Plaignant
Auto-psy
Représentant du plaignant
M. Jean Denis
(membre du c.a., Auto-psy)
Mis en cause
Le Journal de
Québec
Représentant du mis en cause
M. Jean-Serge
Sasseville (conseiller juridique, Quebecor)
Résumé de la plainte
Le 30 janvier
1989, Le Journal de Québec rapporte de manière sensationnaliste un incendie
mortel survenu la veille à l’hôpital Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme. Ce quotidien
publie un article qui traite des incendies d’origine criminelle dans son
édition du 3 février, mais en le coiffant du titre «Lorsqu’ils sont d’origine
criminelle : Trois incendies sur quatre dus à des ex-psy», lequel ne reflète
pas le contenu du texte et alimente les préjugés à l’endroit des personnes
recevant ou ayant reçu des soins psychiatriques. Enfin, Le Journal de Québec ne
publie pas la lettre adressée par le plaignant au Conseil de presse à propos
des manquements susdits.
Faits
La plainte
concerne les manchettes des éditions du 30 janvier et du 3 février 1989 du Journal
de Québec, ainsi que certains des articles auxquels ces manchettes renvoient.
Le 30 janvier,
le journal titre à la une «Un psychiatrisé met le feu à l’hôpital Saint-Jérôme:
5 cadavres!». Cette manchette renvoie à des articles publiés en pages 2 et 3,
dont deux sont l’objet de la présente plainte. Les deux textes sont signés Yves
Chartrand.
Le premier,
intitulé «La tragédie de Saint-Jérôme: Un déséquilibré aurait mis le feu à sa
chambre d’isolement», fait état d’un incendie à l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme
qui a fait cinq morts et détruit une partie de l’hôpital dans la nuit du 29
janvier 1989.
Le deuxième
article, titré «Un constat inquiétant», rapporte que «les déséquilibrés mentaux
ont été à l’origine de plusieurs incendies dans des hôpitaux du Québec ces
dernières années». A l’appui de ce constat, l’article fait état de 3 incendies
survenus entre 1977 et 1987.
Le 3 février
1989, la manchette «Incendies criminels: Les ex-psychiatrisés pointés du doigt»
renvoie à un article de la journaliste Marilyne Garneau en page 3.
L’article,
intitulé «Lorsqu’ils sont d’origine criminelle: Trois incendies sur quatre dus
à des ex-psy», traite des incendies d’origine criminelle à Québec selon le
rapport annuel du Commissariat aux incendiespour l’année 1988, rendu public le
2 février 1989 par le Commissaire aux incendies de la ville de Québec, M.
Cyrille Delage.
Le présent
dossier porte sur deux aspects:
1. la demande de
la plaignante au Journal de Québec de publier une lettre dénonçant le
traitement accordé, le 30 janvier 1989, à la nouvelle de l’incendie de
l’Hôpital de Saint-Jérôme;
2. le traitement
des nouvelles du 30 janvier et du 3 février 1989.
Les faits
concernant le premier aspect:
– le 3 février
1989, Auto-psy adresse une lettre au Conseil de presse dénonçant la façon
sensationnaliste avec laquelle certains journaux ont traité la nouvelle de
l’incendie à l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, et envoie copie conforme de cette
lettre à plusieurs journaux pour fins de publication;
– le 17 mars
1989, dans une lettre au Journal de Québec, Auto-psy signale que Le Devoir et
Le Journal de Montréal ont publié sa lettre du 3 février, mais qu’aucune
mention n’a été faite dans Le Journal de Québec. Auto-psy demande au journal de
trouver solution pour faire entendre son opinion et profite de l’occasion pour
solliciter une page de réplique pour les lecteurs du Journal de Québec;
– en réponse, Le
Journal de Québec signale qu’il n’existe pas de page dans ce quotidien pour la
publication des lettres des lecteurs, et offre à la plaignante de publier un
reportage concernant les personnes ayant reçu des soins psychiatriques.
Auto-psy refuse
cette solution de rechange et demande à nouveau que le journal publie sa lettre
du 3 février;
– le 16 juin,
suite au refus du journal d’accéder à sa requête, Auto-psy porte plainte au
Conseil de presse.
