Plaignant
Le Comité de la
bonne renommée des Polonais
Représentant du plaignant
Mme Alexandra
Tyszka-Kozlowska (membre, Comité pour la défense de la bonne renommée des
Polonais)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Mel Morris
(directeur de la rédaction, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
The Gazette
publie des informations diffamatoires et tendancieuses à l’endroit du peuple
polonais, comme en témoignent trois articles et une lettre ouverte publiés entre
le 27 mars 1987 et le 17 juillet 1988. Le journal ne respecte pas la «morale
journalistique» en ne publiant pas d’excuses publiques à la suite de la
parution de ces textes et en demandant à la plaignante de réécrire sa lettre de
protestation afin de tenir compte de sa politique de publication du courrier
des lecteurs.
Faits
La plainte du
Comité de la bonne renommée des Polonais porte sur le contenu de trois articles
et d’une lettre ouverte publiée dans The Gazette et sur la manière dont le journal
a traité les demandes du Comité en réaction à la publication de ces textes.
Voici les faits:
– le 8 février
1988, The Gazette reproduit un article du Los Angeles Times intitulé «Death
camp survivor keeps memories alive». Cet article raconte l’histoire de Thomas
Blatt, un survivant du camp de concentration de Sobibor en Pologne. Ce dernier
témoigne depuis 40 ans de ce qui s’est passé dans ce camp, et essaie d’en
préserver la mémoire en tentant d’en sauvegarder les lieux. L’article raconte
également l’expérience de Thomas Blatt à Sobibor et comment lui et d’autres
prisonniers se sont enfuis du camp.
– le 19 mars
1988, The Gazette publie un texte de Mme Alti Rodal, auteure du rapport de la
Commission sur la politique d’immigration d’après-guerre du Canada.
Cet
article, intitulé «Finding truth through history. The first survey of Holocaust
historians helps dispel the myths about a horror beyond belief», présente un
compte rendu du livre The Holocaust in History de M. Michael R. Marrus,
professeur d’histoire à l’Université de Toronto.
Ce livre est une étude
de la littérature historique sur l’Holocauste.
– suite à la
publication de ces deux articles, plusieurs lettres de protestation furent
envoyées au journal par divers organismes. Aucune n’ayant été publiée, aux
dires de la plaignante, une pétition fut alors organisée par divers
intervenants dont le Comité de la bonne renommée des Polonais.
Les signataires
de la pétition se disent préoccupés par certains propos de M. Thomas Blatt
rapportés dans l’article du Los Angeles Times. Notamment l’affirmation de ce
dernier à l’effet que les Polonais qui l’ont hébergé et caché après sa fuite du
camp de Sobibor ont tenté de le voler et de le tuer. Les signataires de la
pétition rétorquent que M. Blatt n’a pas été tué, mais sauvé par ces Polonais.
Ils contestent également l’utilisation de l’expression «camp de la mort
polonais» dans l’article «Finding truth trough history».
– le 10 mai
1988, The Gazette publie le texte de la pétition dans la section réservée aux
lettres des lecteurs. La pétition est publiée sous la signature «Stefan
Kopinsky et 1250 autres». M. Mark Harrison, alors rédacteur en chef de The
Gazette, adresse également une lettre à M. Kopinsky. Il y explique, entre
autres, que The Gazette a pour règle depuis plusieurs années de ne pas utiliser
l’expression «camp de la mort polonais» et que celle contenue dans l’article de
Mme Alti Rodal a échappé à l’attention du réviseur de texte.
– le Comité de
la bonne renommée des Polonais est toutefois insatisfait, car The Gazette n’a
pas publié d’excuses publiques à l’endroit des Polonais. Le Comité décide,
malgré cela, de ne pas intervenir plus avant dans cette affaire.
