant prenait «arbitrairement prétexte» d’une lettre
ouverte pour accuser sans fondement son journal de ««censure» systématique, de préjugés
envers la population, de collusion avec les «acheteurs de publicité» et tout
simplement de tripotage dans le traitement de l’information».
Monsieur Malo
faisait remarquer, en ce qui concerne la publication des lettres ouvertes, des
textes d’opinion et des communiqués de presse qui leur étaient soumis, que la
liberté d’expression était encadrée par la Loi sur la presse. Par conséquent,
il était du devoir de tout médias, de dire monsieur Malo, d’apporter une
attention plus «rigoureuse» aux organismes tels que l’ACEF, qui ont pour
fonction de «procéder à des enquêtes de consommation et, ce faisant, de
dénoncer certaines pratiques commerciales», qui sont susceptibles de porter
atteinte à la réputation d’une personne ou d’un établissement. Il indiquait qu’un
journal avait le «droit fondamental» de refuser la publication d’une
«information qu’il n’a pu lui-même vérifier», puisque la responsabilité du
journal y était engagée. Il ajoutait qu’en ce qui concerne les communiqués de
presse, ceux-ci devaient, selon la politique du journal, être traités par un
journaliste et ne jamais être publiés intégralement.
Monsieur Malo
disait que l’ex-rédacteur en chef adjoint, monsieur Gilles Loyer, avait, en
vertu de la liberté rédactionnelle et de la responsabilité des médias, la
liberté de publier ou non l’opinion de l’ACEF après avoir jaugé «l’importance
des opinions exprimées en rapport avec l’actualité et l’espace disponible».
En réponse à
l’affirmation du plaignant selon laquelle «il est très mal vu de critiquer un
aspect d’une organisation ayant autant d’envergure que le Festival de
Lanaudière», monsieur Malo disait que la publication de plusieurs articles et
lettres ouvertes sur le Festival infirmait les préjugés de monsieur Beaudry, et
il présentait, à ce sujet, un dossier des textes publiés.
Monsieur Malo
considérait que le plaignant avait «erré» dans cette affaire et que même s’il
avait voulu acheter de la publicité pour faire paraître ses «dénonciations»
dans «l’édition de son choix, à un endroit déterminé et dans le caractère
d’imprimerie désiré», il n’était pas assuré que le journal aurait accepté de
publier ses «prétentions».
Monsieur Malo
concluait en disant que la «liberté d’expression n’est pas sans limites ni
contraintes ni responsabilités. La «tablette» lui sert souvent d’encadrement».
Réplique du plaignant
En réplique aux
commentaires de messieurs Malo et Loyer, monsieur Beaudry rappelait d’abord
l’un des motifs de sa plainte, soit le fait que sa lettre ouverte avait été
publiée à la fin du Festival.
Il considérait
que la publication intégrale de sa lettre à deux semaines de la fin du
Festival, alors qu’elle avait été rédigée au début, rendait la lecture de
celle-ci «complètement déformée». Il disait que plusieurs personnes avaient été
«fort étonnées» que le journal n’ait pas mentionné la date de réception de
cette lettre ouverte au moment de sa publication.
Signalant que
cette même lettre avait paru dans le quotidien La Presse le 14 juillet et
qu’elle avait «servi de point de départ» à un reportage de dix minutes à la
radio de Radio-Canada, monsieur Beaudry soulignait que son «insistance» auprès
du rédacteur en chef adjoint de l’époque «portait sur la pertinence de faire
paraître dans un journal régional, un premier son de cloche différent en ce
début de saison du Festival».
Monsieur Beaudry
tenait ensuite à faire part au Conseil de certains commentaires concernant le
traitement des communiqués de presse de l’ACEF. Il considérait ce traitement
«réducteur», compte tenu du retard à publier lesdits communiqués. Il estimait
de plus que le fait de faire état de ces communiqués dans la rubrique
«Mini-nouvelles» avait pour effet de minimiser les dossiers de l’ACEF. Il était
d’avis que les interventions de leur organisme étaient ainsi «vidées de leur
sens» et qu’elles perdaient «tout leur impact».
Analyse
Le Conseil reconnaît que même s’ils doivent favoriser l’expression du plus grand nombre possible de points de vue, les médias jouissent de la prérogative de publier ou non les lettres des lecteurs qui leur son soumises et de déterminer le choix du moment de leur parution. Nul n’a accès de plein droit à la tribune réservée à cette fin dans les journaux.
Dans le cas présent, le Conseil ne retient aucun blâme contre le Joliette Journal pour avoir publié la lettre ouverte du plaignant vers la fin du Festival d’été de Lanaudière plutôt qu’au début de celui-ci. Il relevait de la prérogative de l’hebdomadaire de faire un tel choix.
Le Conseil ne retient pas l’argument du plaignant selon lequel ce choix rédactionnel a eu pour effet de léser la liberté d’expression de l’ACEF et de porter atteinte à sa crédibilité. Bien que la date de publication de la lettre du plaignant se soit située vers la fin du Festival d’été de Lanaudière, il est à considérer que celle-ci a été néanmoins publiée pendant ledit Festival et que le plaignant a pu faire valoir son point de vue.
Le Conseil tient par ailleurs à rappeler qu’il s’est toujours refusé à faire quelque procès d’intention que ce soit à quelque partie impliquée dans une plainte. Le Conseil ne peut, par conséquent, prendre en considération l’affirmation du plaignant selon laquelle le journal aurait été partial en choisissant de publier la lettre ouverte de l’ACEF six semaines après l’avoir reçue.
Le Conseil tient également à signaler, eu égard aux préoccupations exprimées par le plaignant concernant le traitement des communiqués de presse de l’ACEF, que les médias sont libres de faire état ou non des communiqués qui leur sont soumis, tout comme ils sont libres de déterminer l’importance et le traitement à leur accorder. La liberté de la presse serait compromise si les médias ne devenaient que de simples courroies de transmission des divers textes qui leur sont présentés. Les médias doivent plutôt faire un choix rédactionnel qui se fonde sur le souci de bien informer les lecteurs des questions d’intérêt public.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08C Délai de publication