Griefs du plaignant
Auto-psy dénonce
le traitement accordé aux nouvelles publiées le 30 janvier et le 3 février
1989.
a) La nouvelle
du 30 janvier:
– Auto-psy dénonce
la manchette «Un psychiatrisé met le feu à l’hôpital Saint-Jérôme, 5 cadavres!»
et le titre «La tragédie de Saint-Jérôme. Un déséquilibré aurait mis le feu à
sa chambre d’isolement». La plaignante estime que ces «titres ronflants»
répandent la terreur dans la société sur le dos d’une population déjà en
difficulté;
– elle s’en
prend également à l’article «Un constat inquiétant» rapportant que «les
déséquilibrés mentaux ont été à l’origine de plusieurs incendies dans les
hôpitaux du Québec ces dernières années» et appuyant ce constat en rappelant
trois incendies étalés sur douze ans;
– la plaignante
fait aussi remarquer que l’enquête concernant l’incendie de l’hôpital
Saint-Jérôme n’était pas terminée lors de la publication de cette nouvelle, et
que le coroner en chef du Québec a ordonné, par la suite, la tenue d’une
enquête publique en vue de faire la lumière sur toutes les circonstances
entourant cet incendie;
– Auto-psy
remarque enfin que de telles nouvelles alimentent les préjugés à l’égard des personnes
ayant reçu des soins psychiatriques et accroissent la pression sociale qu’elles
peuvent ressentir dans leur quotidien.
b) La nouvelle
du 3 février
La plaignante
s’en prend au titre «Lorsqu’ils sont d’origine criminelle: Trois incendies sur
quatre dus à des ex-psy». Comparant celui-ci à l’information rapportée dans
l’article selon laquelle 60% des incendies criminels restent non résolus, elle
considère que ce titre ne reflète pas la réalité. Elle estime que ce genre
d’information stigmatise des milliers de personnes déjà aux prises avec des
problèmes émotifs et souffrant des préjugés de la population en général.
Enfin le
plaignant reproche au journal de ne pas avoir publié la lettre qu’il adressait
au Conseil de presse au sujet du traitement de la nouvelle de l’incendie de
l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme.
Commentaires du mis en cause
M. Jean-Serge
Sasseville, avocat et conseiller juridique de Quebecor Inc., au nom de
Quebecor, du Journal de Québec et des journalistes Yves Chartrand et Marilyne
Garneau.
Concernant le
premier aspect de ce dossier, M. Sasseville rappelle les faits exposés plus
haut. Il remarque que les demandes d’Auto-psy ont fait l’objet d’un suivi sans
reproche de la part du journal; que la bonne foi de celui-ci ne saurait être
remise en question; et que l’on ne saurait lui reprocher d’avoir refusé de
publier la lettre de la plaignante compte tenu qu’il n’existe pas une page
consacrée aux lettres des lecteurs.
Concernant le
deuxième aspect, M. Sasseville fait les commentaires suivants:
– que la plainte
d’Auto-psy se rapporte au lien établi par les articles entre certains incendies
criminels et le fait que les auteurs desdits incendies sont des personnes
recevant ou ayant reçu des soins psychiatriques; qu’il était fondé et d’intérêt
public d’établir ce lien; que le phénomène de la désinstitutionnalisation au
Québec est majeur au plan social et au plan de la sécurité des citoyens et des
personnes recevant des soins psychiatriques; que passer ce lien sous silence ne
permettrait pas aux lecteurs, aux intervenants et à la société de placer les
situations en contexte, de se former une opinion éclairée et de prendre les
décisions qui s’imposent;
– que le titre
«Lorsqu’ils sont d’origine criminelle: Trois incendies sur quatre dus à des
ex-psy» et l’article qu’il coiffe reflètent la réalité et réfèrent à une
conférence de presse et à un rapport officiel du Commissaire aux incendies; que
le titre se rapporte aux incendies criminels résolus, une proportion de 40% de
l’ensemble de ces incendies; et que l’article précise que rien ne permet
d’attribuer l’autre 60% à un groupe quelconque;
– que pour
toutes ces raisons, Le Journal de Québec n’avait pas à rectifier les titres et
les articles du 30 janvier et du 3 février 1989.
En dernier lieu,
M. Sasseville remarque que la proposition faite à la plaignante de faire des
reportages sur des expériences réussies de réintégration sociale de personnes
ayant reçu des soins psychiatriques était largement suffisante pour blanchir le
journal et ses journalistes de tout blâme.
Analyse
Le présent dossier porte sur deux aspects:
1. le refus du Journal de Québec de publier la lettre du 3 février 1989 de la plaignante;
2. le traitement des nouvelles du 30 janvier et du 3 février 1989.