– le 17 juillet
1988, The Gazette publie la lettre d’un lecteur du nom de Paul Freilich. Ce dernier
écrit dans sa lettre titrée «Poland cradle of anti-Semitism», que la Pologne a
été le berceau de l’anti-sémitisme sous presque tous les régimes et qu’elle a
créé son propre camp de concentration pour ses citoyens d’origine juive.
– le 18 août
1988, le Comité de la bonne renommée des Polonais demande à The Gazette de
publier sa réaction à la lettre ouverte de M. Freilich, qui, selon le Comité,
contient des mensonges malicieux et des inexactitudes. Le Comité demande de
façon impérative à ce que cette réaction, ainsi que des excuses, soient
publiées dans les dix jours dans un endroit visible autre que dans la section
des lettres aux lecteurs.
– le 25 août
1988, M. Mark Harrison, dans une lettre au Comité, répond que The Gazette ne
peut accepter un tel ultimatum, l’invite à lui soumettre un nouveau texte (plus
court, sans affirmations libelleuses), et écrit qu’il se fera alors un plaisir
d’en considérer la «possible publication».
– le 30 décembre
1988, le Comité, par l’entremise de Mme Alexandra Tyszka-Kozlowska, porte
plainte au Conseil de presse.
– le 5 janvier
1990, Mme Tyszka-Koslowska ajoute au dossier un article de William Pfaff (un
journaliste amÉricain) publié le 27 mars 1987 dans The Gazette. L’article,
intitulé «Poles Struggle with what Holocaust means to them», traite du débat
sur le phénomène de l’antisémitisme en Pologne suite à la sortie du film Shoah
de Claude Lanzmann.
Griefs du plaignant
Concernant le
contenu des articles et de la lettre ouverte, le Comité de la bonne renommée
des Polonais soutient que The Gazette publie des diffamations systématiques et
tendancieuses à l’endroit du peuple polonais. Mme Tyszka-Kozlowska se demande
pourquoi l’image du «Polonais nazi» et l’expression «camp de la mort polonais»
se retrouvent constamment dans The Gazette. Elle y voit une tendance
anti-polonaise.
Concernant la
manière dont le journal a traité les demandes du Comité en réaction à la
publication de ces articles, Mme Tyszka-Koslowska considère que le journal a
manqué totalement à la «morale journalistique». Elle remarque que les
protestations de la communauté polonaise sont généralement ignorées, et que
même lorsqu’elles sont publiées, d’autres diffamations se retrouvent dans le
journal dans les jours qui suivent.
Commentaires du mis en cause
M. Mel Morris,
directeur de la rédaction, The Gazette
En réponse, M.
Morris indique que la plainte du Comité à l’effet que The Gazette publie des diffamations
systématiques et tendancieuses à l’endroit du peuple polonais, n’est aucunement
fondée.
Il signale que
l’ancien rédacteur en chef du journal, M. Mark Harrison, avait déjà répondu à
toutes les protestations du Comité. Notamment en ce qui concerne l’expression
«camp de la mort polonais» dans l’article «Finding truth through history». Il
rappelle qu’il s’agissait d’un malencontreux oubli. Il explique que l’auteure
du texte a utilisé cetteexpression pour situer géographiquement les camps dont
elle parlait, et non pour insinuer qu’ils étaient sous gestion polonaise. Il
remarque qu’elle avait d’ailleurs indiqué au paragraphe précédent que les
Allemands pratiquaient une politique d’extermination sans recourir à la
collaboration active de la population locale. M. Morris souligne, par ailleurs,
que The Gazette a publié la lettre de pétition de M. Stefan Kopinsky à ce
sujet.
M. Morris
rappelle également la réponse de M. Harrison concernant la lettre de
protestation de Mme Tyszka-Koslowska au sujet de la lettre ouverte de Paul
Freilich: que cette lettre contenait un ultimatum, qu’elle était trop longue,
diffamatoire, et qu’une invitation a été faite à la plaignante de soumettre un
nouveau texte pour une possible publication.
