Plaignant
Le Repos
St-François d’Assise
Représentant du plaignant
M. François
Lefebvre (directeur général, Repos St-François d’Assise)
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Claude Decotret (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-Serge
Sasseville (conseiller juridique, Quebecor)
Résumé de la plainte
Le journaliste
Claude Decotret du Journal de Montréal déforme les propos d’un juge de la Cour
supérieure dans son article «Indemnité de $1,000 pour une urne funéraire
égarée», publié le 27 janvier 1989. Cet article ne reproduit pas fidèlement les
passages du jugement en question, certains termes ayant été ajoutés par le
journaliste.
Faits
Le 27 janvier 1989,
Le Journal de Montréal publie un article du journaliste Claude Decotret
intitulé «Indemnité de $1,000 pour une urne funéraire égarée». Cet article
rapporte un jugement de la Cour supérieure condamnant la corporation Cimetière
de l’Est de Montréal [aujourd’hui Le Repos Saint-François d’Assise] à payer des
dommages-intérêts aux membres d’une famille à la suite de la perte de l’urne
contenant les cendres de leur père.
Le journaliste
cite, dans la dernière partie de son article, deux passages du jugement. Il ne
les cite toutefois pas textuellement, y ayant ajouté des termes qui
n’apparaissent pas dans lesdits passages.
Griefs du plaignant
M. François
Lefebvre, directeur général du Repos Saint-François d’Assise, reproche au
journaliste Claude Decotret d’avoir manqué de professionnalisme en prêtant au
juge de la Cour supérieure des propos qu’il n’a jamais tenus.
M. Lefebvre
faisait remarquer que le juge n’avait jamais utilisé le terme «inqualifiable»
dans le passage «Ce manquement inqualifiable [du Cimetière de l’Est de
Montréal] constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité du
Cimetière pour les dommages qui peuvent en résulter». M. Lefebvre s’en prenait
également à l’utilisation du terme «cruel» pour rendre compte d’un deuxième
passage du jugement. Celui-ci est écrit comme suit: «Il ressort de la preuve
qu’en plus d’avoir un esprit de famille fort développé, les demandeurs
paraissent très fidèles au souvenir de leurs parents et vouent à leur mémoire
un véritable culte. […] A tour de rôle, ils relatent que ce malheureux
incident les afflige profondément».
Ce passage a été
cité de la façon suivante dans l’article: «…il ressort de la preuve qu’en
plus d’avoir un esprit de famille fort développé, les Robert étaient très
fidèles au souvenir de lUù
ùLòüòÐü+¢iàÑò¦Ðü§ sa mémoire un véritable culte. C’est donc dire qu’ils
méritent compensation pour le cruel trouble moral que leur a infligé ce
douloureux incident».
M. Lefebvre
indiquait que le journaliste donnait l’impression aux lecteurs, en mettant ces
citations entre guillemets, qu’il rapportait textuellement les paroles du juge.
Il considérait que le journaliste avait ainsi «déformé les faits pour faire du
sensationnalisme et jeter du discrédit sur une corporation qui déplore autant
que [les membres de la famille] l’incident malheureux qui a donné lieu au
jugement».
Commentaires du mis en cause
M. Decotret
admettait que les expressions qui lui étaient reprochées avaient pu lui
échapper malencontreusement et il s’en excusait auprès de M. Lefebvre.
Il y avait cependant
une «nuance» entre faire un tel reproche et l’accuser «d’avoir volontairement
voulu faire du sensationnalisme» et d’avoir manqué d’intégrité professionnelle.
M. Jean-Serge
Sasseville, conseiller juridique, Quebecor:
M. Sasseville
disait d’abord qu’il était exact que le juge de la Cour supérieure n’avait pas
utilisé les termes «inqualifiable» et «cruel» dans son jugement. Il soumettait
cependant que l’utilisation de ces qualificatifs découlait des faits qui ont
été mis en preuve devant le tribunal et qui ont été rapportés dans le jugement.
Il indiquait que
l’emploi du terme «inqualifiable» se justifiait également par les conclusions
du juge sur la responsabilité du Cimetière de l’Est de Montréal dans cette
affaire.
Quant au terme
«cruel», M. Sasseville soulignait qu’il était précisé dans le jugement que
l’incident en question « »afflige » profondément les [membres de la
famille], que chaque visite au cimetière « attise » leur chagrin et
qu’ils « sombrent » dans la tristesse lorsqu’ils pensent à la disparition
des cendres de leur père».
M. Sasseville
disait que ces deux termes «découlent de l’esprit, du sens et du contenu» du
jugement de la Cour qui «rapporte en soi des faits inusités qui concernent un
sujet sacré dans les moeurs de notre société».
Il ajoutait que
ces termes ne pouvaient être «qualifiés en soi» de sensationnalistes et qu’ils
ne furent pas utilisés dans le but de créer du sensationnalisme ou de jeter du
discrédit sur le plaignant.
M. Sasseville
remarquait enfin qu’il ne fallait pas oublier que, sur la base des faits mis en
preuve devant le tribunal, un juge avait conclu à l’existence d’une faute de la
part du plaignant.
Réplique du plaignant
Répliquant
d’abord aux commentaires du journaliste Claude Decotret, M. François Lefebvre acceptait
les excuses de ce dernier considérant qu’il était possible que les termes
utilisés lui aient «échappé malencontreusement».
Quant aux
commentaires de M. Jean-Serge Sasseville, M. Lefebvre disait qu’ils étaient
«sans aucun rapport» avec le reproche adressé au journaliste Claude Decotret.
Rappelant qu’il avait écrit dans sa plainte que M. Decotret donnait
l’impression en mettant ces citations entre guillemets, qu’il rapportait
textuellement les paroles du juge, M. Lefebvre faisait remarquer que l’argumentation
de M. Sasseville «ne fera jamais dire au juge […] ce qu’il n’a pas dit».
Analyse
De la même manière que les journalistes ne peuvent s’approprier les propos des personnes qui font l’objet de leurs reportages, ils ne peuvent non plus leur imputer des propos qu’elles n’ont pas tenus. Il s’agit là de bien informer les lecteurs quant à la provenance de l’information qui leur est présentée.
Dans le cas présent, le Conseil déplore que le journaliste et le journal aient contrevenu aux règles reconnues relativement à la citation. Quel que soit l’esprit du texte cité, ici un jugement de la Cour supérieure, une citation doit être textuelle. Les lecteurs sont en droit de s’attendre à recevoir une reproduction fidèle des propos qui leur sont rapportés.
Le Conseil estime, par ailleurs, que les excuses présentées au plaignant par le journaliste auraient dû être publiées dans le journal.
Analyse de la décision
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C19A Absence/refus de rectification