Premier aspect:
Considérant les demandes de la plaignante (publication de sa lettre du 3 février 1989 et mise en place d’une page pour les lettres des lecteurs), le refus du journal d’accéder à ces requêtes et la proposition de ce dernier, en contrepartie, de faire des reportages sur des expériences réussies de réintégration sociale de personnes ayant reçu des soins psychiatriques;
Considérant que les intéressés dans le présent dossier sont bien au fait que les journaux ont la liberté rédactionnelle de publier ou non une lettre ouverte et la liberté éditoriale d’accorder ou non un espace à l’opinion des lecteurs;
le Conseil ne saurait intervenir plus avant dans cet aspect du litige et ne peut que regretter que les parties n’aient pu s’entendre de façon satisfaisante sur ce point.
Deuxième aspect
a) La nouvelle du 30 janvier 1989
Au sujet du traitement de cette nouvelle, le Conseil constate que Le Journal de Québec et le journaliste Yves Chartrand ont clairement relié la cause de l’incendie de l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme à une personne «psychiatrisée», que l’on aurait plutôt dû nommer «patient». En effet, la manchette «Un psychiatrisé met le feu à l’hôpital» attribue la cause de l’incendie à une personne recevant des soins psychiatriques. Le titre «Un déséquilibré aurait mis le feu à sa chambre d’isolement», ainsi que l’article qui l’accompagne, indiquent qu’une telle personne serait à l’origine de l’incendie.
Or, l’article ne rapporte aucun fait permettant d’établir que cette personne a causé l’incendie, ni aucune confirmation officielle à cet effet. Le fait que les flammes ont pris naissance dans la chambre où un patient a été enfermé, selon ce que rapporte l’article, ne prouve en aucune façon que ce dernier à mis le feu.
Un tel traitement, de l’avis du Conseil, tient du sensationnalisme et démontre un manque de rigueur. Il contribue, de plus, à alimenter les préjugés à l’endroit des personnes faisant l’objet ou ayant fait l’objet d’un traitement psychiatrique.
Il en va de même en ce qui concerne l’article «Un constat inquiétant» selon lequel les «déséquilibrés mentaux ont été à l’origine de plusieurs incendies dans des hôpitaux du Québec ces dernières années». Une telle affirmation s’avère nettement excessive si l’on tient compte des trois incidents rapportés venant l’appuyer: trois exemples d’incendies dans des hôpitaux psychiatriques (ou dans les ailes psychiatriques d’hôpitaux) étalés sur dix ans, dont un seul indique que c’est le malade qui a mis le feu.
Le Conseil adresse donc un blâme au Journal de Québec et au journaliste Yves Chartrand pour leurs manquements respectifs.
b) La nouvelle du 3 février 1989
Au sujet de la manchette «Incendies criminels: Les ex-psychiatrisés pointés du doigt» et du titre «Lorsqu’ils sont d’origine criminelle: Trois incendies sur quatre dus à des ex-psy», le Conseil est d’avis qu’ils ne sont pas fidèles aux données rapportées dans l’article, ni conformes à la réalité.
En effet, si l’on s’en tient à ces données, il est faux d’écrire que trois incendies sur quatre, lorsqu’ils sont d’origine criminelle, sont attribuables à des personnes ayant reçu des soins psychiatriques. D’une part, l’article indique que seul 40% des incendies criminels sont résolus. D’autre part, il est précisé que 23 des 82 incendies d’origine criminelle survenus à Québec en 1988 sont le fait d’adultes et que 70% à 75% de ces adultes ont déjà reçu des soins psychiatriques ou étaient en traitement.
Compte tenu de l’écart entre ce que le titre laisse entendre et les données contenues dans l’article, le Conseil estime que ledit titre est tendancieux à l’endroit de ces personnes.
Le Conseil adresse dont un blâme au journal pour son manque de rigueur dans ce titre.
Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter de tels incidents avec rigueur et circonspection afin d’éviter que des personnes ou des groupes ne soient pointés indûment comme étant responsables de ces incidents lorsque cela n’a pas été établi.
Une telle attention n’implique cependant pas qu’ils doivent s’interdire de rapporter qui est à l’origine d’un tel incident, ni de mentionner que ces personnes appartiennent à un groupe donné lorsque cela est pertinent et significatif dans les circonstances.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15C Information non établie