Concernant les
plaintes relatives à l’article de William Pfaff au sujet du débat sur le
phénomène de l’anti-sémitisme en Pologne, et à l’article du Los Angeles Times
sur un survivant de Sobibor, M. Thomas Blatt, M. Morris se demande si Mme
Tyszka-Koslowska veut soutenir que les journaux canadiens ne devraient pas
parler de ces événements sous prétexte qu’ils pourraient jeter une lumière peu
flatteuse sur la Pologne.
Il signale que
la presse polonaise, ainsi que celle de nombreux pays, a traité du débat qui a
suivi la sortie du film Shoah. Concernant l’article sur Thomas Blatt, M. Morris
remarque que la plaignante ne peut tout de même pas s’attendre à ce que le
monde entier passe outre au fait que le camp de Sobibor a existé. Il ajoute que
le travail de Thomas Blatt pour préserver le souvenir de ce camp vaut la peine
d’être raconté.
Réplique du plaignant
Mme
Tyszka-Koslowska trouve contradictoire que M. Morris rejette sa plainte et
qu’il appuie, soutient-elle, les points de vue de William Pfaff, de Thomas
Blatt et du lecteur Paul Freilich.
Concernant sa
lettre de protestation à la lettre du lecteur Paul Freilich, elle souligne que
ni M. Morris, ni M. Mark Harrison n’ont précisé ce qu’elle contenait de
diffamatoire. Elle fait remarquer que le journal n’a pas jugé diffamatoire la
lettre de M. Freilich (contrairement à ce que le Comité soutient). Mme
Tyszka-Koslowska se dit enfin d’avis que The Gazette censure uniquement les
lettres du Comité, mais qu’il ne censure pas les textes qu’elle qualifie
d’anti-polonais.
Analyse
Après étude des éléments soumis à son attention dans le cadre de ce dossier, le Conseil rejette le grief du Comité de la bonne renommée des Polonais selon lequel The Gazette publie des diffamations systématiques et tendancieuses à l’endroit de la nation polonaise.
Le fait que le journal ait publié l’opinion d’un lecteur (lettre de Paul Freilich) contraire au point de vue du Comité, ou qu’il ait publié des articles traitant de l’extermination des Juifs et des camps de concentration en territoire polonais, du phénomène de l’anti-sémitisme dans ce pays, ou de l’histoire d’un survivant de Sobibor, ne prouve aucunement qu’il possède une orientation rédactionnelle anti-polonaise. Une telle conclusion relève du procès d’intention.
La liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient compromis si la presse s’abstenait de traiter de tels événements ou de tels sujets. Dans cet esprit, il est dans l’ordre que The Gazette ait publié divers points de vue sur les événements du passé en Pologne.
Le Conseil rejette également les griefs relatifs au traitement accordé par The Gazette aux demandes du Comité de la bonne renommée des Polonais.
Le Conseil estime que The Gazette a plutôt fait preuve de considération à l’endroit de la plaignante et de ceux et celles qu’elle représente. Le journal a publié la lettre de pétition du Comité concernant l’article sur Thomas Blatt et le compte rendu de Mme Alti Rodal. Il a adressé une note personnelle au signataire principal de cette pétition pour expliquer comment l’expression «camp de la mort polonais» avait échappé à l’attention du journal lors de la publication de l’article.
Le Conseil considère également que The Gazette était libre de refuser de publier la lettre de protestation du Comité en réaction à la publication d’une lettre ouverte de M. Paul Freilich. En proposant à Mme Tyszka-Koslowska de récrire sa lettre de protestation en tenant compte de la politique de publication du courrier des lecteurs, le journal n’a faitaucun accroc à la «morale journalistique» pour employer l’expression même de la plaignante.
Le Conseil rappelle que nul n’a accès de plein droit aux pages d’un journal. L’éditeur est libre de publier ou de ne pas publier toute lettre qui lui est soumise. Tout comme il est justifié d’exiger que ces lettres respectent sa politique de publication du courrier des lecteurs.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C18F Discrimination (couverture)